Absolu, j'ignorais être, j'étais éternel,
mais soudainement une idée a émergé,
ce « je suis » est apparu
par Sri Nisargadatta Maharaj
Source : Sri Nisargadatta Maharaj « SOIS ! » - Les Deux Océans – Paris
M : Devenir cela signifie que quoi que soit la définition donnée, vous soyez fermement convaincu « je suis seulement cela », « Je suis cela » veut seulement dire ce goût de l'être, cette présence à « je suis ». Ce sens du « je suis » est une minuscule pointe d'épingle en soi, mais elle se manifeste, s'exprime en une explosion qui n'a pas de limite. Cette immensité ne peut exister sans l'apparition préalable de cette infime présence « je suis ».
V : Si cela n'était pas, qu'y aurait-il ?
M : Elle ne peut pas ne pas être, « je suis » signifie tout cela.
V : Mais si « je suis » n'est plus, que peut-il y avoir ?
M : Alors tout ce qui est, est complet, parfait, Absolu.
V : Est-ce que quelqu'un a connu cette perfection ?
M : Il n'y a là plus rien à connaître.
V : Vous avez mentionné précédemment l'ordre des Jnani. J'aimerais en savoir davantage sur ce sujet, vous dites qu'à ce niveau il n'y a plus la notion « je suis » ?
M : Jnana est la révélation de « je suis ». Le Jnani est ce qui connaît, la connaissance « je suis ». Cette touche d'êtreté infime exprimant l'univers entier.
V : J'aimerais savoir si un Jnani revient une autre fois, s'il possède encore une destinée ?
M : Cette force universelle, expression du « je suis », se manifeste en une multitude de naissances et de morts. Vous, vous la considérez comme une seule entité, en tant que « je suis né et je vais mourir ». C'est là qu'est votre erreur. Cette force vitale prend naissance dans des formes innombrables et chacune de ces formes renferme aussi sa propre mort. C'est le grand jeu de la force vitale mais vous ne voulez considérer qu'un élément isolé. Vous vous dites « je suis né et donc je mourrai et renaîtrai à nouveau ». Vous formez ces concepts en tant qu'individu, mais vous êtes inséparable de l'ensemble de cette force en mouvement. La terre vit sous de multiples formes, considérez les différentes végétations, les sucs, les herbes, les fleurs, les arbres. Réfléchissez, combien de naissances et de morts suppose toute cette végétation. Et l'eau en fait partie, elle est un aspect de cette force vitale et voyez le nombre d'organismes vivant dans l'eau !
V : Je ne comprends pas. Vous voulez dire que ce « je suis » peut représenter une personne ou une plante ou l'eau ou n'importe quoi ?
M : Cette êtreté n'est pas un individu. À l'instant où ce « je suis » se manifeste, il est universel. Nous avons établi une hiérarchie des cinq éléments premiers. De l'espace surgit l'air, de l'air, le feu, du feu, l'eau. Donc, dans l'eau, il y a déjà le feu, le feu habite l'eau. N'avez-vous jamais remarqué, en observant du haut d'une colline, combien un lac reflète la lumière ? Il jette des étincelles, le feu est présent. Et lorsque vous considérez les rides sur la surface de l'océan, il y a là le feu de la réflexion du soleil. Et pourquoi y a-t-il ces rides sur la mer ? À cause de l'air. Toutes ces combinaisons sont présentes et visibles. Il vous faut comprendre que l'une dépend de l'autre. Sans air pas de rides sur la surface de l'eau et tout finalement aboutit à l'espace. Sans espace pourrait-il y avoir l'air ? Pourrait-il y avoir le feu, l'eau, la terre ? Même dans vos rêves ou dans le sommeil profond vous vivez cela. Vous vous éveillez et ressentez « je suis » et ce « je suis » crée un espace. En bref, parce que la connaissance « je suis » apparaît, tout apparaît : l'espace et les éléments. Il s'agit de trouver la source de ce « je suis ». Mais, finalement, le plus important, est de savoir avec quelle identité vous allez mourir. Cela c'est de beaucoup le plus important.
V : Qu'entendez-vous par mourir ?
M : Oublier cette notion « je suis ». Qu'entendez-vous par dormir ? Le sommeil profond est également un oubli de soi-même.
V : Lorsqu'un homme rêve, est-ce que son rêve occupe un espace ?
M : De son êtreté, de ce qui pense je, est créé l'espace occupé par l'univers du rêve. C'est de soi-même que surgit cet espace.
