Seule l'existence éternelle de l'Absolu
permet l'apparition de la conscience
et de ce spectacle cosmique
par Sri Nisargadatta Maharaj

Source : Sri Nisargadatta Maharaj « NI CECI, NI CELA » - Les Deux Océans – Paris



M : De quoi est fait ce guru, ou serait cette mémoire « je suis » et l'élément premier si l'ultime, l'Absolu, n'était pas présent ? Seule l'existence éternelle de l'Absolu permet l'apparition de la conscience et de ce spectacle cosmique. Cet immense jeu théâtral se déroule donc sur une scène créée par la conscience.

V : Est-ce la conscience universelle qui a pris la forme de Maharaj ?

M : Cette bribe de conscience a pris la forme de la conscience universelle. Son image est l'univers entier. C'est cette pointe d'épingle de conscience qui dans le sommeil profond se déploie en univers de rêve.

V : Cela veut-il dire que vous appartenez aussi à mon univers de rêve ?

M : Avant de vous référer à moi en tant que « vous », trouvez ce qu'est ce «vous ». Votre question s'est retournée comme le boomerang allant frapper celui qui l'a lancé ! Alors, « vous », qu'est-ce que c'est ? J'ajoute que je ne suis pas ce corps, je ne suis même pas cet élément premier. Cet élément de base, ou conscience, est également appelé Maha-Tattva, Mulmaya, Hiranya-Garbha, Brahma-Sutra, etc. Mais la somme de tout cela est cet Atma-Prem, l'amour de l'état d'existence, l'amour de son être. Celui qui comprend et devient ce Maha-Tattva est appelé Mahatma. Vous pensez pouvoir prétendre au statut de Jnani, mais penser n'est que le fait des ignorants !

V : Être éveillé à la présence de « cela » semble donc être le plus haut état que l'on puisse définir. Cette présence paraît être au-dessus de la compréhension de « je suis ».

M : Oui, à la condition que cette présence n'éprouve plus « je suis ». La connaissance de l'univers entier se fond dans cet état élevé. Toutes les manifestations qualitatives sont réunies dans cet état appelé Bhagwan. Tous les titres et tous les états extraordinaires suggérés par ces titres, fusionnent et se perdent dans cette vacuité. Ishwara y devient Vischwa-Vishaya et la manifestation universelle, Nirvishaya, c'est-à-dire l'unique, celui qui n'a pas d'objet. Ceci ne peut être absorbé que par les chercheurs brûlant du désir de connaître leur véritable nature. Toutes les informations que je puis vous fournir concernent uniquement cette trace de conscience ayant accouché de cet univers manifesté. De plus, moi, Absolu, ne suis pas cette trace, cette miette, mais je ne puis fournir aucune information sur moi. Il y a eu tant de dissolutions du cosmos, tant d'éons se sont succédés et malgré tout cela, moi, Absolu, demeure intact au sein de mon royaume éternellement paisible !

Si l'on vous demandait ce que vous étiez il y a cent ans vous répondriez « je n'étais pas », ce qui veut dire « je n'étais pas comme ceci, pas comme le « je suis » actuel ». Mais comment vous serait-il possible de répondre « je n'étais pas ainsi »? Celui qui sait cela devait être présent ! Celui qui se tenait là il y a plus de cent ans n'était pas semblable au « je suis » actuel mais il était là et est là en ce moment !

V : Il est ce « je », l'Absolu.

M : Allez-y, utilisez n'importe quel mot, n'importe quel concept et faites-vous plaisir ! Réfléchissez plutôt, méditez là-dessus : où étiez-vous il y a cent ans ? Pourquoi ne pas vous intéresser au moment de la conception et ce qui s'est produit ensuite ? Au lieu de cela vous êtes constamment à l'affût de biens spirituels et matériels à acquérir. Cela ne vous aidera en rien ! Dans l'essence de toutes les nourritures ce Swaraya, pouvoir de connaître, et Prarabdha, destinée, sont déjà présents mais en sommeil. Et la quintessence des boissons et aliments est ce sentiment d'être, ce contact, cette connaissance « je suis ».

V : Mais ce principe pourrait-il exister en l'absence de prana ?

M : Qui pourrait être en l'absence de prana ?

V : Est-il dans la fleur ?

M : Il est dans la fleur, il est même dans la couleur de la fleur, il est partout ! Après avoir écouté ces explications que va-t-il se passer ? Celui qui comprend, qui absorbe ce que je dis, arrivera à la conclusion que tout ce qui est vu, entendu, expérimenté, acquis, est totalement inutile et superflu. Même son propre contact avec « je suis » va se révéler superflu et sera transcendé. Finalement il ne demeurera personne, simplement Viskham Para-Brahman, état Absolu éternel et sans désir. Mais nous continuons nos ascèses, les disciplines de la dévotion à un dieu, les pénitences, le Japa, etc., afin de nous emparer de quelque chose de spirituel ! Pourtant si notre souhait se réalise ce sera Niskham Para-Brahman, vacuité, ce qui prouve que tout cela est inutile. Même le plus haut est inutile au plus haut. Cet état est également appelé Purna-Brahman, Para-Atman, Parama Ishwara. A présent, retournez à la veille de votre conception, cela aussi est le Purna Brahman, il n'y avait alors aucun besoin de quoi que ce soit.

