Celui qui voit la mort des quatre corps demeure
par Sri Siddharameshwar Maharaj

Source : Sri Siddharameshwar Maharaj « La clef de la réalisation de soi » - Les Deux Océans – Paris



EXPLICATION DU CORPS SUPRA-CAUSAL (JE SUIS) SOUS TOUS SES ASPECTS

Nous avons jusqu'ici décrit les quatre corps et nous allons voir maintenant comment la conscience les éclaire.

Pour appréhender un objet par le biais du corps physique (la vue), il est nécessaire que les quatre corps soient présents. Par exemple, si nous voyons une mangue et que nous savons que c'est une mangue, l'œil physique, seul, ne peut en avoir connaissance. Derrière l'œil physique, il y a l'œil subtil de l'intellect qui connaît la mangue, mais ceci n'est pas suffisant non plus car ces deux corps (corps matériel de nourriture et corps subtil) doivent avoir le support du corps causal. Ce corps est le vide, l'espace, la distance etc, et pour fonctionner l'intellect a besoin de l'espace (vide). Il y a donc l'œil, l'intellect et le corps causal sous la forme de l'espace, mais s'il n'y a pas le « témoin » du corps supra-causal pour connecter tous ces états, il ne peut y avoir connaissance de quoi que ce soit.

Ainsi, pour avoir la connaissance des objets, les quatre corps doivent être présents. Le corps physique toutefois n'est pas nécessaire pour connaître les modifications du corps subtil (telles que l'attirance ou la répulsion), mais cette connaissance a besoin du support des corps causal et supra-causal. Les corps physique et subtil ne sont pas non plus indispensables pour que la connaissance émerge du corps causal, mais le support du corps supra-causal, est lui, indispensable. Le corps subtil, c'est-à-dire le mental, l'intellect, les sens et le souffle vital, n'est en effet d'aucune utilité à la connaissance du corps causal car le champ du corps causal est entièrement différent et « personne » ne peut y entrer. Alors, comment serait-il possible de pénétrer le corps supra-causal ? Le mental et l'intellect ne peuvent appréhender les corps causal et supra-causal puisqu'ils sont limités au corps subtil. La connaissance du corps supra-causal se suffit à elle-même et n'attend aucune aide des autres corps, cette connaissance est auto-lumineuse.

L'œil peut voir un objet mais l'objet ne peut pas voir l'œil. Pour voir le soleil, nul besoin d'une lampe, ainsi personne ne peut voir le roi de la conscience/connaissance qui est lui-même l'œil de l'œil. Il prouve son existence par sa propre lumière. Même si l'œil ne peut voir l'œil lui-même, celui qui a des yeux ne peut mettre en doute leur existence : il voit parce qu'il a des yeux, cette conviction l'habite. De la même façon cette connaissance de lui-même devrait subsister en lui alors qu'il observe tout ce qui est autre que lui. Si nous voulons voir notre œil, nous avons besoin d'un miroir pour y refléter cet œil, mais cette connaissance de l'œil n'est que la connaissance de son reflet. En fait, cette connaissance se prouve sa propre existence en étant témoin de tout ce qui est différent d'elle. Elle n'a pas besoin d'autres preuves face à cette évidence.

Cette conscience/connaissance pénètre tout et pourtant elle demeure invisible à l'ignorant pour qui le corps physique est devenu le plus important à ses yeux ! Ce corps n'est pourtant qu'une petite graine dans l'océan, comparé au corps supra-causal. Les chemins du monde sont si étranges ! Nous avons pris l'habitude lorsque nous regardons une petite chose, d'oublier la plus grande, et nous avons abandonné ce qui s'affirme par soi-même pour glorifier un artifice.

Nous louons la lumière électrique mais pas le soleil. Lorsque nous regardons une image nous oublions le mur où elle est fixée et si nous observons le mur, nous oublions la maison. Quand nous découvrons des objets en pleine lumière, nous oublions la lumière elle-même et quand nous lisons les mots sur une feuille de papier, nous ne sommes plus conscients du papier !

Voici ce qui se passe en fait dans ce processus : en dépit du fait que « l'omnipénétrant » est infiniment plus grand, nous l'oublions lorsque notre attention est focalisée sur l'objet pénétré. Le physique est pénétré par le subtil qui lui-même est pénétré par le causal. Le causal à son tour est pénétré par le supra-causal. Le corps supra-causal ne peut être « vu », et c'est pourquoi chacun concentre son attention sur le corps physique. Mais celui dont le point de vue s'élargit et devient le « tout pénétrant », a alors la révélation de cette vérité, de cette connaissance qui s'étend à l'ensemble de l'espace et englobe même celui-ci !

La connaissance qui prévaut dans le corps supra-causal, bien qu'annihilant l'ignorance du corps causal, ne peut détruire les corps physique et subtil. La connaissance superficielle acquise par les corps physique et subtil ne peut détruire l'ignorance. Seule la connaissance extraordinaire et unique du corps supra-causal est destructrice de l'ignorance. Le bois par exemple, contient du feu mais ce feu ne détruit pas le bois. L'ignorance est même nourrie par la connaissance ordinaire, et c'est seulement après avoir accédé à cette véritable connaissance que l'ignorance disparaît, mais les fonctions des corps physique et subtil ne s'arrêtent pas pour cela. L'être réalisé tout comme l'ignorant continue à recevoir les impulsions des corps physique et subtil. L'objet invisible dans l'obscurité devient visible à la lumière d'une lampe, la lumière détruit l'obscurité mais pas l'objet. Seule l'obscurité disparaît.

