Shiva, pure Conscience éternelle est le seul Être qui soit
par Shrî Râmana Maharshi

Source : « L'enseignement de Râmana Maharshi » édition Albin Michel



3 FÉVRIER 1938

450. Miss Uma Devi, une Polonaise convertie à l'hindouisme, s'adressa à Shri Bhagavân :
« J'ai déjà fait part à Shri Bhagavân de la vision de Shiva que j'avais eue à l'époque de ma conversion à l'hindouisme. Une expérience analogue m'est advenue à Courtallam. Ces visions sont éphémères, mais elles engendrent la félicité. Je désirerais savoir comment les rendre durables et continues. Sans Shiva, il n'y a pas de vie dans ce que je vois autour de moi. Je suis tellement heureuse de penser à Lui. Pouvez-vous me dire comment Sa vision peut devenir permanente en moi ? »

M. : Vous parlez d'une vision de Shiva. Toute vision se rapporte toujours à un objet. L'objet implique l'existence d'un sujet. La valeur de la vision est la même que celle de celui qui la voit. (En d'autres termes, la nature de la vision est au même niveau que la nature de celui qui voit.) L'apparition implique aussi la disparition. Tout ce qui apparaît doit aussi disparaître. Une vision ne peut jamais être éternelle. Mais Shiva, Lui, est éternel.

Le pratyaksça (la vision) de Shiva, visible à l'œil, implique l'existence des yeux pour voir ; derrière la vue se trouve la buddhi (l'intellect) et derrière les deux se trouve celui qui voit et qui a la Conscience pour base. Ce pratyaksha (la vision) n'est pas aussi réel qu'on se l'imagine, car il n'est pas intime, inhérent à l'être. Il n'est pas une donnée de première main. Il est le résultat de plusieurs aspects successifs que prend la Conscience. Mais tandis que ces aspects varient, la Conscience, elle, ne varie pas. Elle est éternelle. Elle est Shiva. Elle est le Soi.

La vision implique celui qui voit. Ce dernier ne peut nier l'existence du Soi. II n'y a aucun instant où le Soi, en tant que Conscience, n'existe pas. De même, celui qui voit ne peut être séparé de la Conscience. Cette Conscience est l'Être éternel et le seul Être qui soit. Celui qui voit ne peut se voir lui-même. Nie-t-il son existence parce qu'il ne peut pas se voir lui-même avec ses propres yeux comme dans une vision (pratyaksha) ? Non ! Donc pratyaksha ne signifie pas voir, mais ETRE.

ETRE, c'est réaliser : « Je suis ce JE SUIS. » « JE SUIS » est Shiva. Rien ne peut exister sans Lui. Tout a son existence en Shiva et par Shiva.

Ainsi, cherchez : « Qui suis-je ? » Plongez profondément en vous et demeurez le Soi. C'est Shiva en tant qu'ETRE. N'espérez pas avoir de Lui des visions répétées. Quelle est la différence entre les objets que vous voyez et Shiva ? Il est les deux, le sujet et l'objet. Vous ne pouvez pas être sans Shiva. Shiva est toujours réalisé ici et maintenant. Si vous pensez que vous ne l'avez pas réalisé, vous avez tort. C'est là l'obstacle qui empêche de réaliser Shiva. Abandonnez cette pensée aussi et vous parviendrez à la Réalisation.

Q.: Oui. Mais comment puis-je faire cela le plus vite possible ?

M. : Voilà l'obstacle à la Réalisation. L'individu peut-il exister sans Shiva ? Même en ce moment Il est vous. Ce n'est pas une question de temps. S'il y avait un instant de non-Réalisation, la question de la Réalisation pourrait se poser. Mais la réalité est que vous ne pouvez pas être sans Lui. L'individu est déjà réalisé, toujours réalisé et jamais non réalisé.

