349. - LA VOIE VERS LE SALUT PAR LA DISCRIMINATION SELON SHRI SHANKARA
PRÉFACE DE SHRI RAMANA MAHARSHI
Source : « L'enseignement de Râmana Maharshi » édition Albin Michel
Tout être au monde aspire à être toujours heureux, libre de toute trace de souffrance. Il désire également se débarrasser de tous les maux dont son corps est atteint et qui ne correspondent pas à sa nature véritable. De plus, chacun entretient à son propre égard le plus grand amour, et cet amour n'est pas possible en l'absence de bonheur. Dans le sommeil profond, bien que tout ait disparu, chacun fait l'expérience du bonheur. Parce que les gens ignorent la vraie nature de leur être, qui est le bonheur en soi, ils pataugent dans le vaste océan du monde des apparences et rejettent la voie juste qui mène au bonheur. Ils agissent selon la croyance erronée que la seule façon d'être heureux consiste à obtenir les plaisirs de ce monde et ceux de l'autre monde.
UN GUIDE SÛR
Mais hélas, ce bonheur sans la moindre trace de souffrance n'est pas réalisé. C'est précisément en vue de montrer la voie directe vers le bonheur que le dieu Shiva, par la plume de Shri Shankarâchârya, écrivit les commentaires des Prasthâna-traya du Vedânta, qui glorifient l'excellence de cette félicité, et qu'il en démontra le bien-fondé par l'exemple de sa propre vie.
Ces commentaires, cependant, sont peu utiles à ces ardents chercheurs qui sont fermement résolus à réaliser la Félicité de la Délivrance, mais qui n'ont pas la culture suffisante pour pouvoir les étudier.
C'est pour ces hommes que Shri Shankara révéla l'essence des commentaires dans ce bref traité intitulé « Le plus beau fleuron de la discrimination ». Il y explique en détail les points essentiels à saisir par ceux qui recherchent la Libération et il les dirige ainsi vers le chemin véritable et direct.
LE SAVOIR EST INUTILE
Shri Shankara commence par observer qu'il est difficile d'avoir une naissance humaine et que, l'ayant atteinte, on devrait s'efforcer de réaliser la félicité de la Libération, qui est véritablement l'état naturel de notre être. C'est uniquement grâce au jnana ou Connaissance que cette Félicité est réalisée. Le jnana n'est accompli que par le vichâra ou l'enquête soutenue. Pour connaître cette méthode d'investigation, dit Shri Shankara, on doit rechercher la faveur d'un guru. Il décrit les qualités que doivent présenter le guru et son shishya (disciple) et la façon dont ce dernier doit approcher et servir son maître. Il souligne que l'effort personnel est un facteur essentiel pour réaliser la félicité de la Libération. Le simple savoir livresque ne procure jamais cette Félicité qui ne peut être réalisée que par le vichâra ou l'investigation. Celle-ci consiste en shravana, l'attention fervente aux préceptes du guru, manana, la réflexion approfondie, et nididhyâsana, la pratique d'un ferme établissement dans le Soi.
LES TROIS VOIES
Les trois corps, physique, subtil et causal, constituent le non-Soi et sont irréels. Le Soi, ou le Je, est tout à fait différent d'eux. En raison de l'ignorance, le sens du Soi ou la notion du Je est détourné vers ce qui est non-Soi, et cela est, en effet, servitude. Car de l'ignorance vient la servitude, de la Connaissance s'ensuit la Libération. Apprendre cela du guru, c'est le shravana.
Rejeter les trois corps formés des cinq enveloppes (physique, vitale, mentale, gnostique et béatifique) comme étrangères au Je et extraire par l'enquête subtile du « Qui suis-je ? », tout comme la délicate opération qui consiste à dégager de sa corolle le pistil central d'une fleur, ce qui est distinct des trois corps et qui existe comme unique et universel dans le Cœur en tant qu'Aham ou Je, nommé tvam (dans l'énonciation sacrée tat tvam asi, (Tu es Cela), c'est le processus d'investigation subtile, manana ou réflexion profonde.
