Sur le non-être apparaît l'être
et dans cet être se produisent
des millions de naissances,
sont créées en un instant
des milliers de formes de vies différentes
par Sri Nisargadatta Maharaj

Source : Sri Nisargadatta Maharaj « NI CECI, NI CELA » - Les Deux Océans – Paris



14 janvier 1980

Visiteur : Quelle est la différence entre souffrance physique et souffrance psychologique ?

Maharaj : Quand il existe un désordre dans le corps, la souffrance est physique, mais quand le désordre est dû aux pensées et aux concepts, la souffrance est psychologique. Avez-vous une idée du moment où tout cela a commencé ?

V : Non je ne sais pas.

M : Cela a commencé spontanément et à l'intérieur, mais quand et comment s'est effectué le recensement du premier jour de vie ?

V : A partir de la mort s'est produit la naissance, avant cela il n'y avait aucune conscience.

M : A qui, à quoi a été décerné ce titre de naissance ? Creusez ce point, qu'est-ce qui est réellement né ?

V : Un concept.

M : Considérer qu'un concept est né n'est pas encore avoir creusé assez profondément. Que s'est-il réellement passé ?

V : L'apparition du temps et de l'espace ?

M : Il vous faut pratiquer beaucoup de Jnana-yoga pour pouvoir donner une réponse juste. Il existe un grand nombre d'Upanishads et de yogas comme le Hatha-yoga, le Patanjali-yoga et beaucoup d'autres, mais je ne connais que l'Atma-yoga qui est la connaissance de soi-même. Le même tas de blé peut fournir un grand nombre de nourritures différentes selon les préparations utilisées, de la même façon il existe de nombreux systèmes de spiritualité. Je ne suis pas attiré par les savoureuses spécialités, les méthodes et les systèmes, je ne m'intéresse qu'à leur point de départ.

Comment et pourquoi cet être, mon existence et toute la manifestation, se sont produit, et à partir de quoi ? Plongé dans cette source primordiale je ne ressens pas ma présence. Comment cet état d'existence d'où résulte la notion de moi et l'autre, est-il apparu ? Les Upanishads et les différents systèmes de yogas ne sont que fantaisies conceptuelles, je ne m'y suis pas du tout intéressé. Je ne m'intéresse qu'à mon « êtreté » et ma « non-êtreté », comment et pourquoi elles se trouvent là !

V : Que je sois né est en lui-même ...

M : Vous utilisez un concept, une chose qui vous a été répétée. C'est un on-dit !

V : Nous naissons à chaque moment.

M : Oui, à chaque instant a lieu notre naissance mais quel est le matériau qui naît ?

V : Qu'est-ce que cela peut être ?

M : Sur le non-être apparaît l'être et dans cet être se produisent des millions de naissances, sont créées en un instant des milliers de formes de vies différentes.

V : Mais se peut-il que l'arrière-plan de tout cela ne soit que vacuité ?

M : Il faut un observateur de cette vacuité pour qu'elle soit perçue et l'observateur est lui aussi vacuité. Au sein du non-être comment cela peut-il être exprimé et par qui ? Dans ce non-être appelé Nir-Vishaya, il n'y a ni sujet, ni objet. Dans l'être au contraire sujet et objet sont présent et cet état est donc appelé « Sa-Vishaya ». Avez-vous compris que le yoga de Patanjali se déroule dans la dualité ? Avez-vous étudié le yoga, s'occupe-t-il de libérer ou d'assujettir ?

V : J'ai lu quelques livres sur la question. Oui, le yoga s'attache à la dualité.

M : A partir de quoi Patanjali a-t-il créé la dualité ? Quand il a établi la dualité qu'a-t-il divisé ? Et quoi que cela put être n'était-ce pas dans le domaine de l'être, dans la sphère du « sujet-objet » ?

V : Oui, à partir du moment où l'on divise quelque chose cela devient le domaine de l'objet.

M : Mais le principe ultime est antérieur à la sphère « sujet-objet », j'aimerais savoir comment vous avez divisé cet état ? Sur le non-être est apparu l'être avec la manifestation en tant que « je suis ». C'est ce « je suis » qui est important. Nous avons parlé de la dualité, a-t-elle commencé à l'apparition de l'être sur le non-être ou bien s'est-elle développée plus tard ?

C'est pourtant simple ! Quand l'être surgit du non-être, c'est-à-dire lorsqu'il est perçu, quand l'être est expérimenté, connu, il est évident que la dualité est déjà présente. Plus tard l'être se manifeste dans la multiplicité et fonctionne au travers de formes innombrables. Le bourdonnement initial de l'être en tant que « je suis ... je suis » est la dualité. Mais qui accepte cette dualité ? Le non-être l'accepte. L'état Absolu, le non-être, devient double en assumant sa propre êtreté.

