Les cinq états de conscience de l'individu
par Shrî Râmana Maharshi
Source : « L'enseignement de Râmana Maharshi » édition Albin Michel
23 au 28 janvier 1939
617. Cinq états sont différenciés chez l'individu : 1) le jâgrat, 2) le svapna, 3) la sushupti, 4) le turya, 5) le turyâtita.
Veille
Le jâgrat est l'état de veille. En cet état, le jiva, sous son aspect grossier individuel (vishva), et le Seigneur, sous son aspect grossier universel (Virat), demeurant ensemble dans les huit pétales du Lotus du Cœur, fonctionnent par l'intermédiaire des yeux, puis au moyen de tous les sens et organes et jouissent des plaisirs procurés par les divers objets. Les cinq éléments grossiers déployés, les dix sens, les cinq énergies vitales, les quatre facultés internes, en tout vingt-quatre éléments fondamentaux, constituent ensemble le corps grossier. L'état de jagrat est caractérisé par le sattva-guna (qualité de pureté), défini par la lettre A et régenté par la divinité Vishnou.
Rêve
Le svapna est l'état de rêve durant lequel le jiva, sous son aspect subtil individuel (taijasa), et le Seigneur, sous son aspect subtil universel (Hiranyagarbha), demeurant ensemble dans la corolle du Lotus du Cœur, fonctionnent dans la nuque, en faisant l'expérience des conséquences des impressions recueillies à l'état de veille par l'intermédiaire du mental. Tous les principes, les cinq éléments grossiers, la volonté et l'intellect, en tout dix-sept, forment ensemble le corps subtil du rêve qui est caractérisé par le rajo-guna (qualité d'activité), défini par la lettre U et régenté par la divinité Brahmâ, ainsi que l'affirment les sages.
Sommeil profond
La sushupti est l'état de sommeil profond durant lequel le jiva, sous son aspect causal individuel (prâjna), et le Seigneur sous son aspect causal universel (Ishvara), demeurant ensemble dans l'étamine du Lotus du Cœur, font l'expérience de la félicité du Suprême par l'intermédiaire de l'ignorance subtile (avidya). De même qu'une mère poule, le soir venu, réunit sous ses ailes toute sa couvée pour lui assurer le repos de la nuit, ainsi l'être individuel subtil, après avoir fait l'expérience du jâgrat et du svapna, se réfugie dans son corps causal avec toutes les impressions recueillies durant ces deux états. Le corps causal, formé par l'ignorance, est caractérisé par le tamo-guna (qualité d'obscurité), défini par la lettre M et régenté par la divinité Rudra.
Turiya (ou le quatrième état de la conscience)
Le sommeil profond n'est rien d'autre que l'expérience du pur état d'être. Les trois états reçoivent différentes appellations, notamment celles des trois régions, des trois citadelles, des trois divinités, etc. L'Être demeure toujours dans le Cœur, comme il a été dit précédemment. Si, dans l'état de jâgrat (veille), le Cœur n'est pas abandonné, les activités mentales sont apaisées et seul le Brahman est contemplé, c'est l'état de turiya.
Le turyatita (ou cinquième état de la conscience) est l'état dans lequel l'être individuel se fond dans le Suprême.
Le royaume végétal est toujours plongé en sushupti (sommeil profond) ; les animaux ont les deux, les états de sushupti et de svapna (rêve) ; les dieux (êtres célestes) sont toujours en jâgrat (veille) ; l'homme connaît les trois états ; le yogi à la claire vision ne demeure que dans l'état de turiya, et le yogi au stade le plus élevé demeure uniquement en turyatita.
Les trois premiers états alternent involontairement chez l'homme ordinaire. Le quatrième et le cinquième état (turiya et turyatita) sont le résultat d'une pratique spirituelle et constituent une aide efficace à la Libération. Chacun des premiers trois états (veille, rêve et sommeil profond) est exclusif des deux autres et limité dans le temps et l'espace. Ils sont donc irréels.
Notre expérience des états de jagrat (veille) et de svapna (rêve) prouve que la Conscience, le Soi, est sous-jacente aux cinq états, qu'elle reste parfaite en chacun d'eux et qu'elle est le témoin de tous. En ce qui concerne la conscience similaire dans le sommeil profond, il est bien connu que tout le monde dit : « Je n'étais conscient de rien ; j'ai dormi profondément, comme un bienheureux. » Deux faits émergent de cette déclaration : la non conscience de toutes choses d'une part, et le bonheur du sommeil profond d'autre part. Il faut que ces deux facteurs aient existé et aient été expérimentés dans le sommeil pour que la même personne puisse les exprimer à l'état de veille. Le raisonnement par déduction conduit aussi à cette conclusion. De même que les yeux voient l'obscurité qui recouvre tous les objets, ainsi le Soi voit l'obscurité de l'ignorance qui recouvre le monde phénoménal.
Cette obscurité est expérimentée quand le Soi émerge en points lumineux de félicité suprême, resplendissant un instant, puis disparaissant de manière imperceptible tels les rayons de la lune qui glissent à travers un feuillage mouvant. Cette expérience n'a cependant pas besoin d'intermédiaire (tel que les sens ou le mental), ce qui prouve que la conscience existe bien dans le sommeil profond. La non-conscience dans cet état est fondée sur l'absence de connaissance relative, et le bonheur sur l'absence de pensées.
Si l'expérience de la félicité dans le sommeil profond est un fait, comment se fait-il qu'aucun être humain ne s'en souvienne ? Un plongeur qui a trouvé sous l'eau l'objet de sa recherche ne peut faire connaître sa découverte aux personnes qui l'attendent sur le rivage qu'une fois sorti de l'eau. De même le dormeur, privé de moyens d'expression, ne peut faire part de son expérience tant qu'il n'est pas réveillé par ses vâsanâ. De toutes ces considérations, il résulte que le Soi est la lumière de Sat, Chit, Ananda (Être Conscience Félicité).
Vishva, taijasa et prâjna sont des termes désignant l'individu qui se trouve respectivement dans les états de veille, de rêve et de sommeil profond. Et le même individu est sous-jacent à chacun de ces états. Ceux-ci ne représentent donc pas le vrai Soi qui est le pur état de Sat-Chit-Ananda. Nous avons dit que l'expérience du sommeil profond est la félicité du Brahman. Mais en fait, il s'agit seulement de l'aspect négatif de cette félicité, puisqu'elle est fondée sur l'absence de pensées. De plus, elle est transitoire. Une telle félicité n'est que l'abhasa (le reflet), une « contrefaçon » de la félicité suprême. Elle n'est pas différente du sentiment de félicité provoqué par les plaisirs sensuels. Nous disions qu'en sommeil profond le prâjna est uni au Soi. L'individualité demeure donc à l'état potentiel dans cet état.
Le Soi est sous-jacent à toutes les expériences. Il est leur témoin ainsi que leur support. La Réalité est donc différente des trois états, veille, rêve et sommeil profond.