V : J'essaie de suivre mes pensées et mes émotions et je découvre qu'elles changent continuellement, mais je sais que ce changement a lieu devant le sans-changement. Est-ce que cette manière de procéder va se révéler utile ?

M : Oui, ce sera utile mais ... Intellectuellement tout ça est très bien, mais la pensée n'a aucune réalité. Qu'entendez-vous par le sans-changement ? Quand pourra-t-il exister de sans-changement ? Seulement quand vous aurez perdu cette notion « je suis », quand le sentiment d'être se sera entièrement dissous en lui-même ! N'étiez-vous pas dans cet état sans-changement la veille du jour de votre conception ? A partir de votre sentiment d'être un corps-pensant, tout ce que vous observez se présente en tant qu'entités séparées : moi, vous, nous, eux ! Mais pour l'immuable Absolu tous ces mouvements, ce jeu de la terre et du cosmos, se produisent dans la cellule de l'être. Qu'est-ce qui est demeuré inchangé en vous depuis votre enfance ? Aucune de vos identités n'est stable, observez-le !

V : Il me semble que le principe « je » ne change pas, me suis-je trompé ?

M : Votre principe « je » n'a toujours pas compris ! Ce principe « je » est produit par la danse des cinq éléments en perpétuelle mutation, comment pourrait-on attribuer à ce qui est immuable cette qualité de s'éprouver « je »? Dans l'Absolu il n'existe aucun champ d'activité, aucun espace dans lequel les cinq éléments puissent jouer, il s'agit d'un état sans attribut. Croyez-vous que si l'Absolu était en contact avec « je » il se donnerait la peine d'entrer dans un corps ?

V : Quand je médite mon attention se porte sur la conscience en elle-même. Mais j'ai découvert qu'étant éveillé à cette pure conscience je ne pouvais pas être elle.

M : Vous avez une bonne formation spirituelle, vous parlez de la « pure conscience » qui est la manifestation en effusion présente en toute chose. C'est au sein de cet état que l'on devient témoin. Vous parviendrez par la méditation à totalement oblitérer la mémoire ou la non-mémoire de la manifestation et du sentiment d'être. Tant que le Guna « sentiment d'être » est présent, l'état témoin se prolonge. L'établissement dans l'état de non-témoin est l'état Advaïta, le plus haut. Donc toute expérience doit être absorbée, avalée, y compris le sentiment d'exister qui est l'expérience primordiale.

V : Comme je l'ai dit tout à l'heure, quand je suis éveillée à cette pure conscience je suis assez indépendant du corps et des circonstances et je ressens que « je suis », Absolu, est l'origine de cette conscience derrière laquelle, « Je », Absolu, se maintient dans un silencieux repos.

M : Vous parlez de la conscience, alors indiquez-moi la cause de cette conscience ? De quoi est-elle le résultat et l'aboutissement ?

Autre visiteur : La conscience est l'aboutissement de la nourriture.

M : Oui, dans l'essence de la nourriture, dans cette qualité ou Guna, réside ce sens du « je suis ». Mais comprenez bien que vous ou moi ne sommes pas ce Guna du point de vue de l'Absolu. Nous, Absolu, posons en tant que « je suis », mais ne sommes même pas cet élément de base « je suis ».

Premier visiteur : Plus tard durant ma méditation il me semble m'écarter de cet état d'éveil à la pure conscience et retomber dans l'existence corporelle et mentale. C'est sur ce point que je vous demande votre aide.

M : Ne faites rien, absolument rien, simplement « soyez » ! Soyez simplement cette évidence : « je suis », accrochez-vous là ! Pour bien vous imprégner de cela méditez uniquement sur l'être. Emparez-vous de la connaissance « je suis » par la méditation. Par ce processus se produira la révélation de ce que « Je », l'Absolu, ne suis pas le Guna « je suis ». Rien, donc, ne doit être conservé durant la méditation, aucune mémoire. Quand malgré tout quelque chose apparaît sur l'écran de cette mémoire n'en soyez pas concerné. « Soyez » simplement, ne faites rien. Abstenez-vous de vous relier à quoi que ce soit pendant la méditation. A partir du moment où vous le faites, la dualité se manifeste et un « autre » surgit. Si vous demeurez en ne faisant absolument rien, toutes les énigmes seront résolues et dissoutes. Mulmaya, l'illusion initiale, relâchera l'emprise qu'elle a sur vous et disparaîtra.

Dans la spiritualité il n'existe ni perte, ni profit et pas davantage naissance et mort. Vous n'avez de toute façon aucune expérience directe de la naissance. C'est quelque chose ressemblant à l'incident de Calcutta, ce vol qui s'est produit à Calcutta et dont moi, ici, à Bombay, je serais accusé. On m'accuse, non seulement de cette naissance, mais de centaines d'autres auparavant. Je ne suis conscient d'aucune naissance, seuls mes parents, que je ne connaissais pas, m'imputent cette naissance. Après ces révélations n'avez-vous pas honte d'accepter l'accusation d'être né ? J'ai pu être délivré de toutes ces charges imaginaires lorsque j'ai rencontré le Sat-guru qui a allumé la torche de la sagesse et m'a révélé ma véritable nature en tant que « je suis le non-né » ! Dans le royaume du non-né il n'y a pas de place pour le « je suis », pas plus que pour le soleil, la lune, les étoiles ou le cosmos.