La Mort : la Conscience jamais ne naît ni ne renaît. Elle est l'immuable réalité même par Sri Nisargadatta Maharaj

Source : Sri Nisargadatta Maharaj « Je Suis » - Les Deux Océans – Paris



Q : Quand l'homme ordinaire meurt, qu'advient-il de lui ?

M : Cela se passe conformément à ses croyances. La vie avant la mort n'est qu'imagination, comme la vie qui la suit. Le rêve continue.

Q : Et le jnani ?

M : Le jnani ne meurt pas parce qu'il n'est jamais né.

Q : Pour les autres, il paraît être né.

M : Mais pas pour lui. En lui-même, il est libéré de toutes les choses, physiques ou mentales.

Q : Néanmoins, vous devez connaître l'état de l'homme qui est mort, ne serait-ce que par vos vies antérieures.

M : Jusqu'à ce que je rencontre mon guru, je savais plein de choses. Maintenant, je ne connais rien car toute connaissance n'est que dans le rêve, et elle n'a pas de valeur. Je me connais et je ne trouve en moi ni vie ni mort, rien qu'être pur, non pas être ceci ou cela, être, simplement. Mais dès l'instant où le mental, puisant dans son stock de souvenirs, commence à imaginer, il remplit l'espace d'objets et le temps d'événements. Ne connaissant même pas cette naissance, comment pourrais-je connaître les naissances passées ? C'est le mental qui lui-même mouvant voit toute chose en mouvement, et ayant créé le temps, s'inquiète du passé et de l'avenir. La conscience (maha tattva) qui se manifeste là où se tiennent l'ordre parfait et l'harmonie (maha sattva), est le berceau de l'univers. Comme toutes les vagues sont dans l'océan, toutes les choses, physiques ou mentales, sont dans la Conscience. C'est pourquoi la Conscience (awareness) est primordiale, et non son contenu. Approfondissez, élargissez votre conscience de vous, votre attention à vous-même, et toutes les bénédictions afflueront. Il est inutile que vous cherchiez quoi que ce soit, tout viendra à vous naturellement, sans effort. Les cinq sens et les quatre fonctions (de la psyché; mémoire, pensée, compréhension et personnalité), les cinq éléments (terre, eau, feu, air et éther), les deux aspects de la création (matière et esprit), tous sont contenus dans la Conscience (awareness).

Q : Vous devez cependant croire avoir vécu avant.

M : Les écritures l'affirment, mais pour ma part, je n'en sais rien. Je me connais tel que je suis ; comment suis-je apparu, ou comment apparaîtrai-je, ce n'est pas dans le champ de mon expérience. Ce n'est pas que je ne me souvienne pas, il n'y a rien à se rappeler. La réincarnation implique un soi qui se réincarnerait. Il n'y a rien de tel. Ce faisceau de mémoires et d'espérances qu'on appelle moi s'imagine exister indéfiniment et il crée le temps pour s'adapter à sa fausse éternité ; pour être, je n'ai pas besoin de passé ou de futur. Toute expérience est née de l'imagination ; je n'imagine pas, aussi ne m'arrive-t-il ni naissance ni mort. Seuls ceux qui pensent être nés peuvent croire qu'ils renaîtront. Vous m'accusez d'être né, je plaide non coupable ! Tout existe dans la Conscience (awareness) et la Conscience jamais ne naît ni ne renaît. Elle est l'immuable réalité même. L'univers entier de l'expérience est né avec le corps et meurt avec lui ; il a son début et sa fin dans la Conscience, mais celle-ci ne connaît ni début ni fin. Si vous pensez avec attention à tout cela, si vous y réfléchissez longtemps, vous apercevrez la lumière de l'Éveil de la Présence (awareness) dans toute sa clarté et l'univers s'évanouira devant vos yeux. Il en est comme de regarder un bâton d'encens incandescent ; vous voyez d'abord le bâton et la fumée ; mais quand vous remarquez le point d'incandescence, réalisez qu'il possède le pouvoir de consumer des montagnes de bâtons et de remplir l'univers de fumée. Hors du temps, le soi se réalise lui-même sans jamais épuiser ses possibilités infinies. Dans l'analogie du bâton d'encens, celui-ci est le corps et la fumée, le mental. Tant que le mental est occupé de ses propres contorsions, il ne perçoit pas sa propre source. Vient le Guru qui tourne votre attention vers l'étincelle intérieure. Le mental, par sa nature même, est extroverti, il a toujours tendance à chercher la source des choses parmi les choses mêmes ; s'entendre dire de le chercher à la source, à l'intérieur, c'est en quelque sorte le début d'une nouvelle vie. L'Éveil (awareness) prend la place de la conscience ; dans la conscience, il y a le moi qui est conscient, alors que l'Éveil est non divisé. L'Éveil est conscient de lui-même. « Je suis » est une pensée, alors que la Conscience, l'Éveil n'est pas une pensée ; dans la Conscience il n'y a pas « Je suis conscient ». La conscience est un attribut, conscient d'être conscient l'Éveil n'en est pas un ; on peut être conscient d'être conscient mais on ne peut être conscient de l'Éveil. Dieu est la totalité de la conscience, mais l'Éveil est au-delà de tout être et de tout non-être.

