Le Suprême est au-delà de ce que conçoit le mental. Il transcende l'être et le non-être. Il est le Oui et le Non à toute chose, au-delà et dedans, créant et détruisant, inconcevablement réel par Sri Nisargadatta Maharaj
Source : Sri Nisargadatta Maharaj « Je Suis » - Les Deux Océans – Paris
En vérité, votre état est la Félicité Absolue, pas cet état du monde du phénomène. Dans l'état du non-phénomène vous êtes félicité totale, mais vous n'en pouvez faire l'expérience. Dans cet état il n'y a ni misère ni malheur, seulement une pure félicité.
Hors du Soi il n'y a rien. Tout est un, et tout est contenu dans « je suis ». Dans les états de veille et de rêve, c'est la personne. Dans le sommeil profond et turiya (4° état), c'est le Soi. Au-delà de l'intense concentration de turiya s'étend la grande paix silencieuse du Suprême. Mais en fait tout n'est qu'un en l'essence et relatif en apparence.
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Q : Quelques Mahatmas (éveillés) soutiennent que le monde n'est ni un accident ni un jeu de Dieu, mais le résultat et la manifestation d'un plan grandiose visant à l'éveil et au développement de la conscience dans l'ensemble de l'univers. De l'absence de vie à la vie, de l'inconscience à la conscience, de la pesanteur à l'intelligence radieuse, des idées fausses à la clarté, telle est la direction vers laquelle le monde tend sans cesse et implacablement. Il y a, bien sûr, des moments de repos et d'obscurité apparente où l'univers semble assoupi. Mais le repos s'achève et le travail de la conscience reprend. De notre point de vue, le monde est une vallée de larmes, un lieu d'où il faut s'échapper dès que possible et par tous les moyens ; aux yeux des sages, le monde est bon car le but qu'il sert est bon. Ils ne nient pas que le monde soit une structure mentale et que, fondamentalement, tout soit un, mais ils voient et affirment que cette structure a un sens et sert un dessein suprêmement désirable. Ce que nous appelons la volonté de Dieu n'est pas la toquade d'une divinité capricieuse, mais la manifestation d'une absolue nécessité de croître en amour, en sagesse et en puissance, d'actualiser les potentialités infinies de la vie et de la conscience. Tout comme un jardinier fait éclore des fleurs à partir d'une graine minuscule jusqu'à la perfection superbe de la fleur, ainsi Dieu, dans son jardin, fait naître de l'homme, parmi les autres êtres, un homme supérieur qui connaît, aime et travaille avec Lui. Quand Dieu se repose (pralaya), ceux dont la croissance n'était pas achevée deviennent, pour un temps, inconscients pendant que les parfaits qui transcendent toutes les formes et tous les contenus de la conscience demeurent conscients du silence éternel. Quand vient le temps de la naissance d'un nouvel univers, les dormeurs s'éveillent et le travail commence. Les plus avancés s'éveillent les premiers et préparent le terrain pour les moins avancés afin que ceux-ci trouvent des formes et des modèles de conduite convenables à leur progression. Voici l'histoire. La différence avec votre enseignement se trouve là :
Vous persistez à dire que le monde n'est pas bon et qu'il faut le fuir. Ils disent que ce dégoût pour le monde est un état de transition, nécessaire mais éphémère, qui est bientôt remplacé par un amour qui pénètre tout et une ferme volonté de travailler avec Dieu.
M : Tout ce que vous dites est vrai de la voie dirigée vers l'extérieur (pravritti). En ce que concerne la voie du retour (nivritti), elle exige la négation totale de soi. Je me tiens là où rien n'existe (paramakash). Là, les mots ne parviennent pas, ni les pensées. Pour le mental ce n'est qu'obscurité et silence. Alors, la conscience commence à aiguillonner et réveiller le mental (chidakash) qui projette le monde (mahakash) bâti de mémoire et d'imagination. Une fois que le monde est parvenu à l'existence, il peut en être comme vous dites. Il est dans la nature du mental d'imaginer des buts, de lutter pour eux, de chercher des moyens et des voies, de faire preuve de vision, d'énergie et de courage. Ce sont des attributs divins, je ne le nie pas. Mais je me situe là où n'existe aucune différence, où ne sont ni les choses, ni le mental qui les crée. Là, je suis chez moi. Quoi qu'il arrive, cela ne m'affecte pas, les choses agissent sur les choses, c'est tout. Libéré de la mémoire et de l'espérance, je suis alerte, innocent et chaleureux. Le mental est le grand travailleur (mahakarta) et il a besoin de repos. N'ayant besoin de rien, je suis sans crainte. De qui aurais-je peur ? Il n'y a pas de séparation, nous ne sommes pas des soi distincts. Il n'y a qu'un Soi, la Réalité Suprême dans laquelle le personnel et l'impersonnel sont un.
Q : Tout ce que je veux, c'est être capable d'aider le monde.