LA BÉATITUDE
Le monde du nom et de la forme n'est qu'une adjonction au Sat ou au Brahman. N'étant pas différent de Lui, il est rejeté en tant que tel et reconnu comme nul autre que le Brahman. L'instruction du disciple par le guru au mahâvkya « tat tvam asi », qui déclare l'identité du Soi avec le Suprême, s'appelle upadesha. Il est recommandé au disciple de demeurer dans la béatitude d'aham-brahman, le Je absolu. Cependant, les anciennes tendances du mental, nombreuses et puissantes, surgissent et font obstacle à cet état de béatitude. Ces tendances sont triples et l'ego, qui est leur racine, s'épanouit dans la conscience extériorisée et différenciée, causée par les forces de vikshepa, la dispersion (due au rajas) et de l'avarana, l'obscurcissement (dû au tamas).
LE BARATTAGE DU MENTAL
Établir le mental fermement dans le cœur jusqu'à ce que ses forces soient détruites et éveiller par une constante et incessante vigilance la tendance véritable et originelle, qui est la caractéristique de l'âtman et qui est exprimée par les sentences aham brahmâsmi (je suis le Brahman) et brahmaivâham (je ne suis rien d'autre que le Brahman), est appelé nididhyâsana ou âtmânusandhâna, c'est-à-dire être établi dans le Soi. On l'appelle aussi bhakti, yoga et dhyâna.
L'âtmanusandhâna a été comparé au barattage de la crème pour en tirer du beurre, le mental étant la baratte, le cœur la crème et la pratique constante de la recherche du Soi, le barattage. De même qu'à force de battre la crème on finit par en extraire le beurre et que par la friction de deux objets, un feu s'allume, ainsi, par une vigilance constante de l'attention fixée sur le Soi, telle une coulée d'huile, se produit la naturelle et permanente transe ou le nirvikalpa-samâdhi qui provoque spontanément la perception du Brahman, directe, immédiate, universelle et sans obstacle. Elle est à la fois Connaissance et Expérience et transcende le temps et l'espace.
LA FÉLICITÉ ILLIMITÉE
C'est la réalisation du Soi ; et ainsi, le hridayagranthi (le nœud du Cœur) est tranché totalement. Les illusions de l'ignorance et les tendances néfastes et sempiternelles du mental qui constituent ce nœud sont détruites. Tous les doutes sont dissipés et la servitude du karma prend fin.
C'est ainsi que Shri Shankarâ a décrit dans « Le plus beau fleuron de la discrimination » le samâdhi ou transe transcendantale comme étant la félicité illimitée de la Libération, au-delà du doute et de la dualité, et il a également indiqué les moyens pour y parvenir. La réalisation de cet état de non-dualité est le summum bonum de la vie ; et seul celui qui l'a atteint est un jivan-mukta (libéré de son vivant) et non pas celui qui n'a qu'une compréhension théorique de ce qui constitue le purushârtha, la fin désirée et le but visé par l'effort humain.
LA LIBERTÉ FINALE
Ayant ainsi défini le jivan-mukta, Shri Shankara déclare que celui-ci est libéré des liens du triple karma (sanchita, âgâmin et prârabdha). Le disciple qui a atteint cet état peut parler de son expérience personnelle. Celui qui est libéré est, en effet, libre d'agir à sa guise et, quand il quitte sa forme mortelle, il demeure dans son état de Libération et ne revient plus à cette « naissance qui n'est que mort ».
Shri Shankara décrit ainsi la Réalisation, c'est-à-dire la Libération, sous deux aspects, celui de jivan-mukti et celui de videha-mukti. De plus, dans ce court traité écrit sous forme de dialogue entre un guru et son disciple, il aborde de nombreux sujets s'y rapportant.