Le Suprême inconnu contient tout ce qui a été ou pourrait avoir été, ainsi que tout ce qui sera ou pourrait être par Sri Nisargadatta Maharaj

Source : Sri Nisargadatta Maharaj « Je Suis » - Les Deux Océans – Paris



En vérité, votre état est la Félicité Absolue, pas cet état du monde du phénomène. Dans l'état du non-phénomène vous êtes félicité totale, mais vous n'en pouvez faire l'expérience. Dans cet état il n'y a ni misère ni malheur, seulement une pure félicité.
Hors du Soi il n'y a rien. Tout est un, et tout est contenu dans « je suis ». Dans les états de veille et de rêve, c'est la personne. Dans le sommeil profond et turiya (4° état), c'est le Soi. Au-delà de l'intense concentration de turiya s'étend la grande paix silencieuse du Suprême. Mais en fait tout n'est qu'un en l'essence et relatif en apparence.


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Q : Vous dites que la réalité est une. L'unicité, l'unité sont les attributs d'une personne. La réalité est-elle donc une personne avec l'univers pour corps ?

M : Tout ce que vous pourrez en dire sera à la fois vrai et faux, les mots ne peuvent pas atteindre l'au-delà du mental.

Q : Je ne fais qu'essayer de comprendre. Vous nous parlez de la Personne, du Soi et du Suprême (vyakti, vyakta, avyakta). La lumière de la Pure Conscience (Prajna), centrée en tant que « je suis » dans le Soi (jivatman), illumine, en tant que conscience (chetana), le mental (antahkarana), et en tant que vie (prana) vivifie le corps (deha). Tout cela c'est très beau tant qu'on en reste aux mots. Mais si j'en viens à discriminer en moi-même la personne du Soi, et le Soi du Suprême, je me retrouve en pleine confusion.

M : La personne n'est jamais le sujet. Vous pouvez voir une personne, mais vous n'êtes pas la personne. Vous êtes toujours le Suprême qui apparaît à un point donné de l'espace et du temps en tant que témoin, spectateur, un pont entre la présence pure du Suprême et la conscience multiple de l'individu.

Q : Quand je me regarde, je découvre que je suis plusieurs individus qui se disputent l'usage de mon corps.

M : Ils correspondent aux diverses tendances (samskara) de votre mental.

Q : Puis-je faire la paix entre elles ?

M : Comment le pourriez-vous? Elles sont si contradictoires ! Considérez-les pour ce qu'elles sont : simples habitudes de penser et de sentir, faisceaux de souvenirs et de pulsions.

Q : Pourtant elles disent toutes « je suis ».

M : Uniquement parce que vous vous identifiez à elles. Quand vous réaliserez que rien de ce qui apparaît devant vous ne peut être vous-même et ne peut dire « je suis », vous serez libéré de toutes vos « personnes » et de leurs exigences. La sensation « je suis » est vôtre ; vous ne pouvez pas vous en séparer mais vous pouvez la communiquer à n'importe quoi, comme quand vous dites : « Je suis jeune, je suis riche, etc. » De telles identifications du soi sont manifestement fausses et sont causes d'attachement.

Q : Je peux comprendre que je ne suis pas la personne, mais ce qui, quand il se reflète dans la personne, lui donne le sentiment d'être. Et maintenant, qu'en est-il du Suprême ? De quelle façon puis-je me connaître comme Suprême ?

M : La source de la conscience ne peut pas être un objet de la conscience. Connaître la source, c'est être la source. Quand vous réaliserez que vous n'êtes pas la personne mais le témoin, pur et tranquille, que la présence (awareness) sans peur est votre être-même, vous serez l'être. C'est la source, la Potentialité Inépuisable.

Q : Y a-t-il de nombreuses sources ou une seule pour tous ?

M : Cela dépend du bout par lequel vous prenez la question. Dans le monde les objets sont nombreux mais l'œil qui les voit est unique. Le plus haut apparaît toujours comme unique au plus bas, et le plus bas comme multiple au plus haut.

