En réalité vous êtes infini et éternel
par Sri Nisargadatta Maharaj
Source : Sri Nisargadatta Maharaj « Je Suis » - Les Deux Océans – Paris
En vérité, votre état est la Félicité Absolue, pas cet état du monde du phénomène. Dans l'état du non-phénomène vous êtes félicité totale, mais vous n'en pouvez faire l'expérience. Dans cet état il n'y a ni misère ni malheur, seulement une pure félicité.
Hors du Soi il n'y a rien. Tout est un, et tout est contenu dans « je suis ». Dans les états de veille et de rêve, c'est la personne. Dans le sommeil profond et turiya (4° état), c'est le Soi. Au-delà de l'intense concentration de turiya s'étend la grande paix silencieuse du Suprême. Mais en fait tout n'est qu'un en l'essence et relatif en apparence.
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Q : Je suis allé de lieu en lieu, étudiant les différentes variétés de yoga qu'il est possible de pratiquer et je n'ai pas pu décider de celui qui me conviendrait le mieux. J'accepterais avec reconnaissance tout avis compétent. Le résultat de mes recherches, c'est qu'aujourd'hui je suis tout simplement fatigué de cette idée de découvrir la vérité. Cela me semble aussi inutile qu'ennuyeux. La vie est plaisante telle qu'elle est et je ne vois pas de raison de l'améliorer.
M : Il est bien naturel que vous demeuriez dans votre félicité, mais le pouvez-vous ? La jeunesse, la vigueur, l'argent, tout cela passera plus tôt que vous ne l'escomptez. La misère, que vous avez esquivée, vous poursuivra. Si vous voulez vous mettre à l'abri de la souffrance, il faut que vous fassiez la moitié du chemin et que vous la preniez à bras le corps. Renoncez à vos habitudes et à vos inclinations, menez une vie simple et sobre, ne blessez pas d'êtres vivants, c'est la base du yoga. Pour trouver la réalité il faut que vous soyez réel dans le moindre de vos actes quotidiens. On ne peut pas éprouver de déception dans la quête de la vérité. Vous dites trouver votre vie savoureuse ; peut-être est-ce le cas aujourd'hui ? Mais qui en jouit ?
Q : Je dois avouer que je ne connais pas le jouisseur, pas plus que je ne connais ce dont il jouit, je ne connais que la jouissance.
M : Très juste. Mais la jouissance est un état mental, elle va et vient. C'est son impermanence qui la rend perceptible. Vous ne pouvez pas être conscient de ce qui ne change pas. Toute conscience est conscience du changement. Mais la perception du changement ne nécessite-t-elle pas un arrière-plan immuable ?
Q : Absolument pas. Le souvenir du dernier état, comparé à la réalité de l'état présent vous donne l'expérience du changement.
M : Il y a une différence fondamentale, qu'on peut observer à tout instant, entre ce dont on se souvient et ce qui est actuel. En aucun point du temps, l'actuel n'est le souvenir. Entre les deux, il y a une différence de nature, pas seulement d'intensité. L'actuel est manifestement l'actuel. Aucun effort de volonté ou d'imagination ne vous permettra de les permuter. Maintenant, dites-moi ce qui donne cette qualité unique à l'actuel ?
Q : L'actuel est réel alors qu'il y a une grande part d'incertitude dans le souvenir.
M : Exactement, mais pourquoi ? Il y a un instant, le souvenir était actuel, dans un instant, l'actuel deviendra souvenir. Qu'est-ce qui fait la singularité de l'actuel ? C'est évidemment votre sensation d'être présent. Dans la mémoire comme dans l'anticipation, on ressent clairement que sont des états mentaux que l'on observe, alors que dans l'actuel, nous avons, avant tout, la sensation d'être présent et conscient.
Q : Oui, je vois. C'est la présence (awareness) qui crée cette différence entre l'actuel et le souvenir. On pense au passé ou au futur, mais dans le maintenant on est présent.
M : Cette sensation d'ici et maintenant, vous la portez toujours et partout en vous. Ce qui veut dire que vous êtes indépendant du temps et de l'espace, que l'espace et le temps sont en vous et non vous en eux. C'est votre auto-identification au corps, qui bien sûr est limité dans le temps et dans l'espace, qui vous donne ce sentiment de finitude. En réalité vous êtes infini et éternel.
Q : Comment puis-je connaître ce soi infini et éternel qui est le mien ?