Q : J'ai commencé par une question sur la condition de l'homme après la mort. Quand son corps est détruit, qu'advient-il de sa conscience ? Emporte-t-il avec lui le sens de la vue, l'ouïe, etc., ou les laisse-t-il derrière lui ? Et s'il perd ses sens, que devient sa conscience ?

M : Les sens ne sont que des moyens de la perception. Quand les moyens les plus grossiers disparaissent, des états de conscience plus subtils naissent.

Q : Après la mort, n'y a-t-il pas une transition vers l'Éveil ?

M : Il ne peut y avoir de transition entre la conscience et l'Éveil, car ce dernier n'est pas une forme de conscience. La conscience ne peut que devenir plus subtile, plus raffinée, c'est ce qui se produit après la mort. Au fur et mesure que les différents supports meurent, les différents modes de conscience induits par eux s'évanouissent.

Q : Jusqu'à ce que seule demeure l'inconscience ?

M : Écoutez-vous parler de l'inconscience comme de quelque chose qui va et vient ! Où est celui qui serait conscient de l'inconscience ? Tant que la fenêtre est ouverte, il y a du soleil dans la chambre. Fermez la fenêtre, le soleil demeure. Voit-il l'obscurité dans la chambre ? Existe-t-il pour le soleil une chose telle que l'obscurité ? L'inconscience n'existe pas parce qu'elle n'est pas expérimentable. Nous supposons qu'il y a inconscience quand il se produit une lacune dans la mémoire ou dans la communication. Si je ne réagis plus, vous direz que je suis inconscient. En fait, je peux avoir la conscience la plus aiguë tout en étant incapable de communiquer ou de me souvenir.

Q : Ma question est simple, il y a environ quatre milliards d'individus dans le monde, tous appelés à mourir. Quelle sera leur condition après la mort, non pas physiquement, mais psychologiquement ? Leur conscience persistera-t-elle ? Et, si elle le fait, sous quelle forme ? Ne me dites pas que je ne pose pas la bonne question, que vous ne connaissez pas la réponse, ou que, dans votre monde, ma question n'a pas de sens. Dès que vous parlez de votre monde et du mien comme différents et incompatibles, vous construisez un mur entre nous. Ou nous vivons dans un même monde, ou votre expérience ne m'est d'aucune utilité.

M : Bien sûr, nous vivons dans le même monde. Seulement, je le vois tel qu'il est, et vous, non. Vous vous voyez dans le monde alors que je vois le monde en moi. A vos yeux, vous êtes né et vous mourrez, alors qu'aux miens, le monde apparaît et disparaît. Notre monde est réel, mais votre façon de le voir ne l'est pas. Il n'y a d'autre mur entre nous que celui que vous érigez. Il n'y a rien de défectueux dans les sens, c'est votre imagination qui vous égare. Elle recouvre le monde tel qu'il est de ce que vous croyez être, une chose qui existerait indépendamment de vous, mais qui, néanmoins correspondrait à vos modèles hérités ou acquis. Il y a dans votre attitude une profonde contradiction dont vous ne vous apercevez pas et qui est génératrice de souffrance. Vous êtes attaché à l'idée d'être né dans un monde de douleur et de chagrin ; je sais que le monde est un enfant de l'amour, qu'il a son commencement, sa croissance et sa fin dans l'amour. Mais je suis aussi au-delà de l'amour.

Q : Si c'est de l'amour que vous avez créé le monde, pourquoi est-il si plein d'angoisse ?

M : Du point de vue du corps, vous avez raison. Mais vous n'êtes pas le corps. Vous êtes l'infinité, l'immensité de la Conscience. Ne tenez pas pour établi ce qui n'est pas vrai, et vous verrez les choses comme je les vois. Souffrance et plaisir, bon et mauvais, sont des termes relatifs qui ne doivent pas être pris dans un sens absolu. Ils sont limités et temporaires.

