L'Un : la pure Conscience, la sensation d'être tout ce qui est ou pourrait être par Sri Nisargadatta Maharaj

Source : Sri Nisargadatta Maharaj « Je Suis » - Les Deux Océans – Paris



Q : Qu'est-ce que turya, le quatrième état dont nous entendons parler ?

M : Être le point de lumière qui dessine le monde, c'est turya. Être la lumière elle-même, c'est turyatita. Mais à quoi servent les noms quand la réalité est si proche ?

Q : Dans votre état, y a-t-il progression ? Quand vous comparez ce que vous êtes aujourd'hui à ce que vous étiez hier, vous trouvez-vous changé, faites-vous des progrès ? Votre vision de la réalité croît-elle en amplitude et en profondeur ?

M : La réalité est immuable et cependant en constant mouvement. Elle est comme une rivière puissante : elle coule, mais elle est toujours présente éternellement. Ce qui coule, ce n'est pas la rivière avec son lit et ses berges, mais son eau. De même, sattva guna, l'harmonie universelle, mène son jeu contre tamas et rajas, les forces des ténèbres et du désespoir. En sattva, il y a toujours changement et progrès, en rajas, changement et régression alors que tamas signifie le chaos. Les trois gunas jouent éternellement l'un contre l'autre ; c'est un fait, et on ne peut pas discuter un fait.

Q : Faut-il que tamas me plonge toujours dans la torpeur et rajas dans le désespoir. Et sattva, qu'est-il ?

M : Sattva est le rayonnement de votre nature authentique. Vous pouvez toujours la trouver au-delà du mental et de ses nombreux mondes. Mais si vous voulez un monde, il faut que vous acceptiez les trois gunas comme étant inséparables : matière, énergie et vie, un en essence, mais séparés en apparence. Ils se mêlent et coulent dans la conscience. Il y a dans le temps et l'espace un courant éternel, naissance et mort, toujours renouvelé : avance, recul, une autre avance et de nouveau, le recul, apparemment sans commencement ni fin. La réalité, elle, est intemporelle, immuable, incorporelle, Pure Conscience non mentale, béatitude.

Q : Je comprends que, selon vous, chaque chose est un état de conscience. Le monde est plein de choses, un grain de sable est une chose, une planète en est une autre. Comment sont-elles reliées à la conscience ?

M : La matière commence là où la conscience s'arrête. Une chose est une forme d'être que nous n'avons pas comprise. Elle ne change pas, elle est toujours la même et elle paraît être là d'elle-même, quelque chose de bizarre et d'étranger. Évidemment elle est dans Chit, la conscience, mais elle paraît lui être extérieure à cause de son immuabilité apparente. Le fondement des choses se trouve dans la mémoire, sans elle, il n'y aurait pas de reconnaissance. Création, réflexion, rejet ou Brahma, Vishnu et Shiva, c'est le processus éternel. Toutes les choses sont gouvernées par lui.

Q : Ne peut-on pas y échapper ?

M : Je ne fais rien d'autre que de vous montrer l'issue. Comprenez que le Un inclut les Trois, que vous êtes le Un, et vous serez libéré du déroulement du monde.

Q : Mais alors, qu'arrive-t-il à ma conscience ?

M : Après l'étape de la création vient celle de l'examen et de la réflexion, puis pour finir, celle du renoncement et de l'oubli. La conscience demeure, mais dans un état latent, tranquille.

Q : L'état d'identité subsiste-t-il ?

M : L'état d'identité est inhérent à la réalité et il ne s'efface jamais. Mais l'identité n'est ni la personnalité impermanente (vyakti), ni l'individualité liée au karma (vyakta). C'est ce qui reste quand toute auto-identification est abandonnée parce que perçue comme fausse : la pure Conscience, la sensation d'être tout ce qui est ou pourrait être. La conscience est pure au début, et pure à la fin ; dans l'intervalle, elle est contaminée par l'imagination qui est la source de la création. A tous les instants, la conscience demeure la même ; la connaître telle quelle est, identique à elle même qu'elle soit pure, ou voilée, c'est la réalisation et la paix intemporelle.

Q : Le sentiment « je suis » est-il réel ou irréel ?

M : Les deux à la fois. Il est irréel quand vous dites : « Je suis ceci, je suis cela ». Il est réel quand vous dites : « Je ne suis pas ceci, je ne suis pas cela ». Celui qui connaît va et vient avec ce qui est connu, et il est transitoire ; mais celui qui sait qu'il ne sait pas, qui est vide de mémoire et d'anticipation, est intemporel.

Q : Est-ce que le « je suis » est le témoin, ou sont-ils distincts ?

M : Sans l'un, l'autre ne peut pas exister. Cependant, ils ne sont pas un. C'est comme la fleur et sa couleur. Sans fleur, pas de couleurs ; sans couleurs, la fleur ne peut être vue. Au-delà est la lumière qui, par son contact avec la fleur, crée les couleurs. Réalisez que votre véritable nature est uniquement celle de la lumière pure, et que ce qui est perçu, comme celui qui perçoit, apparaissent et disparaissent tous deux ensemble. Ce qui les rend possibles, et qui n'est, cependant, ni l'un ni l'autre, est votre être réel, ce qui signifie ne pas être ceci ou cela, mais être la Pure Conscience de l'être et du non-être. Quand la Conscience se tourne vers elle-même, le sentiment éprouvé est celui de ne pas connaître ; quand elle est tournée vers l'extérieur, le connaissable vient à l'existence. Dire : « Je me connais » est une contradiction dans les termes car ce qui est connu ne peut pas être moi-même.

Q : Si le soi est à jamais inconnu, qu'est-ce qui se réalise dans la réalisation de soi ?

M : C'est une libération suffisante que de savoir que le connu ne peut pas être moi, ni à moi. La libération de l'auto-identification à un ensemble de souvenirs et d'habitudes, la stupeur devant l'étendue infinie de l'être, devant sa créativité inépuisable et devant sa transcendance absolue, l'absence totale de peur née de la réalisation de la nature illusoire et transitoire de tous les modes de la conscience, coule d'une source profonde et inépuisable. La réalisation de soi, c'est connaître la source comme source et l'apparence comme apparence, et se connaître soi-même comme source uniquement.

Q : De quel côté est le témoin ? Est-il réel ou irréel ?

M : Personne ne peut dire : « Je suis le témoin ». Le « je suis » est toujours vu. L'état de Pure Conscience détachée, c'est la conscience-témoin, le « mental-miroir ». Le témoin naît et disparaît avec son objet, aussi n'est-il pas tout à fait réel. Quel que soit son objet, il est toujours le même, il est donc aussi réel. Il participe à la fois du réel et de l'irréel, il constitue par conséquent un pont entre les deux.

Q : Si tout n'arrive qu'au « je suis », si le « je suis » est le connu, le connaissant et la connaissance, que fait le témoin, à quoi sert-il ?

M : Il ne fait rien et il ne sert à rien.

Q : Alors, pourquoi en parler ?

M : Parce qu'il est là. Le pont n'a qu'un seul usage : permettre de traverser. Vous ne construisez pas de maison sur un pont. Le « je suis » regarde les choses, le témoin voit à travers. Il les voit telles qu'elles sont, irréelles et transitoires. Le travail du témoin, c'est de dire « pas moi, pas à moi ».

Q : Le non-manifesté (nirguna) est-il représenté par le manifesté (saguna) ?

M : Le non-manifesté n'est pas représenté. Rien de ce qui est manifesté ne peut représenter le non-manifesté.

Q : Alors, pourquoi en parlez-vous ?

M : Parce que c'est mon lieu de naissance.