M : Ce soi que vous désirez connaître, est-ce quelque deuxième soi ? Êtes-vous constitué de plusieurs soi ? Il n'y a certainement qu'un seul soi, et vous êtes ce soi. Le Soi que vous êtes est le seul qui existe. Supprimez et rejetez les opinions fausses que vous avez de vous-même et le voilà dans toute sa gloire. Ce n'est que votre mental qui empêche la connaissance de soi.
Q : Comment vais-je me débarrasser du mental ? Et au plan humain, la vie est-elle possible sans mental ?
M : Le mental n'existe pas en tant que chose. Il n'y a que des idées et certaines sont fausses. Rejetez les idées fausses parce qu'elles sont fausses et qu'elles occultent la vision de vous-même.
Q : Quelles sont les idées fausses, et lesquelles sont justes ?
M : Les affirmations sont généralement fausses et les négations justes.
Q : On ne peut pas vivre en niant toute chose.
M : On ne peut vivre qu'en niant. L'affirmation est esclavage. Il est indispensable de questionner et de nier. C'est là l'essence de la révolte et sans révolte il ne peut y avoir de liberté. Il n'y a pas de second soi, ou de soi supérieur, à chercher, contentez-vous d'abandonner les idées fausses que vous avez de vous-même. La foi et la raison vous disent que vous n'êtes ni le corps avec ses désirs et ses craintes, ni le mental avec ses idées fantaisistes, ni le rôle que la société vous contraint de jouer, la personne que vous êtes supposé être. Abandonnez le faux et le vrai viendra de lui-même. Vous dites vouloir connaître votre soi. Vous êtes votre soi ; vous ne pouvez être rien d'autre que ce que vous êtes. La connaissance est-elle séparée de l'existence ? Tout ce que vous pouvez connaître par le mental participe du mental mais pas vous ; de vous, vous ne pouvez que dire : « je suis, je suis présent, j'aime cela ».
Q : Je trouve qu'être vivant est un état pénible.
M : Vous ne pouvez pas être vivant puisque vous êtes la vie même. C'est la personne que vous vous imaginez être qui souffre, pas vous. Dissolvez-la dans la Présence car ce n'est qu'un amas de souvenirs et d'habitudes. Entre la conscience du non-réel et la présence du réel il y a un gouffre que vous franchirez aisément quand vous aurez maîtrisé l'art de la présence pure.
Q : Tout ce que je sais, c'est que je ne me connais pas moi-même.
M : Comment savez-vous que vous ne connaissez pas votre soi ? Votre regard intérieur vous dit directement que c'est vous que vous connaissez en premier car rien n'existe, pour vous, sans que vous soyez là pour en éprouver l'existence. Vous imaginez ne pas connaître votre soi parce que vous ne pouvez le décrire. Vous pouvez toujours dire : « Je sais que je suis », mais vous refuserez comme fausse l'affirmation : « Je ne suis pas », mais tout ce qui peut être décrit ne peut pas être votre soi et ce que vous êtes ne peut pas être décrit. Vous ne pouvez connaître votre soi qu'en étant vous-même, sans toutefois tenter de vous définir ou de vous décrire. Une fois que vous avez compris que vous n'êtes rien de perceptible ni de concevable, que tout ce qui apparaît dans le champ de la conscience ne peut pas être votre soi, vous vous attacherez à l'éradication de toute auto-identification, ceci étant la seule voie qui puisse vous mener à une réalisation plus profonde de votre soi. Vous progressez en rejetant comme une fusée à réaction, littéralement. Savoir que vous n'êtes ni dans le corps ni dans le mental bien que vous soyez conscient des deux est déjà connaissance de soi.
Q : Si je ne suis ni le mental ni le corps, comment puis-je en avoir conscience ? Comment puis-je percevoir quelque chose qui m'est totalement étranger.
M : « Rien n'est moi » est le premier pas. « Tout est moi » est le suivant. Ces deux affirmations dépendent de l'idée : « Il y a un monde ». Quand vous avez rejeté aussi cette idée, vous restez ce que vous êtes : le Soi non-duel. Vous êtes lui, ici et maintenant, mais votre vision est obnubilée par les opinions fausses que vous avez de vous-même.
Q : Soit ! j'admets que je suis, que je fus, que je serai, tout au moins de la naissance à la mort. Je ne doute pas de mon existence ici et maintenant, mais je trouve que ce n'est pas suffisant. Ma vie manque de cette joie qui naîtrait de l'harmonie entre l'intérieur et l'extérieur. Si je suis seul, si le monde n'est qu'une simple projection, pourquoi n'y a-t-il pas harmonie ?
