Le Soi suprême se situe au-delà
de la connaissance et de l'ignorance
par Sri Siddharameshwar Maharaj

Source : Sri Siddharameshwar Maharaj « Embrasser l'immortalité (Amrut laya) » - Les Deux Océans – Paris



COMPTE-RENDU N° 29

Dites-moi ce que signifie « sans formes et sans support », expliquez-moi ce que veut dire « indifférencié ». (Dasbodh, D 9, S 1,0 1)

Ce qui n'a pas de support est le Soi, c'est la réalité sans concept qui est au-delà de la conscience. La réalité ne peut être ni vue ni ressentie. Cela ne peut être un objet des sens car tous les cinq sens sont gouvernés par le mental. La forme est le domaine des yeux, l'odeur celui du nez, le goût celui de la langue, le toucher celui de la peau et le son celui de l'oreille. Le mental connaît les sens et les sens connaissent les objets. Toutefois les objets ne perçoivent pas les sens et le mental ne peut pas être un objet pour les sens. Ils sont tous les trois (mental, objets, sens) les outils de la connaissance. Mais la connaissance ne peut pas être comprise par le mental. La connaissance n'est un objet que pour ce qui est au-delà d'elle. Quant à l'au-delà de la connaissance (vidgnyan), il ne saurait être l'objet de quoi que ce soit, car ici le pouvoir de connaître est absent. Il s'agit de la réalité ultime qui ne peut être ni ressentie ni imaginée. L'au-delà de la connaissance implique que la perception elle-même s'arrête là.

La réalité ultime est antérieure à toute perception, à toute idéation.

C'est pour cela qu'on ne peut la concevoir, alors que tout le reste peut être perçu. Rien ne peut apparaître dans la réalité, pas même les concepts, car il n'y a que l'Un et rien d'autre, ni pour concevoir ni pour être conçu. La réalité est non conditionnée, ce qui implique qu'aucun état ne peut l'approcher, que ce soit celui de l'ignorance, de la connaissance, de l'homme ou de Dieu. Elle ne dépend de rien et aucune pratique (jeûne, austérité ... ) ne mène à elle. Elle est désintéressée, elle ne dira jamais : « si vous remplissez les conditions requises, je viendrai à vous » ! Elle est sans fard (niranjan) car elle ne possède rien tels que les sens, le mental ou la conscience. Si la réalité pouvait être appréhendée par les yeux, ou n'importe quel autre moyen, elle serait transitoire, mais elle est éternelle (nirantar). Elle existe aussi bien dans la connaissance que dans l'ignorance, elle est dépourvue de qualité. L'oubli (tamas guna) n'est pas présent en elle, il n'est donc pas nécessaire de se la rappeler (sattva guna). Le mélange d'oubli et de conscience qui caractérise l'action de l'homme dans le monde (rajas guna) n'est pas davantage présent en elle. La réalité est sans tache (nirmal), elle est immaculée. Elle est aussi immuable (nischal) car elle a toujours existé. Elle est indicible (nishabda), elle ne peut être conçue ou décrite par les mots. Il n'y a aucun mouvement en elle (nivritta), ni celui de la connaissance, ni celui de l'ignorance. Elle ne peut être altérée par quoi que ce soit. Elle est sans nom et sans forme, car rien ne peut s'attacher à elle. Elle existe sans être née et ne peut donc pas mourir. Elle existe, mais elle est invisible. Elle ne peut être évaluée ou quantifiée, mais cela ne signifie pas qu'elle soit le néant. Elle ne peut ni croître ni décroître, elle est non identifiable (alakshaya). Aucun symbole ne peut s'appliquer à elle. Tout ce qui peut être connu est illusion et elle ne peut pas être connue. Le Soi suprême ne peut être détruit par quoi que ce soit, rien ne peut le faire disparaître. On ne peut ni le traverser ni le dépasser (apar). Il est tout pénétrant. Il est inimaginable (atarkya) et la logique échoue à l'expliquer.

Vous êtes au-delà de tout, sans dualité (Advaïta), ce qui signifie : vous seul, sans second. Le Soi est l'omnipénétrant et pourtant il est au-delà (para) de tout. Celui qui a été initié par le maître comprend le secret.



