Passé, présent, futur, ils sont tous là.
Et infiniment plus
par Sri Nisargadatta Maharaj
Source : Sri Nisargadatta Maharaj « Je Suis » - Les Deux Océans – Paris
En vérité, votre état est la Félicité Absolue, pas cet état du monde du phénomène. Dans l'état du non-phénomène vous êtes félicité totale, mais vous n'en pouvez faire l'expérience. Dans cet état il n'y a ni misère ni malheur, seulement une pure félicité.
Hors du Soi il n'y a rien. Tout est un, et tout est contenu dans « je suis ». Dans les états de veille et de rêve, c'est la personne. Dans le sommeil profond et turiya (4° état), c'est le Soi. Au-delà de l'intense concentration de turiya s'étend la grande paix silencieuse du Suprême. Mais en fait tout n'est qu'un en l'essence et relatif en apparence.
12
Q : S'il vous plaît, dites-nous comment avez-vous réalisé ?
M : J'ai rencontré mon Guru quand j'avais 34 ans et j'ai été réalisé à 37 ans.
Q : Qu'est-il arrivé ? Quel fut le changement ?
M : Le plaisir et la souffrance perdirent leur empire sur moi. J'étais libéré du désir et de la peur. Je me trouvais complet, je n'avais besoin de rien. Je ne vis que dans l'océan de la Pure Conscience, à la surface de la conscience universelle, les vagues sans nombre du monde phénoménal se lèvent et se creusent sans commencement ni fin. En tant que conscience, elles sont toutes moi. En tant qu'événements, elles sont toutes miennes. Il y a une puissance mystérieuse qui veille sur elles. Cette puissance c'est la Pure Conscience, Soi, Vie, Dieu, quel que soit le nom que vous lui donniez. C'est le fondement, l'ultime support de tout ce qui est, comme l'or est le constituant fondamental des bijoux. Et elle est si intimement nôtre ; faites abstraction du nom et de la forme du joyau, l'or devient évident. Libérez-vous de la forme et du nom, du désir et de la peur qu'ils créent, que reste-t-il ?
Q : Le néant.
M : Oui, le vide. Mais le vide est plein à ras bords. C'est la potentialité éternelle, comme la conscience est l'éternel présent.
Q : Par potentialité, voulez-vous dire le futur ?
M : Passé, présent, futur, ils sont tous là. Et infiniment plus.
Q : Mais puisque le vide est vide il nous est de peu d'utilité.
M : Comment pouvez-vous parler ainsi ? Sans brèche dans la continuité, comment pourrait-il y avoir re-naissance ? Peut-il y avoir renouveau sans mort ? Même l'obscurité du sommeil est rafraîchissement et rajeunissement. Sans la mort nous serions à jamais enlisés dans l'éternelle sénilité.
Q : L'immortalité n'existerait pas en tant que telle ?
M : Quand la vie et la mort sont perçues comme essentielles l'une à l'autre, comme les deux aspects d'un même être, c'est l'immortalité. Voir la fin dans le commencement et le commencement dans la fin, c'est signe d'éternité. L'immortalité n'est absolument pas la continuité. Seul le processus du changement est continu. Rien ne dure.
Q : La Pure Conscience (awareness) dure-t-elle ?
M : La Pure Conscience est étrangère au temps. Le temps n'existe que dans la conscience. Au-delà de la conscience, où sont le temps et l'espace ?
Q : Dans le champ de votre conscience il y a, aussi, votre corps.
M : Bien sûr. Mais l'idée « mon corps » en tant que différent des autres corps en est absente. Pour moi c'est « un corps », pas « mon corps », c'est « un mental », pas « mon mental ». Le mental prend parfaitement soin du corps, je n'ai pas à intervenir. Ce qui doit être fait se fait, d'une manière normale et naturelle.
Vous pouvez ne pas être tout à fait conscient de vos fonctions physiologiques, mais dès qu'il s'agit des pensées et des sentiments, des désirs et des peurs, vous devenez intensément conscient de vous-même. Chez moi, tout cela est largement inconscient. Il m'arrive de parler à des gens, ou de faire quelque chose, parfaitement normalement, sans en être très conscient. C'est comme si je menais ma vie physique, ma vie de veille, automatiquement, réagissant avec spontanéité et précision.