M : Vous créez cette absence d'harmonie, puis vous vous en plaignez ! Quand vous éprouvez un désir, quand vous avez peur, quand vous vous identifiez à vos sentiments, vous créez la misère et l'esclavage. Quand vous créez avec amour et sagesse et que vous restez détaché de vos créations, il en résulte l'harmonie et la paix. Mais quelle que soit la condition de votre mental, comment se réfléchit-il sur vous ? Ce n'est que votre identification au mental qui vous rend heureux ou malheureux. Rebellez-vous contre cet esclavage où vous tient le mental, comprenez que vos liens se créent eux-mêmes et brisez les chaînes de l'attachement et de la répulsion. Gardez présent dans le mental votre but qui est la liberté jusqu'à ce que vous preniez conscience que vous êtes déjà libre, que la liberté n'est pas quelque chose situé dans un lointain avenir, et qu'il faut gagner au prix d'efforts pénibles, mais qui est vôtre de toute éternité pour que vous en fassiez usage ! La libération n'est pas une acquisition mais une question de courage, le courage de croire que vous êtes déjà libre et celui d'agir en conséquence.
Q : Si je fais ce que je veux, j'en souffrirai.
M : Vous êtes néanmoins libre. Les conséquences de vos actes dépendront de la société dans laquelle vous vivrez et de ses conventions.
Q : Je peux agir témérairement.
M : Avec le courage vous viendront la sagesse, la compassion et l'adresse dans l'action, vous saurez ce qu'il faut faire et tout ce que vous ferez sera accompli pour le bien de tous.
Q : Je sens que les différents aspects de moi-même sont en conflit et qu'il n'y a pas de paix en moi. Où sont la liberté et le courage, la sagesse et la compassion ? Mes actes ne font qu'agrandir le gouffre dans lequel je vis.
M : Tout cela arrive parce que vous vous prenez pour quelqu'un ou quelque chose. Arrêtez-vous, regardez, interrogez, posez les bonnes questions, arrivez aux conclusions justes et ayez le courage d'agir en accord avec elles et voyez ce qui arrive. Le premier pas peut vous faire tomber le ciel sur la tête, mais le choc passera très vite et vous jouirez de la paix et de la joie. Vous savez bien des choses sur vous, mais celui qui connaît, vous ne le connaissez pas. Découvrez qui vous êtes, celui qui connaît le connu. Regardez en vous-même avec application, rappelez-vous de vous souvenir que ce qui est perçu ne peut pas être ce qui perçoit. Quoi que vous voyiez, entendiez ou pensiez, rappelez-vous : vous n'êtes pas ce qui arrive, vous êtes celui à qui cela arrive. Plongez profondément dans le sentiment « je suis » et vous découvrirez sûrement que le centre de la perception est universel, aussi universel que la lumière qui illumine le monde. Tout ce qui arrive dans l'univers vous arrive, à vous, le témoin silencieux. D'un autre côté, tout ce qui est fait se fait par vous, l'énergie universelle et inépuisable.
Q : Il est assurément très gratifiant de s'entendre dire que l'on est le témoin silencieux et l'énergie universelle. Mais comment passe-t-on de l'affirmation verbale à la connaissance directe ? Entendre, ce n'est pas connaître.
M : Avant que vous puissiez connaître une chose directement vous devez connaître celui qui connaît. Jusqu'à présent vous l'avez pris pour le mental, mais ce n'est pas lui. Le mental vous encombre d'images et d'idées qui laissent les cicatrices dans la mémoire. Vous prenez le souvenir pour la connaissance. La vraie connaissance est toujours fraîche, nouvelle, inattendue. Elle sourd de l'intérieur. Quand vous savez ce que vous êtes, vous êtes aussi ce que vous connaissez. Entre connaître et être, il n'y a pas de fossé.
Q : Je ne peux étudier le mental qu'avec le mental.
M : Mais naturellement, utilisez votre mental pour connaître le mental. C'est parfaitement légitime, et c'est également la meilleure préparation pour aller au-delà. Exister, connaître, jouir, cela est à vous. Mais commencez par réaliser votre être. C'est facile car la sensation « je suis » vous est toujours présente. Ensuite, faites connaissance avec vous-même en tant que celui qui connaît séparé du connu. Dès que vous vous connaissez en tant qu'être pur, l'extase de la liberté est à vous.
Q : Quel yoga est-ce là ?
M : Pourquoi vous en soucier ? Ce qui vous a poussé à venir ici, c'est que la vie, telle que vous la connaissez, vous déplaît, la vie de votre corps et de votre mental. Vous pouvez essayer de les améliorer en les contrôlant et en les pliant à un idéal, ou vous pouvez trancher le nœud de l'auto-identification et considérer votre corps et votre mental comme quelque chose qui arrive sans que cela vous engage de la moindre façon.