COMPTE-RENDU N° 30

Tout ce qui revêt une forme finira par être détruit. Seul le Soi existe de toute éternité ». (Dasbodh, D 9, S 2, 0 1)

Tout ce qui peut être vu ou ressenti sera un jour détruit. Le visible est le fruit de notre imagination et ce qui existe ne repose que sur la mémoire. La nuit, quand la mémoire est au repos, tout s'efface, sauf si vous êtes tourmenté par quelque chose qui vous empêche de dormir. Le sommeil est un état où le monde est oublié. Dès que nous nous oublions tout disparaît. Ce qui peut disparaître dans l'oubli n'est pas réel. La pensée implique qu'il y a souvenir, mais le Soi ne disparaît pas quand la pensée s'éteint. Le Soi existe indépendamment de l'existence des concepts car il est l'éternel, il est l'essence. Il est le réel et il n'y a pas de différence entre vous et lui, non plus qu'entre l'essence de Dieu et sa création. On lui donne de nombreux noms, mais ils ne sont là que pour faciliter la compréhension, car en réalité il n'a pas de nom.

Il est présent à l'intérieur comme à l'extérieur, mais si on se laisse emporter par les affaires du monde, on ne peut pas le comprendre. Pourtant, nous sommes Cela profondément, mais nous ne le comprenons pas. Les Écritures disent qu'il est à l'intérieur de nous, le chercheur essaye donc de le voir à l'intérieur de lui-même, mais là il ne perçoit qu'obscurité. Les Écritures disent aussi que tout ce qui est visible est transitoire et que notre propre nature n'est pas perceptible. Si l'on n'est pas disciple d'un maître accompli, on ne voit que le visible. Mais à travers l'enseignement du maître, vous pouvez obtenir la compréhension correcte de votre véritable nature. On voit tout, par et dans son propre Soi.

Vous êtes l'espace omnipénétrant, indéfinissable. Le Soi est indivisible, mais l'ego dans son développement insensé tente de créer des séparations. Il crée ces différences en disant : « je suis un homme, une femme, je suis riche ou pauvre, je suis heureux ou misérable » ... Le « je suis » a son origine dans notre propre Soi, mais l'illusion nous fait croire que nous sommes le corps et donc une entité séparée. Nous sommes le Soi qui est la source du « je suis » (Om). Le mental est comme le dieu singe Maruti, mais celui qui œuvre en arrière plan du mental est Rama, le Soi.

Étudions maintenant les caractéristiques de l'ego. Dire : « je suis le corps » est l'aliénation. Le « je » et le « mien » sont les chaînes qui entravent l'être. Affirmer au contraire : « je ne suis pas le corps, rien ne m'appartient car je ne suis pas », c'est la libération. L'ego règne en maître sur les quatre corps. Les Écritures répertorient quatre corps ou voiles recouvrant la réalité. Les quatre corps concernent l'individu, mais ils s'appliquent aussi à l'univers dans des modalités différentes. Le premier corps de l'individu s'appelle le corps physique ou grossier. Le second est le corps subtil constitué par l'instrument interne qui inclut mental, intellect, sens, etc. Le troisième est le corps causal ou l'ignorance, et le quatrième le corps supra-causal, c'est-à-dire la source de la connaissance. Les quatre corps ou plans de l'univers sont l'immensité cosmique physique (virat), le plan cosmique subtil (hiranyagarbha), le non manifesté (avyakruta), et enfin la source de la connaissance aussi appelée l'illusion primordiale (mula maya) ou Dieu.

Dans les Écritures, on parle souvent de la prière du disciple à son maître : « Donnez-moi s'il vous plaît cette connaissance qui permet à l'homme d'atteindre la réalité suprême ». Le maître lui répond : « Suis-moi et tu deviendras la réalité. Mais pour l'atteindre tu devras escalader les quatre montagnes (les quatre corps), ça ne tombera pas du ciel ! ».

L'état qui correspond au corps grossier est l'état de veille, et vous n'êtes pas cela. Libérez-vous de l'identification au corps mortel qui vous limite. Vous dites vous-même que ce corps vous appartient, mais cela implique que vous n'êtes pas lui, alors qui êtes-vous ? Trouvez-le ! On dit que le corps physique a été créé par l'intellect (le dieu Brahmadeva). Ainsi, le Soi n'est pas le corps physique, je ne peux pas être lui, puisque si Dieu est l'intelligence et que je suis Dieu, je suis donc cette intelligence subtile ! Rendez donc à Dieu ce qui lui appartient. Dans un premier temps, on s'identifie à l'esprit subtil pour échapper au corps physique, mais voilà que ce qui constitue le corps subtil n'est pas moi non plus ! L'état qui s'attache au corps subtil est celui du rêve. Ce corps subtil contient la conscience individuelle, le mental, l'intellect et tous les sens qui ne sont pas « vous » mais « vôtres ». Le corps subtil appartient à Vishnou, rendez donc à Vishnou ce qui lui appartient !