M : Qui a dit que vous ne pouviez pas le faire ? Vous vous êtes fait une idée de ce que signifie aider, et de ce que cela implique, et vous avez plongé votre soi dans un conflit entre ce que vous devriez faire et ce que vous pouvez faire, entre la nécessité et la possibilité.
Q : Mais pourquoi agissons-nous ainsi ?
M : Votre esprit projette une structure et vous vous identifiez à elle. Il est dans la nature du désir de pousser le mental à créer un monde en vue de son assouvissement. Même un petit désir peut être à l'origine d'une longue chaîne d'actes ; et un grand désir donc ! Un désir peut produire un univers ; ses pouvoirs sont miraculeux. Comme une petite allumette peut mettre le feu à une immense forêt, le désir allume les feux de la manifestation. La satisfaction du désir est le but même de la création. Le désir peut être noble ou vil, l'espace (akash) est neutre, on peut le remplir avec ce que l'on veut. Il faut être très précautionneux avec ses désirs. Et en ce qui concerne les personnes que vous voulez aider, elles sont dans leurs mondes respectifs à cause de leurs désirs, on ne peut les aider qu'au travers de leurs désirs. Vous ne pouvez que leur enseigner le désir juste afin qu'elles puissent s'élever au-dessus d'eux et qu'elles soient libérées de l'incitation à créer et à recréer des mondes de désirs, demeures de souffrance et de plaisir.
Q : Il doit bien venir un jour où la comédie est terminée ; un homme doit mourir, un univers disparaître.
M : Comme un homme endormi oublie tout et s'éveille à un nouveau jour, ou bien meurt et s'éveille à une nouvelle vie, les mondes de désirs et de peurs se dissolvent et disparaissent. Mais le témoin universel, le Soi Suprême ne dort ni ne meurt jamais. Le Grand Cœur bat éternellement, et à chaque battement naît un nouvel univers.
Q : Est-il conscient ?
M : Il est au-delà de ce que conçoit le mental. Il transcende l'être et le non-être. Il est le Oui et le Non à toute chose, au-delà et dedans, créant et détruisant, inconcevablement réel.
Q : Dieu et le Mahatma sont-ils un ou deux ?
M : Ils sont un.
Q : Il doit bien y avoir quelques différences.
M : Dieu est le Tout-Agissant, le jnani est un non-agissant. Dieu lui-même ne dit pas « je fais tout ». A ses yeux, les choses arrivent par leur propre nature. Pour le jnani tout est fait par Dieu. Il ne voit pas de différence entre Dieu et la nature. Dieu et le jnani se connaissent tous les deux comme le centre immobile du mobile, le témoin éternel de l'éphémère. Le centre est un point vide et le témoin un point de pure présence (awareness) ; ils savent qu'ils ne sont rien et que rien, donc, ne peut leur résister.
Q : A quoi cela ressemble-t-il dans l'expérience personnelle, et que ressent-on ?
M : N'étant rien, je suis tout. Tout est moi, tout est mien. De même que mon corps est mû par la simple pensée du moment en mouvement, les choses se produisent quand je les pense. Notez bien, je ne fais rien, je les vois simplement se produire.
Q : Les choses arrivent-elles comme vous voulez qu'elles arrivent, ou voulez-vous qu'elles arrivent telles qu'elles arrivent ?
M : Les deux. J'accepte et je suis accepté. Je suis tout et tout est moi. Étant le monde, je n'ai pas peur du monde. Étant tout, de quoi aurais-je peur ? L'eau n'a pas peur de l'eau, pas plus que le feu n'a peur du feu. De plus je n'ai pas peur car je ne suis rien qui pourrait ressentir la peur ou qui pourrait se trouver en danger. Je n'ai ni nom ni forme. C'est l'attachement à un nom et à une forme qui nourrit la peur. Je ne suis pas attaché. Je ne suis rien, et le rien n'a peur de rien. Au contraire, toute chose a peur du Rien, car quand une chose vient au contact du Rien elle devient rien. Le Rien est comme un puits sans fond, tout ce qui tombe dedans disparaît.
Q : Dieu n'est-il pas une personne ?
M : Tant que vous pensez être vous-même une personne, lui aussi est une personne ; quand vous êtes tout, vous voyez Dieu comme tout.
Q : Puis-je changer les faits en changeant d'attitude ?
M : L'attitude, c'est le fait. Prenez la colère, par exemple. Je peux être irrité, faire les cent pas dans la pièce ; mais au même moment je suis ce que je suis, un foyer de sagesse et d'amour, un atome de pure existence. Tout se calme et le mental se fond dans le silence.
Q : Néanmoins, il vous arrive d'être en colère.
M : De quoi serais-je irrité, et pourquoi ? La colère est venue puis elle s'est dissoute quand je me suis souvenu de moi-même. Ce n'est qu'un jeu des gunas (tamas, rajas et sattva). Quand je m'identifie à eux, je suis leur esclave. Quand je me tiens hors d'eux, je suis leur maître.
Q : Pouvez-vous, par votre attitude, influencer le monde ? En vous situant hors du monde vous perdez tout espoir de l'aider.