V : Alors, l'eau, le feu, l'espace, etc. n'occupent pas réellement un espace, pas plus que le rêve.
M : Qu'entendez-vous par le rêve ?
V : Quand vous nous parlez de l'air, de l'eau, du feu, on a l'impression que ces éléments occupent un espace mais si tout cela est une construction mentale, un songe, cela n'existe pas plus au sein d'un espace que nos rêves nocturnes.
M : Celui qui dort et rêve a tout d'abord éveillé son être dans l'univers du rêve. Dès qu'il apparaît, l'être suscite un espace qui est instantanément occupé par l'univers du rêve, mais la source est dans ce sens profond d'êtreté.
V : Mais celui qui suit le rêve au sein de cet univers, quel espace occupe-t-il ?
M : Le sens d'être n'a pas de forme.
V : Vous dites que cette notion « je suis » n'a pas de forme mais qu'elle disparaît lorsque l'on meurt. Il y a là une contradiction.
M : Cette êtreté dépend d'un corps-nourriture, elle est un produit du corps-nourriture. La partie incandescente de ce bâton d'encens dépend du bâton qui est son carburant. Lorsqu'il est consumé, épuisé, le feu est parti, tout est éteint. En cet état éteint, de quoi dépend-il ? Où est allé le feu ? Similairement, cette connaissance « je suis » s'éteint mais c'est comme ce feu, elle ne va nulle part. À ce moment de l'extinction, certains se cramponnent à des concepts « j'ai commis de nombreux péchés » ou « j'ai accompli des actions méritoires » et, en conséquence de ces concepts, ils peuvent avoir à renaître. Mais c'est ce que disent les Védas, pas moi !
V : Est-ce que l'espace existe en réalité ?
M : Non. En réalité, l'espace n'a pas d'existence, l'espace est une illusion.
V : Voilà pourquoi j'ai posé mes questions. Je voulais être sûr que vous n'aviez pas dit que les rêves occupaient un espace propre.
M : C'est du « je suis » que surgit leur espace. De cette étincelle Chidakash est créé l'espace. C'est pour cela qu'un Jnani ne considère pas cet espace, ce monde du rêve et de l'éveil, comme réel. Ce n'est qu'une apparence, une illusion. Vous êtes ici pour le moment mais le moment suivant où serez-vous ? Qui peut savoir ? Tandis qu'un Jnani n'est pas conditionné par le temps. Avant le temps, pendant le temps, après le temps, le Jnani prévaut toujours. Il n'existe aucune mesure visible, observable le concernant mais lui observe toutes choses. Ni futur, ni passé, ne peuvent l'atteindre. Il n'a aucune raison de souhaiter être vivant, de poursuivre son existence. Une telle pensée ne peut le traverser. Sans désir, sans nécessité, sans émotions, il persiste. Il est toujours plein, complet, total. Dans le séjour du Jnani, il n'y a ni lumière, ni obscurité. Il est au-delà d'un Moi égoïste et également au-delà de « je suis cela ». Dans la demeure du Jnani, dans le séjour du Jnani, il n'y a ni esprit, ni substance, ni Brahma, ni Maya, il est dépourvu de cet état d'être.
Dans la demeure du Jnani, il n'y a aucun mouvement. C'est un état homogène, complet, un état sans état. Tandis que pour vous, même ceux qui commencent à atteindre la connaissance, vous vous appréhendez en tant que formes attachées à un corps mâle ou femelle, vous demeurez à ce niveau. C'est pour cela que votre habileté à prévoir par l'astrologie, comme je vous l'ai déjà dit, ne peut s'exercer sur moi. Si vous voulez me mesurer à l'aide d'éléments attachés au temps, vous n'appréhenderez rien et vous demeurerez pris au piège du temps et de la mort.
V : Vous êtes au-delà des influences astrologiques ?
M : Cet état corporel est esclave du temps, il se tient entre naissance et mort. Même cette actuelle évidence « je suis » est, comme l'état de veille et de sommeil, un état transitoire. Ce besoin de prédictions, de savoir ce qui va arriver, est une preuve de votre attachement à cet état corporel. Il y en a un sur un million qui soit capable de comprendre ce que je dis, l'assimiler et le devenir. La grande majorité des gens qui viennent ici s'efforcent de me comprendre au niveau corporel. Vous êtes tous liés les uns aux autres par votre mutuelle intimité, vos affections, vos amours. Cette adhésion à votre intimité vous empêche de vous débarrasser de cet état corporel, émotionnel, intellectuel et tant que dure cette identification il est impossible de comprendre la conscience.
