Tout est Un

Source : Tout est Un (Ellam Onru), Texte Tamoul anonyme du XIXe siècle. Ed. Nataraj.

Ce texte anonyme, écrit en tamoul au dix-neuvième siècle, est un bréviaire de l'advaita vedanta. Le Sage de la sainte montagne Arunachala, au sud de l'Inde, Sri Râmana Maharshi, le citait et le recommandait souvent. Je demandais à Bhagavan de me sélectionner de la lecture, il me donna une courte liste de six livres : Kaivalya Navanitam, Ribbu Gita, Ashtavakra Gita, Ellam Onru, Swarupa Saram et Yoga-Vashishta. Il mit un accent particulier sur le Ellam Onru, en me disant : « Si vous voulez moksha (la Délivrance), écrivez, lisez et pratiquez les instructions contenues dans Ellam Onru ».

II - TOI

1. Qui es-tu ? Ce corps, est-ce toi ? S'il en est ainsi, pourquoi n'as-tu pas conscience du serpent qui glisse sur lui lorsque tu es en sommeil profond ? Certainement, tu es autre que ce corps.

2. Parfois, dans ton sommeil, tu as un rêve ; tu t'identifies à un des personnages ; ce personnage, est-ce toi ? Non. Ou alors, que devient-il à ton réveil ? Tu ne peux être lui. Plus encore, tu as presque honte de t'être identifié à lui. Il est clair que tu es autre que lui, tu es Celui qui se tient en retrait de ce personnage.

3. Souviens-toi à présent de l'état de sommeil sans rêves. Est-ce l'état de ta nature véritable ? Tu ne le crois sans doute pas, car tu n'es pas insensé au point de t'identifier aux épaisses ténèbres qui t'empêchent d'être conscient de l'état où tu te trouves. Grâce à l'intellect, tu es capable de te distinguer des objets environnants : comment pourrais-tu admettre que tu es la même chose que l'ignorance ou le vide ? Comment cela pourrait-il être ta véritable nature ? Ce n'est pas possible. Tu es le Connaisseur qui sait que cet état de sommeil profond est un voile obscur et dense recouvrant ta véritable nature. L'ayant condamnée après en avoir fait l'expérience, tu sais que tu n'es pas cette sombre ignorance du sommeil profond. Tu es celui qui se tient à l'écart de cela aussi.

4. Si tu admets que même ce corps grossier n'est pas toi, peux-tu imaginer être quelqu’autre chose de plus éloigné ? Non. De même que tu n'es pas ce corps grossier, tu n'es pas non plus quelque chose d'autre qui s'en trouverait plus éloigné ; ni le personnage du rêve ; ni l'ignorance du sommeil profond. Tu es différent de ces trois états et de ce monde.

5. Ces trois états peuvent se résumer en deux conditions : l'une où prédomine la conscience sujet-objet (qui comprend les états de veille et de sommeil avec rêves), et l'autre, qui est celle de l'inconscience du sujet lui-même (comprenant l'état de sommeil profond). Toutes les expériences possibles sont comprises dans l'une ou l'autre de ces deux conditions. Et elles sont toutes deux étrangères à ta vraie nature, qui est tout autre.

6. Si tu te demandes ce qu'est ta vraie nature, son nom est Turiya qui signifie « le Quatrième » (état). Ce nom est approprié, car il semble dire : « les trois états de ton expérience, veille, rêve et sommeil profond, te sont étrangers ; ton véritable état est le quatrième, qui est différent de ces trois-là ». En supposant que ces trois états (veille, rêve et sommeil profond) forment ensemble un long rêve, le quatrième représente le réveil mettant fin à ce rêve. Ainsi, il est plus profond que le sommeil profond, et en même temps plus éveillé que l'état de veille. Ton véritable état est donc ce quatrième, se distinguant de tes états de veille, sommeil avec rêves, et sommeil profond. Tu es cela, uniquement.

7. Qu'est-ce que ce quatrième état ? Il est Connaissance, sans différenciation, étant pleine Conscience de soi-même. Cela signifie que le quatrième état est pure Connaissance, sans conscience du différencié, mais en pleine conscience de Soi. Celui qui réalise cet état, même pour un seul instant, réalise la vérité. Tu es cela, uniquement. Qu'y-a-t-il de plus pour celui qui a réalisé le Quatrième ? En pratique, il n'est pas possible, pour quiconque, de demeurer durablement dans cet état, conscient au-delà des particularités. Celui qui a réalisé le quatrième état, tôt ou tard revient à ce monde ; mais pour lui le monde n'est plus comme avant : il voit ce qu'il a réalisé comme étant le quatrième état, rayonner en toutes choses. Il ne voit plus ce monde comme différent de cette Pure Connaissance. Ainsi, ce qu'il a vu à l'intérieur, il le voit maintenant aussi à l'extérieur, d'une manière différente. Ayant quitté le stade de la différenciation, il est à présent établi dans l'état de non-différenciation, où qu'il se trouve. Désormais, il est Tout. Il n'y a rien qui soit différent de lui. Que ses yeux soient fermés ou ouverts, quels que soient les changements pouvant survenir, son état demeure inchangé. Cela est l'état de Brahman. Cela est l'état naturel éternel. Tu es cet état, éternellement Vrai.

8. Il n'y a rien au-delà de cet état. Les mots intérieur, et extérieur, perdent leur sens. Tout est Un. Le corps, la parole et le mental ne peuvent plus fonctionner égoïstement : la Grâce les anime, pour le bien de tous. Le moi fragmentaire est perdu à jamais. L'ego ne peut plus revivre. Il est dit alors qu'il est libéré ici et maintenant. Il ne vit pas parce que son corps vit, ni ne meurt parce que son corps meurt : il est éternel. Il n'y a rien d'autre que lui. Tu es celui-là.

9. Qui est Dieu ? C'est la Grâce. Qu'est-ce que la Grâce ? C'est la Conscience, débarrassée de l'ego fragmentaire. Comment peut-on être sûr qu'un tel état existe ? Seulement en le réalisant. Les Védas louent celui qui réalise Cela, comme étant celui qui a réalisé Dieu, devenant un avec Lui. C'est pourquoi, ce que le monde peut nous apporter de meilleur, et ce que nous pouvons lui rendre de meilleur, c'est la réalisation de cet état. En fait, il n'y a pas d'autre état que celui-là ; les autres n'apparaissent autres que dans l'état d'ignorance. Pour celui qui sait, il n'y a qu'un seul état, unique : Tu es Cela.