Le monde manifesté tout entier n'est que le rêve du Non-Manifesté, il n'existe pas réellement
par Sri Nisargadatta Maharaj
Source : Sri Nisargadatta Maharaj « Graines de Conscience » - Les Deux Océans – Paris
2 janvier 1980
Q : Dans le Non-Mantfesté, dans la pure conscience (awareness) le sentiment « je suis » n'est que conscience, alors que la conscience qui est en nous, qui est liée au temps, le connaissant de cette conscience ne peut être cette conscience. Il est entièrement différent. Le Jnani est établi dans l'état précédant toute connaissance.
M : D'où venez-vous ? Qui vous a conseillé de venir ici ?
Q : Je suis Australien. Il y a trois ans je suis venu ici pendant quelques jours.
M : Votre passage a-t-il eu des effets sur vous ?
Q : Oui, il a produit un changement.
M : Vous êtes venu ici pour apprendre, mais êtes-vous prêt à accepter la vie sans le corps ?
Q : Oui. Quelles sont les caractéristiques de la vie sans le corps ?
M : Cette vie-là est non changeante ; quand le corps est là, la vie est changeante, transitoire. Votre vraie nature est telle que vous n'êtes pas conscient (aware) de la conscience ou des états de veille et de sommeil. L'ennui est que les gens ne comprennent pas vraiment, qu'ils ne sont pas convaincus que le corps, le souffle et la conscience sont liés au temps, et que le commencement et la fin de la vie sont un petit incident qui s'est produit dans l'état de permanence. A la fin de la journée la conscience s'évanouit, et il ne reste personne qui voudra savoir quelle route prendre pour voyager.
Nous entrons dans la vie avec un billet. Quand vient la fin il faut partir, la situation est irrévocable. Comprenez que la vie est un voyage, avec un commencement et une fin, qu'on effectue avec un billet ayant un certain délai de validité, qu'à l'expiration de celui-ci ce qui est apparu avec la vie disparaîtra. Sortez de ce cercle, soyez-en le témoin.
Q : Pourtant les preuves de la survie de la conscience après la mort sont apparemment nombreuses.
M : Il ne s'agit que de concepts. En réalité, personne n'a fait l'expérience de la naissance et de la mort, même pour ce qui est de sa vie actuelle.
Q : Comment la naissance et la mort surviennent-elles ?
M : Avez-vous fait des rêves ?
Q : Oui.
M : Vous êtes également présent dans vos rêves et votre vision est celle de quelqu'un d'entièrement différent ; à la fin du rêve tout s'évanouit.
Q : Pourquoi me suis-je enfermé dans la conscience du corps ?
M : Vous êtes en train de dormir paisiblement dans un lit chaud et douillet. Pourquoi, dès lors, vous mettez-vous en rêve dans une situation où vous suffoquez, où vous êtes sur le point de mourir ? Le monde manifesté tout entier n'est que le rêve du Non-Manifesté, il n'existe pas réellement. Ce qui nous fait croire que nous sommes est cause de notre existence. A la fin de celle-ci nous revenons à notre état originel. Celui qui le sait ne craint rien de ce qui lui arrive.
Q : Serait-il judicieux de dire qu'un Jnani présente certaines caractéristiques spontanées, l'une d'elles pouvant être la compassion ?
M : Qu'entendez-vous au juste par le mot compassion ?
Q : Jour après jour Maharaj rencontre des gens à qui il s'efforce de communiquer telle ou telle connaissance. Pourquoi se donne-t-il ce mal ?
M : La compassion dont il est question n'est pas pour l'individu, mais pour l'être qui est pris dans le piège de l'identification à un certain nombre d'individus.
Q : Cette compassion, est-ce une relation spontanée entre l'Absolu et la conscience ?
M : Au point et à l'instant précis où le Non-Manifesté est devenu manifesté, la raison de la compassion a fait spontanément son apparition.
Q : je comprends. Quand meurt le corps d'un jnani, son état réel n'est plus soumis à aucune condition, mais la compassion, elle, ne meurt pas. Le jnani se réincarnerait-il donc ? Que devient la compassion née d'elle-même et qui a disparu ?
M : L'ensemble du monde manifesté exprime très clairement l'apparition spontanée de la compassion. L'homme ne voit pas l'expression immédiate de la compassion dans le monde. Avant la naissance de l'enfant du lait se forme dans les seins de la mère, et la compassion de nourrir l'enfant surgit au même instant. Une femme n'est pas encline à nourrir l'enfant d'une autre femme.
Q : je voulais savoir si après la mort il demeure une graine, une sorte de continuité, si le jnani souhaite s'incarner une nouvelle fois.
M : L'idée même de quelque chose se perpétuant vie après vie est fausse. En devenant un Jnani, au sens plein du terme, vous comprenez que sans votre existence les cinq éléments eux-mêmes ne peuvent pas vivre. Vous délivrer la connaissance comme je le fais en ce moment, c'est comme de nourrir des enfants, mais le jour où vous aurez la pleine connaissance, vous comprendrez que votre être nourrit l'univers tout entier. L'être est sans valeur, il ne vous apporte qu'infortune, et il est lié au temps. Pourtant, en même temps, pour ce qui concerne le monde manifesté, l'être vivant le plus infime soutient l'univers tout entier. Votre conscience est multiple par nature (elle peut revêtir n'importe quelle forme qui lui plaît), tandis que votre nature véritable est plénitude en soi, immuable. Vous connaissez la nature, celle de l'homme et celle de la conscience. Que voulez-vous connaître encore ?
Q : A vrai dire, je cherche à aller au-delà de la connaissance.
M : En réalité, il n'y a besoin d'aller nulle part, ni au-delà de quelque chose ni antérieurement à quelque chose. L'état est là. L'homme croit qu'il doit aller d'un état à un autre, mais à tort. Cherchez-vous encore autre chose ?
Q : A faire tomber tous les faux attachements, les fausses identifications.
M : Tout le problème est là : croire que certaines idées fausses nous viennent de l'extérieur. Elles sont toutes dues à des mouvements de conscience ; dès que la conscience disparaît, les mouvements qui sont nés avec elle disparaissent eux aussi. Vous êtes déjà dans l'état dont il est question, il ne s'agit pas d'acquérir quelque chose. Maintenant vous le savez, mais cette connaissance n'est d'aucun usage pour vous.
Q : C'est vrai. j'aimerais que Maharaj m'explique ce qu'est le Brahma-randhra. Je connais bien l'enseignement yoguique fondé là-dessus, mais celui de Maharaj est légèrement différent.
M : Il y a deux choses : le monde et notre propre présence, le sentiment de présence, c'est-à-dire la conscience, l'être « Je suis présent » c'est Brahma ; randhra veut dire l'ouverture la plus infime possible, c'est en elle que réside le son silencieux, primordial, qui vous donne l'impression d'être alors qu'en réalité vous n'êtes pas. Le son dans cette ouverture vous donne le sentiment d'être, mais vous n'êtes pas, soyez-en assuré.
Q : Très bien.
M : Je me tiens fermement dans l'état originel, là où je n'étais pas conscient (aware) d'être. Mon corps et l'être me sont venus, mais comme je connais leur nature je n'attends rien d'eux. Quand un yogi est complètement absorbé dans sa méditation, ou yoga, le son muet l'emplit, au point de l'enivrer. Au bout d'un moment, il décroît. A la mort du corps la conscience individuelle retourne à la totalité de la conscience, mais là encore la conscience sait qu'elle existe, et tant qu'on sait qu'elle existe cela signifie qu'elle se trouve en état de dualité.