Les mots créent la dualité entre nous. Deux personnes sont assises tranquillement partageant le même silence sans possibles contestations. Mais au moment où elles se mettent à parler la dualité apparaît.

Quand le non-être s'exprime grâce à l'être, être devenu objet au sein de cette manifestation, il est appelé Maya, l'aspect féminin, tandis que le non-être est considéré comme l'aspect masculin. Le fonctionnement de l'univers manifesté est donc expliqué en tant que jeu de Prakriti et Purusha, c'est-à-dire le jeu des aspects mâle et femelle.

V : Je m'efforçais de suivre un chemin permettant à l'être d'expérimenter le non-être, au manifesté d'absorber le non-manifesté. Je vois maintenant que la première étape est de bien comprendre qu'il s'agit d'une impossibilité.

M : C'est ce que je suis en train de vous dire ! Il vous faut pratiquer de profondes méditations. L'être doit s'immerger totalement dans le non-être. Chaque jour vous vous débarrassez de vos inquiétudes, de vos tensions et vous vous laissez glisser dans le sommeil profond. Là vous vous perdez vous-même, vous tombez dans l'oubli, dans une détente totale. C'est ainsi que l'être doit se perdre dans le non-être.

Quand le Jnana-yoga est suivi correctement l'être se dissout graduellement et devient non-être. Dans le sommeil profond, spontanément l'être commence à se mouvoir : un rêve se déroule. Dans la méditation profonde il en est de même, toute la sagesse dont vous aurez besoin vous sera spontanément révélée. Bien qu'ayant compris tout cela et pris conscience de l'irréalité du monde manifesté vous conservez malgré tout votre individualité. L'état « être » est l'état de l'ensemble de la manifestation, il n'est pas individuel. Il est composé de cinq éléments, trois Gunas et Prakriti-Purusha, le principe mâle et femelle. Plus tard cet état d'être se perd dans le non-être.

Voilà pourquoi j'appelle le processus que je préconise l'Atma-yoga, ce qui signifie demeurer en soi, se stabiliser dans sa véritable nature. Vous pouvez parler de Hatha-yoga ou de tout ce que vous voudrez, quand le non-être devient l'état « être », l'univers contenant tout ce qui existe vient au monde. En ce qui me concerne je suis devenu un avec l'être en suivant les directives de mon guru, ce qui signifie avoir la juste vision de n'être rien d'autre que l'ensemble de cet univers dynamique. Lorsque la personne est transcendée il reste uniquement l'être manifesté et alors le non-manifesté se révèle.

En transcendant cet état « je suis » l'Absolu prédomine et il est alors appelé Para-Brahman, tandis que la connaissance « je suis » porte le nom de Brahman. Ce savoir « je suis », cet être, est Brahman et il s'agit d'un état illusoire. Il en découle que lorsque Brahman est transcendé seul le Para-Brahman subsiste, Para-Brahman dans lequel il n'y a pas trace de la condition « je suis ». c'est-à-dire de l'être.

Lorsque ces trois états, sommeil profond, éveil et connaissance ne sont plus, l'être peut-il subsister ? Non. Pourquoi ? Y a-t-il un besoin quelconque d'êtreté dans l'état Para-Brahman ? Pourriez-vous tirer un bénéfice quelconque du soleil, de la lune ou des étoiles ? L'être est le manteau de l'illusion étendu sur l'Absolu. Autrement dit, l'être, qui est le concept premier, primordial « je suis », est en lui-même le principe d'illusion. Cette touche de « je suis » elle-même est illusion bien que vaste et innombrable.

Ce monde manifesté est le jeu dynamique des cinq éléments entre eux. Au sein de cette immensité il n'y a pas place pour un individu. Un diamant rayonne la lumière tout autour de lui, il est pur rayonnement. Dans la méditation profonde vous pourrez constater cela. Comme l'éclat du diamant rayonne dans toutes les directions, le monde manifesté irradie à partir de Vous, il est votre propre splendeur.

V : Comme un café d'autrefois avec des miroirs sur tous les murs reflétant de multiples fois votre image !

M : L'univers entier se manifeste dans ce principe appelé « être » ou « naissance ». Cet être illumine tout l'univers, ce qui signifie que l'univers entier se manifeste en tant que corps de cette êtreté.

Vous distinguez de multiples formes sur l'écran de la télévision : des personnages, des paysages, mais ils ne sont rien que l'expression, le jeu, de la lumière télévisée. De même l'ensemble du monde manifesté que vous percevez est une production de votre être. Qui sur l'écran joue le rôle des personnages, des océans, des montagnes ? Seulement la lumière !

Quand vous vous plongerez dans une profonde quiétude après avoir assimilé l'essence de ces entretiens, vous pourrez observer que dans cette connaissance « vous êtes » existent à l'état latent d'innombrables univers.