M : Comment pourrait-il en être ainsi ? Tout est moi, ne puis-je pas m'aider ? Je ne m'identifie à personne en particulier car je suis tout, aussi bien le particulier que l'universel.
Q : Pouvez-vous m'aider, moi la personne particulière ?
M : Mais c'est en permanence que je vous aide de l'intérieur. Mon soi et le vôtre ne sont qu'un. Je le sais, mais vous ne le savez pas, c'est là toute la différence, mais cela ne durera pas.
Q : Comment pouvez-vous aider le monde entier ?
M : Gandhi est mort ; son esprit, cependant, baigne la terre. La pensée d'un jnani imprègne l'humanité et travaille sans cesse au bien. D'être anonyme, de venir de l'intérieur, elle n'en est que plus puissante et plus impérieuse. C'est ainsi que le monde s'améliore, l'intérieur aidant et bénissant l'extérieur. Quand un jnani meurt, il n'est plus, au sens où une rivière n'est plus quand elle s'est perdue dans la mer ; le nom, la forme ne sont plus, mais l'eau demeure et devient une avec l'océan. Quand un jnani rejoint l'esprit universel, toute sa bonté, toute sa sagesse deviennent l'héritage de l'humanité et élèvent tous les hommes.
Q : Nous sommes attachés à notre individualité. Nous attachons beaucoup de prix à ce qui nous fait différer des autres. Vous semblez les regarder l'une et l'autre comme dépourvus de valeur. De quelle utilité peut nous être votre non-manifesté ?
M : Non-manifesté, manifesté, individualité, personnalité, ce ne sont que des mots, des opinions, des attitudes mentales. Il n'y a aucune réalité en eux. Le Réel se sent dans le silence. Vous vous accrochez à la personnalité mais vous n'avez conscience d'être une personne que si vous êtes affligée. Si vous ne l'êtes pas, vous ne pensez pas à vous-même.
Q : Vous ne m'avez pas dit l'utilité du non-manifesté.
M : Il est évident qu'il vous faut dormir avant de vous éveiller. Vous devez mourir afin de vivre, vous devez vous fondre pour vous reformer, vous devez détruire pour construire, anéantir avant de créer. Le Suprême, c'est le solvant universel. Il corrode tous les récipients, il brûle toutes les barrières. Sans la négation absolue de tout, la tyrannie des choses serait absolue. C'est le Grand Harmonisateur, la garantie de l'équilibre ultime et parfait qui, en vous dissolvant, réaffirme votre être vrai.
Q : A ce niveau, cela me paraît parfait, mais qu'elle est son influence sur la vie quotidienne ?
M : La vie quotidienne est une vie d'action. Que vous l'aimiez ou non, vous devez fonctionner. Tout ce que vous faites à votre profit s'accumule et devient explosif et, le jour de l'explosion, sème la dévastation en vous et dans votre monde. Quand vous vous leurrez, croyant travailler au bien de tous, cela ne fait que rendre les choses pires car vous ne devriez pas vous laisser guider par vos opinions sur ce qui est bon pour les autres. Un homme qui sait ce qui est bon pour les autres est un homme dangereux.
Q : Mais que faire ?
M : Vous devez travailler, non pour vous ou pour les autres, mais pour le travail lui-même. Une chose digne d'être faite trouve en elle-même son but et sa justification. Faites du rien un moyen en vue d'autre chose. Ne liez pas. Dieu ne crée pas une chose pour en servir une autre. Chacune d'elle est faite pour elle-même, elle n'influe pas sur les autres. Vous utilisez les gens et les choses pour des vues qui leur sont étrangères et, ce faisant, vous répandez la confusion en vous et dans le monde.
Q : Vous dites que notre être réel nous est toujours présent. Comment se fait-il que nous ne le remarquions pas ?
M : Oui, vous êtes toujours le Suprême. Mais votre attention est centrée sur les choses physiques ou mentales. Dans l'intervalle où votre attention, venant de quitter une chose, n'est pas encore fixée sur une nouvelle, vous êtes un être pur. Quand par la pratique de la discrimination et du détachement vous perdez de vue les états sensoriels et mentaux, l'être pur devient votre état naturel.
Q : Comment parvient-on à l'extinction de ce sentiment d'être séparé ?
M : En concentrant le mental sur « je suis », sur la sensation d'être, le « ainsi » de « je suis ainsi » s'évanouit, « je ne suis qu'un spectateur » reste et à son tour se fond dans « je suis tout ». Alors le tout devient l'Un et l'Un, vous-même, qui ne doit pas être séparé de « je ». Renoncez à cette idée d'un « je » séparé et la question : « A qui cette expérience ? » ne se posera plus.
Q : Vous parlez d'après votre expérience. Comment puis-je faire la mienne ?
M : Vous parlez de mon expérience comme si elle était différente de la vôtre parce que vous croyez que nous sommes séparés. Mais nous ne le sommes pas. Sur un plan plus profond mon expérience est votre expérience. Plongez au fond de vous et vous la trouverez simplement et facilement. Marchez dans la direction du « je suis ».