Q : Cette réponse spontanée est-elle un résultat de votre réalisation ou d'un entraînement ?
M : Des deux. La dévotion à votre but vous amène à vivre une vie propre et ordonnée, consacrée à la recherche de la vérité et à aider les autres. Et la réalisation rend facile et spontanée la noble vertu en effaçant pour de bon les obstacles que sont les désirs et les peurs, et les idées fausses.
Q : Vous n'avez donc plus ni désir ni peur ?
M : Ma destinée est d'être né comme un homme simple, quelqu'un du commun, un humble commerçant, sans éducation conventionnelle. Ma vie fut très ordinaire, avec des craintes et des désirs communs. Quand, grâce à ma foi en mon maître et à l'obéissance à ses instructions, j'ai réalisé mon être véritable, j'ai laissé derrière moi ma nature humaine prendre soin d'elle-même jusqu'à ce que sa destinée soit accomplie. Occasionnellement une ancienne réaction, émotionnelle ou mentale, surgit dans mon esprit, mais elle est immédiatement remarquée et rejetée. Après tout, tant qu'on est encombré d'une personne, on est victime de ses idiosyncrasies et de ses habitudes.
Q : N'avez-vous pas peur de la mort ?
M : Je suis déjà mort.
Q : Dans quel sens ?
M : Je suis doublement mort. Je suis non seulement mort à mon corps, je suis également mort à mon esprit.
Q : D'accord, mais vous ne paraissez pas mort du tout.
M : C'est vous qui le dites ! Vous semblez connaître mon état mieux que je ne le connais.
Q : Je suis désolé, mais je ne comprends simplement pas. Vous dites être sans corps et sans esprit alors que je vous vois parfaitement vivant et cohérent.
M : Êtes-vous conscient du travail terriblement complexe qui se fait dans votre cerveau et dans votre corps ? Pas du tout. Cependant, pour un observateur extérieur, tout paraît marcher intelligemment et à dessein. Pourquoi ne pas admettre, que l'intégralité de la vie de la personne puisse plonger très au-dessous du seuil de la conscience, et puisse, malgré ça, continuer raisonnablement et sans à-coup.
Q : Est-ce normal ?
M : Qu'est-ce qui est normal ? Votre vie qu'obsèdent les désirs et les peurs, votre vie pleine de querelles et de luttes, votre vie qui n'a ni sens ni joie, est-elle normale ? D'être si vivement conscient de votre corps, est-ce normal ? D'être déchiré par les sentiments, torturé par les pensées, est-ce normal ? Un corps sain, un esprit sain vivent sans que leur propriétaire les remarquent, ou à peine ; occasionnellement, à cause de douleurs ou de souffrances, ils demandent de l'attention et de la lucidité. Pourquoi ne pas agir ainsi pour la totalité de votre vie individuelle ? On peut vivre convenablement, en réagissant bien et complètement à tout ce qui peut arriver, sans avoir à l'amener au centre de la conscience. Quand le contrôle de soi devient une seconde nature, la Pure Conscience (awareness) se concentre sur des plans plus profonds d'existence et d'action.
Q : Ne devenez-vous pas un robot ?
M : Quel mal y a-t-il à automatiser ce qui est habituel et répétitif ? C'est, de toute façon, automatique. Mais quand c'est en plus chaotique, c'est une cause de douleurs et de souffrances qui réclament notre attention. L'unique dessein d'une vie propre et ordonnée, c'est de libérer l'homme de l'esclavage du chaos et du poids de la misère.
Q : Vous paraissez être partisan d'une vie réglée par un ordinateur.
M : Qu'y a-t-il de mauvais dans une vie libre de problèmes ? La personnalité n'est qu'un reflet du réel. Pourquoi le reflet ne serait-il pas fidèle à l'original, naturellement, automatiquement ? L'individu a-t-il besoin d'avoir des desseins qui lui soient propres ? La vie, dont il est une expression, le guidera. Une fois que vous avez réalisé que l'individu n'est qu'un reflet de la réalité, mais pas la réalité, vous cessez de vous agiter et de vous tracasser. Vous acceptez d'être guidé de l'intérieur et la vie devient un voyage dans l'inconnu.