Q : Peut-on appeler la voie du contrôle et de la discipline le raja yoga, la voie du détachement le jnana yoga, et la dévotion à un idéal le bhakti yoga ?
M : Si cela peut vous faire plaisir. Les mots signalent mais il n'expliquent pas. Ce que j'enseigne est la voie antique et simple de la libération par la compréhension. Comprenez votre mental et la prise qu'il a sur vous se cassera net. Le mental ne comprend pas, c'est sa nature même. Quel que soit le nom que vous lui donniez, la compréhension juste est le seul remède, le premier mais aussi le dernier parce qu'il traite le mental tel qu'il est.
Rien de ce que vous faites ne vous changera parce que vous n'avez pas besoin de changer. Vous pouvez modifier votre mental ou votre corps, mais ce qui se modifie est toujours quelque chose d'extérieur à vous-même, et non pas vous-même. Pourquoi même se soucier de changer ? Réalisez une fois pour toutes que ni votre corps, ni votre mental, ni même votre conscience ne sont vous-même et demeurez seul dans votre véritable nature, au-delà de la conscience et de l'inconscience. Aucun effort ne vous y amènera, seule la limpidité de votre compréhension le peut. Il vous suffit de cerner votre incompréhension et de la rejeter. Il n'y a rien à chercher ni à trouver car il n'y a rien de perdu. Relâchez-vous et regardez le « je suis ». La réalité est juste derrière. Soyez tranquille, soyez silencieux ; elle émergera, ou plutôt, elle vous accueillera en elle.
Q : Faut-il que je commence par me débarrasser de mon corps et de mon mental ?
M : Ce n'est pas possible, cette idée même vous y attache. Comprenez seulement et n'en tenez plus compte.
Q : Je suis incapable de n'en pas tenir compte car je ne suis pas intégré.
M : Imaginez que vous soyez pleinement intégré, vos actions et vos pensées parfaitement coordonnées. En quoi cela vous aiderait-il ? Cela ne vous empêcherait pas de vous prendre, à tort, pour le corps et le mental. Il suffit de les voir comme n'étant pas vous, c'est tout.
Q : Vous voulez que je me souvienne d'oublier !
M : Oui, c'est un peu ça. Mais ce n'est pas sans espoir. Vous pouvez le faire. Mais mettez-vous à la tâche avec zèle. Vos tâtonnements aveugles sont pleins de promesses. Votre recherche même est la découverte. Vous ne pouvez pas échouer.
Q : Parce que nous ne sommes pas intégrés, nous souffrons.
M : Nous souffrirons tant que nos pensées et nos actes nous seront inspirés par les désirs et les peurs. Voyez-en la futilité, et le danger et le chaos qu'ils représentent disparaîtront. N'essayez pas de vous réformer mais voyez plutôt la vanité de tout changement. Le changeant se modifie sans cesse alors que l'immuable attend. N'espérez pas que le changeant vous mènera à l'immuable, cela ne pourra jamais se faire. Ce n'est que lorsque l'idée même de changement est perçue comme fausse, puis abandonnée, que l'immuable s'impose.
Q : Partout où je vais, on me dit qu'il faut que je change profondément avant de pouvoir percevoir le réel. On appelle yoga ce processus de changement délibéré que l'on s'impose à soi-même.
M : Tout changement n'affecte que le mental. Pour être ce que vous êtes, vous devez aller au-delà du mental dans votre être réel. Ce qu'est ce mental que vous laissez derrière n'est pas important pourvu que vous le laissiez pour de bon. Cela non plus n'est pas possible sans la réalisation de soi.
Q : Qu'est-ce qui vient en premier, l'abandon du mental ou la réalisation de soi ?
M : Sans contredit, la réalisation vient la première. Le mental ne peut pas se dépasser lui-même, il doit exploser.
Q : Pas d'exploration avant l'explosion ?
M : La charge explosive vient du réel. Mais il est fortement conseillé d'avoir un mental qui y soit préparé. Il est toujours possible que la peur soit la cause de retards jusqu'à ce qu'une nouvelle occasion se présente.
Q : Je pensais qu'il y avait toujours une chance.
M : En théorie, oui. En pratique, une situation doit se manifester où tous les facteurs nécessaires à la réalisation de soi sont présents. Que cela ne vous décourage pas. Le fait que vous demeuriez dans le « je suis » créera rapidement une autre chance car l'attitude attire l'occasion. Tout ce que vous connaissez n'est que de seconde main, seul le « je suis » ne l'est pas et ne nécessite pas de preuve. Demeurez en lui.