Soumettez-vous à Lui et à Sa volonté, qu'Il apparaisse ou qu'Il disparaisse ; attendez Son bon plaisir. Lui demander d'agir selon votre bon plaisir, ce n'est pas se soumettre à Lui, mais Le commander. Vous ne pouvez pas attendre qu'Il vous obéisse et en même temps penser que vous Lui êtes soumise. Il sait ce qui convient le mieux et quand et comment y parvenir. Laissez donc toute chose à Ses soins. Le fardeau est pour Lui ; vous n'aurez plus de soucis. Tous vos soucis sont à Lui. C'est la soumission. C'est la bhakti.

Ou bien, cherchez à qui ces questions se posent.

Plongez au plus profond du Cœur (centre) et demeurez le Soi. L'une ou l'autre de ces deux voies est ouverte à tout aspirant.

II n'y a pas d'être qui ne soit pas conscient et qui, par conséquent, ne soit pas Shiva. Non seulement il est Shiva, mais encore toute chose dont il est conscient ou pas conscient.

Et pourtant, dans son ignorance, il croit voire l'Univers sous des formes diverses. Mais s'il voit son Soi, il n'a plus la conscience d'être séparé de l'Univers. En fait, son individualité et les autres entités disparaissent, bien qu'elles persistent dans toutes leurs formes. Shiva est vu comme étant l'Univers. Mais l'arrière-plan même, l'homme ne le voit pas. Pensez à la personne qui ne voit que le vêtement et non pas le coton dont il est fait, ou encore celle qui voit les images bougeant sur l'écran d'un cinéma, et non pas l'écran qui leur sert de support ; ou enfin, celle qui voit les lettres qu'elle lit, mais pas le papier sur lequel elles sont écrites. Les objets sont pourtant conscience et formes. Or une personne ordinaire voit les objets dans l'Univers mais pas Shiva présent dans ces formes. Shiva est l'Être qui assume ces formes et la conscience qui les voit. Cela pour dire que Shiva est l'arrière-plan sur lequel reposent à la fois le sujet et l'objet ou encore Shiva en repos et Shiva en action, ou Shiva et Shakti, ou le Seigneur et l'Univers. Quoi que l'on dise, ce n'est que la conscience, qu'elle soit au repos ou en action. Qui n'est pas conscient ? Alors, qui n'est pas réalisé ? Comment des doutes peuvent-ils alors s'élever quant à la réalisation ou au désir de l'obtenir ? Si « je » ne suis pas pratyaksha (directement visible) à moi-même, je peux alors dire que Shiva n'est pas pratyaksha.

Vous posez ces questions parce que vous avez limité le Soi au corps. C'est alors seulement que les idées sur intérieur et extérieur, sur sujet et objet, émergent. Les visions objectives n'ont aucune valeur intrinsèque. Même si elles perdurent, elles ne peuvent satisfaire personne. Umâ a toujours Shiva près d'elle. Les deux ensemble forment Ardhanarishvara (le Seigneur moitié femme). Cependant, elle voulait connaître Shiva dans Sa véritable nature. Elle se livra alors à des tapas (ascèses). Au cours de sa méditation elle aperçut une lumière intense. Elle pensa : « Cette lumière ne peut pas être Shiva, car elle se trouve à l'intérieur de mon champ visuel ; je suis plus vaste que cette lumière. » Elle reprit alors son ascèse. Les pensées disparurent. La tranquillité s'installa. Et elle réalisa que Être est Shiva dans Sa nature véritable.

Muruganar cita alors une stance du saint Appar : « Pour que les ténèbres se dissipent et que la lumière me soit donnée, Ta Grâce doit opérer à travers MOI seul. »

Et Shri Bhagavân se mit à citer une stance de Mânikkavâchakar : « Nous chantons Ta Gloire (bhajan) et nous nous livrons à diverses pratiques. Mais nous n'avons jamais vu ni entendu parler de ceux qui T'avaient vu. »

On ne peut pas voir Dieu et conserver en même temps l'individualité. Celui qui voit et ce qui est vu s'unissent en un seul Être. Il n'y a plus ni connaisseur, ni connaissance, ni connu. Tous s'absorbent dans le seul suprême Shiva !