Q : Les formes et les noms sont-ils tous d'un seul et même Dieu ?

M : Là encore cela dépend de la façon dont on le considère. Sur un plan verbal tout est relatif. L'absolu doit être senti et non discuté.

Q : Comment peut-on expérimenter l'absolu ?

M : Ce n'est pas un objet qu'on puisse reconnaître et emmagasiner dans la mémoire. Il est plutôt dans le présent et dans la sensation. Il est plus près du « Comment » que du « Quoi ». Il est dans la qualité, dans la valeur ; étant la source de toutes choses, il est dans toutes les choses.

Q : S'il est la source, pourquoi et comment se manifeste-t-il ?

M : Il donne naissance à la conscience. Tout le reste est dans la conscience.

Q : Pourquoi y a-t-il de si nombreux centres de conscience ?

M : L'univers objectif (mahadakash) est constamment en mouvement, projetant et dissolvant d'innombrables formes. Dès l'instant où une forme est animée par la vie (prana) la conscience (chetana) apparaît par réflexion de la présence (awareness) dans la matière.

Q : Comment le Suprême en est-il affecté ?

M : Qu'est-ce que pourrait l'affecter, et comment ? La source n'est pas affectée par les vagabondages de la rivière, pas plus que le métal ne l'est par la forme du bijou. La lumière est-elle affectée par le film sur l'écran ? Le Suprême rend tout possible, c'est tout.

Q : Comment se fait-il que certaines choses apparaissent et d'autres non ?

M : La recherche des causes est le passe-temps favori du mental. Il n'y a pas de dualité cause-effet. Chaque chose est sa propre cause.

Q : Aucune action intentionnelle n'est donc possible ?

M : Tout ce que je dis, c'est que la conscience contient tout. Dans la conscience tout est possible. Si vous le voulez, vous pouvez, dans VOTRE monde, avoir plusieurs causes. Un autre se contentera d'une cause unique, la volonté de Dieu. La cause originelle est une : la sensation « je suis ».

Q : Quel est le lien entre le Soi (Vyakta) et le Suprême (Avyakta) ?

M : Du point de vue du soi, le monde c'est le connu, le Suprême c'est Inconnu. L'Inconnu donne naissance au connu mais reste cependant l'Inconnu. Le connu est infini mais l'Inconnu est une infinitude d'infinis. Tout comme un rayon de lumière n'est vu que s'il est intercepté par des panicules de poussière, le Suprême rend toutes choses connues tout en restant inconnu.

Q : Cela veut-il dire que l'inconnu est inaccessible ?

M : Oh non ! Le Suprême est des plus faciles à atteindre car il est votre être propre. Il suffit de cesser de penser ou de désirer autre chose que le Suprême.

Q : Et si je ne désire rien, pas même le Suprême ?

M : Vous êtes alors quasiment mort, ou vous êtes le Suprême.

Q : Le monde est plein de désirs. Chacun veut ceci ou cela. Qui désire ? L'individu ou le Soi ?

M : Le Soi. Tous les désirs saints ou non viennent du Soi : ils sont tous attachés à la sensation « je suis ».

Q : Je peux comprendre les désirs saints (satyakama), ce peut être l'aspect de félicité du sat-chit-ananda (Être, Conscience, Béatitude), du Soi. Mais pourquoi de mauvais désirs ?

M : Tous les désirs tendent au bonheur. Leurs formes et leurs qualités dépendent de la psyché (antahkarana). Où prédomine l'inertie (tamas) nous trouvons la perversion. Avec l'énergie (rajas) les passions se manifestent. Avec la lucidité (sattva) la motivation qui est derrière le désir est la bonne volonté, la compassion, l'incitation à rendre heureux plutôt que d'être heureux. Mais le Suprême les transcende tous. Cependant, à cause de son infinie permissivité, tous les désirs irrésistibles peuvent être satisfaits.

Q : Quels sont ces désirs ?