L'ignorance est totalement dissipée par la lumière de la connaissance de soi mais les corps physique et subtil continuent à recevoir les pulsions. Le corps causal les perçoit-il ? Réfléchissons. L'ignorance a plusieurs aspects : l'erreur, le vide, l'espace, la distance etc. Suite à la connaissance de soi l'ignorance est annihilée, mais comme à ce niveau de conscience, les pulsions, désirs subtils ou physiques, se manifestent dans un espace, elles ne pourront exister sans qu un espace soit créé.

Pour atteindre la connaissance de soi, nous avons progressé étape par étape, l'une détruisant l'autre. Maintenant, retournons-nous et observons : il y a d'abord la conscience de soi (je suis), puis le corps causal (sous forme d'espace), puis le corps subtil et enfin le corps physique. Chaque corps surgit aisément et prend forme. Avant même que les impulsions des corps subtil et physique n'apparaissent, l'ignorance du corps causal a été détruite, néanmoins elle a été contrainte de créer un espace, un intervalle, entre le corps subtil et le corps supra-causal.

L'apparition du monde

Lorsque la conscience se détache d'elle-même et permet ainsi une impulsion, qui n'est pas elle-même, de s'exprimer, le corps causal sous la forme de chidakash (expansion ou mouvement de la conscience), est créé. Puis apparaissent dans l'ordre : le corps subtil et le corps physique.

Nous avons exploré successivement les quatre corps, soit, dans l'ordre : les corps physique, subtil, causal puis supra-causal. Maintenant l'ordre de cette séquence doit être inversé, soit : 1 - supra-causal, 2 - causal, 3 - subtil, 4 - physique.

Au lieu de demeurer en paix en elle-même, la conscience commence à s'agiter, mais avant que les corps subtil et physique n'apparaissent l'un après l'autre, le corps causal sous la forme de chidakash (mouvement de la conscience) doit être franchi. Les deux dernières étapes apparaissent ensuite et c'est seulement à ce niveau que l'existence du monde est ressentie.

La conscience de l'existence du monde n'a pas pu supprimer entièrement l'ignorance, tout comme la lumière annihile l'obscurité mais nous révèle quand même des objets, dissimulés jusqu'alors par l'obscurité. Le monde n'apparaît que parce qu'il est supporté par ce corps causal sous la forme d'espace et tant que l'apparition du monde n'est pas ressentie, il ne peut y avoir connaissance des corps subtil et physique, qu'il s'agisse d'un être éveillé ou d'un ignorant. Ainsi nous voyons que cette ignorance ou inconnu persiste sous une forme ou une autre, mais pour l'être éveillé elle n'apparaît pas de la même manière.

A moins que la conscience/connaissance ne meure l'ignorance ne mourra pas. Conscience et ignorance sont des jumeaux nés de Maya, l'illusion. Ils naissent et meurent ensemble. Si l'un est là, l'autre y est aussi, si l'un disparaît, l'autre disparaît également.

Voyons maintenant comment la conscience elle-même mourra.

Avant que la conscience du corps supra-causal ne disparaisse les trois autres corps doivent mourir dans l'ordre : 1 - le corps physique, 2 - le corps subtil, 3 - le corps causal. Lorsque nous regardons un homme mourir nous ne mourrons pas avec lui ! De même, nous pouvons regarder calmement comment ces quatre corps meurent à l'intérieur de nous.

Voici un principe concernant la mort : « Lorsque la croissance s'arrête, la dissolution commence ». Une chose qui cesse de croître commence à se désintégrer et prend le chemin de la mort, c'est le sens de cette affirmation. Il n'y a rien de particulier à faire pour que le processus de la mort s'enclenche car la destruction est inhérente à la croissance. Dans la naissance il y a la mort et dans la mort il y a la naissance, c'est dans leur nature. Une chose qui naît meurt de sa propre mort même s'il semble y avoir d'autres causes, la racine de la mort n'est rien d'autre que la naissance. Ces quatre corps se sont surimposés à la pure nature, ils doivent donc mourir. Comment meurent-ils ? C'est ce que nous allons voir.