Un homme fait tomber un billet de mille dollars dans la mer. Il plonge pour rattraper le billet à cause de son rapport étroit, de son intimité avec ces mille dollars. Il plonge et il se noie. Cette intimité, cette familiarité avec ce que vous appelez la vie est la corde qui vous étrangle. L'intense désir de prolonger son êtreté n'existe pas pour le Jnani, pour l'Absolu. Et celui qui est centré sur ses émotions, comment peut-il libérer les autres ? Le Jnani est ce principe qui recouvre la conscience, l'être et les deux autres états. La conscience est liée au temps, l'être est lié au temps et, également, l'état d'éveil et de sommeil profond. Cela est reconnu, compris et observé par le Jnani, par l'Absolu. C'est pour cela qu'il n'est pas affecté par tous ces jeux de la conscience. Cette conscience est d'une grande puissance, elle vous associe à tout cela, vous enchaîne, fait de vous une balle propulsée de ci, de là. Cette conscience est l'illusion primordiale, c'est la force la plus haute, elle vous a attrapé, vous a pris au piège.
Krishna expose la religion du grand jeu Cosmique qui n'est autre que nous-mêmes. Toutes les activités de ce cosmos, toutes les activités de cet univers sont nos activités et mes activités signifient les activités de l'univers entier. Dans mon état originel, dans l'état Absolu, je n'ai jamais eu de personnalité, je n'ai jamais été un individu et il n'y a jamais eu aucune manifestation de moi-même. J'étais cet état mais soudainement cette individualité, cette conscience est apparue. Absolu, j'ignorais être, j'étais éternel, mais soudainement une idée a émergé, ce « je suis » est apparu. Dans l'Absolu, je ne savais pas qui j'étais, je ne savais pas que je n'étais pas. Mais ce concept fondamental d'existence soudain fut là et c'est ce qu'on appelle Mulmaya.
Donc, quelle est l'attraction première, le désir initial qui a surgi ? C'est le fait d'être. Il n'est pas possible de passer délibérément du sommeil profond à l'état de veille. Le réveil se produit de lui-même et alors apparaît « je suis ». Ce « je suis » est l'état d'amour primordial. A la fraction de seconde où apparaît ce sens d'être, sa luminosité propre se manifeste et se répand immédiatement, se divisant en cinq éléments : le ciel, l'air, le feu, l'eau et la terre. Pour l'activité, trois gunas se forment : Sattva, rajas, tamas. Sattva est ce sens du « je suis », cette êtreté, l'essence de la qualité nutritive. Rajas est le comportement actif, les connaissances organisant les activités dans le monde. Tamas est l'orgueil. Revendiquer la paternité de ses œuvres, se prévaloir de ses succès, cette attitude est à l'origine du comportement tamasique.
Antérieur à cet éther, à cet espace semblable au ciel, il y a la conscience qui est l'état le plus subtil. De la conscience surgissent les éléments, chacun formé de la fragmentation de l'élément précédent. Ce principe de conscience se trouve donc dans chacun de ces éléments. Quand l'eau est stabilisée, surgit la terre. De la terre, jaillissent les pousses d'herbe et de l'herbe mûrit le grain que vous appelez riz ou blé. L'herbe est la nourriture des animaux qui nous fournissent la viande, le lait. Le grain est la principale nourriture de l'homme. Donc, le principe le plus subtil se trouve déjà à l'intérieur de tout cela. Une fois assimilé par l'organisme, cela constitue le corps-nourriture. Quand ce corps-nourriture, formé du lait et du grain que vous mangez, est vivifié par le souffle vital, apparaît ce sens du « je suis ». Ce sens d'être, cette qualité sattvique, cette constatation du « je suis », dépend de quoi ? De l'essence des nourritures et du souffle, sans eux, il ne peut se manifester !
Voilà donc le tableau complet, la genèse de ce qui se produit durant la fraction de seconde où apparaît le « je suis ». Même les animaux primitifs, les vers, les insectes, exigent un corps-nourriture pour leur êtreté, pour leur prana. Le prana est le mouvement. Dès qu'un organisme est vivant, qu'il s'agisse d'un vers ou d'un petit d'homme, il commence à bouger. Nous nous identifions à ce corps dans la mesure où il est la condition indispensable à l'apparition de la conscience. L'essentiel de l'activité des animaux et végétaux s'exerce seulement au niveau de la naissance, le reste est automatique. Ces naissances se produisent dans l'eau comme les bactéries, dans la terre comme les graines ou dans les corps des parents comme chez l'animal et l'homme.