M : Les désirs qui détruisent leurs sujets ou leurs objets, ou qui ne s'apaisent pas dans leur satisfaction, sont contradictoires en eux-mêmes et ils ne peuvent pas être accomplis. Seuls les désirs motivés par l'amour, la bonne volonté et la compassion sont bénéfiques à la fois au sujet et à l'objet et peuvent être satisfaits.

Q : Tous les désirs sont source de souffrance, qu'ils soient saints ou non.

M : Ce ne sont pas les mêmes et la souffrance n'est pas la même. La passion est douloureuse, la compassion jamais. L'univers entier s'efforcera de satisfaire un désir né de la compassion.

Q: Le Suprême se connaît-il ? L'Impersonnel est-il conscient ?

M : La source de tout possède tout. Tout ce qui coule d'elle doit être déjà là sous forme de graine. Et de même qu'une graine est la dernière d'innombrables graines et contient l'expérience et la promesse de forêts sans nombre, l'Inconnu contient tout ce qui a été ou pourrait avoir été, ainsi que tout ce qui sera ou pourrait être. Le champ entier du devenir est ouvert et accessible ; le passé et le futur coexistent dans l'éternel maintenant.

Q : Vivez-vous dans le Suprême Inconnu ?

M : Où pourrais-je vivre ailleurs ?

Q : Qu'est-ce qui vous permet de dire cela ?

M : Nul désir ne se manifeste jamais dans mon mental.

Q : Vous êtes donc inconscient ?

M : Bien sûr que non ! Je suis pleinement conscient, mais puisqu'aucun désir, aucune peur ne pénètre mon mental il y a un silence parfait.

Q : Qui connaît le silence ?

M : Le silence se connaît. C'est le silence du mental silencieux, des passions et des désirs silencieux.

Q : Vous arrive-t-il de ressentir des désirs ?

M : Les désirs ne sont que des vagues dans le mental. Vous connaissez une vague quand vous en voyez une. Un désir n'est qu'une chose parmi de nombreuses autres. Je ne sens aucune incitation à les satisfaire, pas plus qu'ils ne demandent d'agir. La libération du désir veut dire ceci : la contrainte de les satisfaire n'existe pas, elle est absente.

Q : Mais pourquoi les désirs se manifestent-ils ?

M : Parce que vous vous imaginez être né et que vous mourez si vous ne prenez pas soin de votre corps. Le désir de l'existence incarnée est la cause première du trouble.

Q : Cependant il y a tellement de jivas qui prennent un corps. Ce n'est certainement pas une erreur de jugement. Il doit y avoir un but. Lequel peut-il être ?

M : Pour se connaître, le soi doit être confronté à son opposé, le non-soi. Le désir mène à l'expérience. L'expérience conduit à la discrimination, au détachement, à la connaissance de soi, à la libération. Après tout, qu'est-ce que la libération ? De savoir que vous êtes au-delà de la naissance et de la mort. En oubliant qui vous étiez et en vous imaginant être une créature mortelle vous vous êtes créé tant d'ennuis qu'il faut vous en éveiller, comme d'un mauvais rêve.

La recherche aussi vous éveillera. Vous n'avez pas besoin d'attendre la souffrance ; la recherche du bonheur est meilleure car le mental est en paix et en harmonie.

Q : Qui est exactement l'ultime expérimentateur, le Soi ou l'Inconnu ?

M : Le Soi bien sûr.

Q : Pourquoi, alors, avoir introduit la notion de Suprême Inconnu ?

M : Pour expliquer le Soi.

Q : Mais y a-t-il quelque chose au-delà du Soi ?

M : Hors du Soi il n'y a rien. Tout est un, et tout est contenu dans « je suis ». Dans les états de veille et de rêve, c'est la personne. Dans le sommeil profond et turiya (4° état), c'est le Soi. Au-delà de l'intense concentration de turiya s'étend la grande paix silencieuse du Suprême. Mais en fait tout n'est qu'un en l'essence et relatif en apparence. Dans l'ignorance celui qui voit devient ce qui est vu, dans la sagesse il est le voyant.

Mais pourquoi vous préoccuper du Suprême ? Connaissez ceux qui connaissent et tout sera connu.