En partant du principe que : « Tout ce qui naît, meurt », la mort du corps physique est inévitable. Si ce n'est pas aujourd'hui ce sera au plus tard dans cent ans. Le corps croît jusqu'à l'âge de vingt cinq ans, puis il commence à décliner pour s'avancer sur le chemin de la mort. Un jour il meurt. Comme le corps grossier n'est que la forme physique du corps subtil, il n'a pas d'existence indépendante ou séparée. Un arbre dans sa forme physique n'est rien d'autre que le prolongement de sa graine qui est le corps subtil et cet arbre finira par se dessécher. Le corps subtil est la graine de la naissance et de la mort, mais la graine ne se détruit pas aussi facilement que l'arbre. Sa propre croissance est énorme et si elle n'est pas détruite par l'effort conscient de l'homme elle continuera de proliférer éternellement. Cette croissance devient la cause d'un nombre infini de formes physiques, projetant ainsi l'être dans le tourbillon des quatre-vingt-quatre millions de vies (la philosophie hindoue admet que le corps subtil de l'être l'entraîne dans toute les formes de naissances possibles avant d'obtenir l'incarnation humaine, soit 84 millions de vies). Tandis que la croissance du corps physique s'arrête automatiquement, le corps subtil continue de croître, et c'est là que nous ressentons le besoin de l'aide du maître pour comprendre comment l'arrêter.

Pour arrêter la croissance du corps subtil et son cortège de rêves, de volontés et de doutes, il nous faut renoncer au désir. Les désirs, les rêves et les peurs sont produits par le mental et c'est également par le mental que nous pouvons les déraciner. Ce qui est créé par le mental ne peut être détruit par la main et, inversement ce qui est créé par la main ne peut être détruit par le mental. Quand nous essayons de supprimer ces rêves et ces désirs par la force, ils semblent se multiplier, le mental est si insaisissable que lorsqu'on essaye de le maîtriser il s'agite de plus belle. Le maître nous donne la solution pour arrêter son expansion : « Si vous essayez de vous apaiser intérieurement, petit à petit la volonté (sankalpa) et le doute (vikalpa) se dissoudront ».

Nous comprenons sans peine ce qu'est la quiétude en observant les yeux d'un enfant endormi et avec quelle facilité il se laisse glisser dans le sommeil, s'oubliant lui-même ! C'est pour nous une bonne leçon de détente, et par le simple fait de l'observer nous nous laissons glisser dans l'état d'oubli, sans rêves, sans désirs ni inquiétudes. Pour enlever une épine nous utilisons une autre épine, de la même manière le mental ne peut être brisé que par le mental. L'apparition et la disparition, la naissance et la mort sont les deux faces opposées d'un même état de conscience, lorsqu'une face apparaît l'autre disparaît et vice versa. La mort se produit d'elle-même.

Ainsi lorsque les constructions mentales sont anéanties, le corps causal se révèle sous la forme du pur oubli et le disciple a connaissance de cet état. Ici un doute peut subsister, car même si le mental est brisé et que l'état de pur oubli est atteint, ne peut-il pas resurgir ? En effet le mental ne meurt pas, la solution réside alors dans la pratique assidue du mantra donné par le maître. L'entreprise d'arrêter l'expansion du mental une fois commencée, le mental prendra inexorablement le chemin de la mort jusqu'à l'extinction totale, mais il faut persévérer dans l'étude comme dans la pratique du mantra. Quand un arbre commence à se dessécher, tous les efforts que l'on peut déployer pour le maintenir vert seront vains, il finira un jour par se déraciner et tomber. Le mental s'épuisera s'il est constamment freiné dans sa croissance, et il s'éteindra automatiquement, mais le disciple ne doit pas cesser de pratiquer.

Le corps causal se dévoile après la mort du corps subtil mais voyons maintenant comment le corps causal, producteur du corps subtil, s'éteint lui-même. Lorsqu'un état apparaît de manière imprévue nous en faisons l'expérience, mais quand il se dissipe nous n'en gardons pas le souvenir. Lorsque cela se produit cet état est puissant et s'étend, mais dès que son flux décroît son souvenir s'efface. Après nous avoir un instant submergé, il se détériore et disparaît complètement. Quand un homme épuisé par la chaleur du soleil se réfugie dans l'ombrage d'un arbre, inondé soudainement d'une paisible fraîcheur, il pousse un « ha ! » de contentement, révélant qu'un flux de paix l'inonde et le submerge. Néanmoins, un instant après, ce « ha ! » est oublié et l'homme repose tranquillement sans faire attention à ce qui l'entoure.

Ainsi lorsque le plus subtil du corps subtil, avec son agitation et ses luttes, se résorbe, le corps causal sous la forme d'oubli et de vide paisible s'évanouit automatiquement. Quand cet état négatif est renié il n'en résulte que négation, et pour l'anéantir point n'est besoin de l'épée de l'état positif : « je suis ». Samartha Ramdas a éclairci ce point par l'affirmation : « le négatif est nié par sa propre négation ». Quand l'état d'oubli (de vide) est dissous, l'état de connaissance ou Turiyavasta, quatrième état dans lequel l'âme s'unit au Brahman, se dévoile.

Mais cet état de connaissance vient à l'existence en se nourrissant de l'ignorance et, bien qu'il développe une grande puissance, il devra également disparaître. Une fois atteinte, la connaissance doit être abandonnée car tout ce qui apparaît doit disparaître, et comme l'ignorance la connaissance est apparue. A la mort du corps supra-causal, « cela » qui est inhérent aux quatre corps se dévoile, c'est Para-brahman, le non-né, qui ne mourra jamais. Celui qui voit la mort des quatre corps demeure. Cela est notre véritable nature.