Les sens impliquent la tentation des objets du monde et si vous y succombez, vous êtes assurés de la déchéance. Mais si vous vous détachez de ce monde, vous entrez alors dans le rien, c'est-à-dire le vide. C'est le néant de l'ignorance ou corps causal. Tout y est détruit et anéanti. On l'attribue à l'état du sommeil et la déité qui s'y rattache est Rudra, l'obscurité. Mais Rudra coexiste avec Shiva, la connaissance. L'ignorance et la connaissance ne sont pas des états séparés. Rudra en fait est Shiva plongé dans l'obscurité. Pour dissiper l'obscurité dans laquelle vous plonge l'ignorance, vous devez vous réveiller en allumant la lampe de la connaissance. Cette ignorance doit être rendue à Rudra ; que le néant retourne au néant ! C'est la troisième étape dans l'escalade de la montagne des quatre corps de l'homme, celle du sommeil qui est loin derrière désormais.

Maintenant il ne reste plus rien, sauf celui qui a transcendé les trois corps précédents. La conscience d'être se maintient, autrement dit, le « je » est toujours là sous la forme de sat-chit-ananda (être, conscience, félicité). Le corps supra-causal est appelé Shiva ou Brahman, c'est le Soi sous sa forme divine. Quand la nuit de Shiva (Shivaratri) prend fin, le jour de Shiva commence (Shivadini). Cela signifie que l'on a atteint la connaissance de soi. Dans le corps supra-causal vous réalisez que vous êtes Shiva, le Dieu de la connaissance. Le « je » est celui de l'individu limité dans les trois premiers corps, mais dans le quatrième il prend la forme divine de la connaissance. Les êtres éveillés disent alors : « j'assume la forme de la connaissance, je suis le Soi qui donne vie aux trois corps ». L'homme qui s'efforce de comprendre et qui pratique avec diligence « je suis le Soi » (aham Brahmasmi) est certain de l'expérimenter, tandis que celui qui dit : « je suis le corps » ne peut que mourir avec le désir d'un corps et il reprendra naissance inévitablement. Le désir du corps doit être fort pour reprendre naissance, s'il ne l'était pas vous ne vous réincarneriez pas.

Le mental est à l'origine de l'aliénation comme d'ailleurs de la libération. Le corps subtil se trouve entre Dieu d'un côté et le démon des cinq éléments de l'autre ! Si vous affirmez, ne serait-ce qu'une fois, que « je ne suis pas » (na aham), vous pouvez atteindre la libération. Le Seigneur est celui dont la présence anime ce cadavre qu'est le corps, c'est le « je suis » du quatrième corps, mais lui aussi doit être transcendé. L'ego subtil du « je suis » qui est identique à Dieu est aussi destiné à disparaître. Au-delà du « je suis » se trouve la réalité finale où il n'y a ni aliénation ni libération. Le Soi suprême est au-delà de tous les états.

C'est seulement quand vous avez escaladé les montagnes des quatre corps que vous devenez la réalité enfin dévoilée. Lorsque vous avez atteint le quatrième corps, vous déclamez : « je suis l'essence de la connaissance », mais il s'agit toujours d'un état où le « je » est présent. Vous êtes, sans avoir à le dire, ni à vous rappeler de quoi que ce soit. On vous a dit que vous étiez la connaissance afin que vous vous compreniez correctement, mais lorsqu'on affirme : « je suis le Soi, je suis la connaissance », on est toujours dans l'ego. C'est un ego subtil bien sûr, mais que vous devez abandonner malgré tout. Toutes les affirmations depuis « je suis un homme », jusqu'à « je suis le Soi » ou encore « je suis un éveillé », sont des illusions ! Le Soi suprême se situe au-delà de la connaissance et de l'ignorance.

De manière à aiguiser votre discernement quant à l'ego, je vais vous en dire un peu plus. L'ego est la nuit qui a enveloppé Shiva, il a été créé dans l'ignorance et c'est par la connaissance qu'on en sort. Mais ensuite, il faut également transcender la connaissance, car dire : « Je suis la connaissance ou la conscience », c'est toujours faire preuve d'ego. Le disciple vigilant comprend que l'ego réside là également.

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