Q : Il est dit, dans la tradition bouddhiste, que le Nirvani, le Bouddha éveillé, a la liberté de l'univers. Il peut connaître et ressentir pour lui-même tout ce qui existe. Il peut commander à la nature, intervenir dans ses lois, dans la chaîne des causes ; il peut changer les séquences des événements et même refaçonner le passé. Le monde lui est toujours présent, il en est libre.

M : Ce que vous décrivez là, c'est Dieu. Naturellement, où il y a un univers, il y a sa contrepartie, Dieu. Mais je suis au-delà des deux. Il y avait un royaume qui cherchait un roi. Ils trouvèrent l'homme qui convenait et ils en firent leur roi. Il n'avait changé en rien. Il avait simplement reçu le titre, les droits et les devoirs d'un roi. Sa nature n'en était pas affectée, seulement ses actes. Il en est de même pour l'homme éveillé ; le contenu de sa conscience subit une transformation radicale. Mais cela ne l'égare pas. Il connaît l'immuable.

Q : L'immuable ne peut pas être conscient. La conscience est toujours conscience de ce qui change. L'immuable ne laisse pas de trace dans la conscience.

M : Oui et non. Le papier n'est pas l'écrit, mais il porte l'écrit. L'encre n'est pas le message, le mental du lecteur n'est pas, lui non plus, le message, mais tous rendent le message possible.

Q : La conscience procède-t-elle de la réalité, ou est-elle un attribut de la matière ?

M : La conscience, en tant que telle, est une contrepartie subtile de la matière. De même que l'inertie (tamas) et l'énergie (rajas) sont des attributs de la matière, de même l'harmonie (sattva) se manifeste-t-elle comme conscience. Vous pourriez la considérer comme une forme d'énergie très subtile. La conscience apparaît spontanément partout où la matière s'agence en un organisme stable. Avec la destruction de l'organisme, la conscience disparaît.

Q : Qu'est-ce qui survit ?

M : Ce dont la conscience et la matière ne sont que des aspects, ce qui ne naît ni ne meurt.

Q : Comment cela peut-il être expérimenté si c'est au-delà de la matière et de la conscience ?

M : On peut le connaître dans ses effets sur l'une et l'autre ; cherchez-le dans la beauté et la béatitude. Mais vous ne comprendrez le corps et la conscience que si vous les dépassez tous les deux.

Q : Je vous en prie, dites-nous franchement, êtes-vous conscient ou inconscient ?

M : L'éveillé (jnani) n'est ni l'un ni l'autre, mais dans son éveil (jnana), tout est contenu. L'Éveil contient toute expérience. Mais celui qui est éveillé est au-delà de toute expérience. Il est au-delà de la conscience elle-même.

Q : Il y a l'arrière-plan de l'expérience, appelons-le matière. Il y a celui qui expérimente, appelons-le mental. Quel pont y a-t-il entre les deux ?

M : C'est le gouffre même entre les deux qui est le pont. Ce qui d'un côté paraît être matière, et de l'autre mental, est le pont. Ne séparez pas la réalité entre psyché et corps, et vous n'aurez pas besoin de pont. Quand la conscience naît ; le monde naît. Quand vous contemplez la sagesse et la beauté du monde, vous la nommez Dieu. Connaissez la source de tout ce qui est en vous-même, et toutes vos questions recevront une réponse.

Q : Le voyant et le vu ne font-ils qu'un, ou sont-ils deux ?

M : Il n'y a que la vision ; elle contient à la fois ce qui voit et ce qui est vu. Ne créez pas de différence où il n'y en a pas.

Q : Ma première question était au sujet de l'homme qui meurt. Vous avez dit que ses expériences prendront forme en fonction de ce qu'il attend.

M : Avant d'être né, vous vous attendiez à vivre selon un plan que vous aviez vous-même conçu. Votre volonté fut l'artisan de votre destin.

Q : Le Karma est certainement intervenu.

M : Le Karma façonne les circonstances ; les attitudes sont vôtres. En dernier ressort, votre caractère élabore votre vie et vous seul pouvez former votre caractère.

Q : Comment forme-t-on son caractère ?

M : En le voyant tel qu'il est, et en en étant sincèrement désolé. L'intégrité de cette vision-sentiment peut faire des miracles. C'est comme de couler un bronze ; le métal seul ou le feu seul, ne feront rien, et le moule ne sera d'aucune utilité ; il faut que vous fondiez le métal à la chaleur du feu et que vous le couliez dans le moule.