Shiva-Yoga-Ratna
Source : Le joyau du yoga shivaïte – Shiva-Yoga-Ratna de Jnanaprakasha (traduction de Tara Michaël – Almora)
146. On doit se considérer soi-même comme n'étant que Shivaïté. On devient alors soi-même la Shivaïté. C'est cela, obtenu grâce au yoga qui consiste à devenir de la même essence que Shiva, que nous appelons ici samâdhi.
147. Là où le bonheur est absolument sans mélange, il devient illimité. Quel homme qui s'y entend ne serait-il amoureux de cette suprême réalité où tout labeur est à terme ?
148. Un homme qui a de la vigueur intellectuelle, s'il se détourne des connaissances engendrées par les objets sensoriels et se consacre exclusivement à la méditation du Non Composé (nishkala-dhyâna), sans même la rechercher obtient la Délivrance impérissable.
149. Celui qui a goûté ne serait-ce qu'une fois la saveur du nectar de la Connaissance, il plante là toutes ses tâches et ne poursuit plus que celle-ci.
150. Si l'on a été ne serait-ce qu'une seule fois en union avec cet état suprême, que cela ait duré le temps de la traite d'une vache, le temps de la chute d'une flèche, ou seulement un clin d'œil, on est libéré et reconnu comme semblable à Shiva.
151. Écartant toutes les impressions latentes qui veulent s'actualiser, il faut renoncer à toute activité mentale, et ayant établi l'esprit dans le Soi, ne plus penser à quoi que ce soit.
152. On doit placer Shiva au centre de soi-même, et se placer soi-même au centre de Shiva. Lorsque le Je est devenu Shiva lui-même, on ne doit plus penser à rien.
153. « A celui qui est ainsi établi, sans imagination d'aucune forme, sans pensée de quelque sorte que ce soit, sa véritable forme est dévoilée ».
154. « Étant par nature vision et action à l'égard de toutes choses, pleine de Béatitude, indestructible », cette Connaissance qui illumine tous les objets, c'est elle l'éternelle union à Shiva (Shiva-yoga).
155. C'est Shiva, qui, pour la Libération des assoiffés de Libération, rend manifeste cette Connaissance. La Libération, qui s'élève des textes traitant de Libération, est à tous égards la manifestation de cette Connaissance.
156-157. Grâce au pouvoir de vision de la Conscience dont la capacité est restaurée par le rayonnement de puissance de ce soleil qu'est Shiva, le Soi dégagé du voile de l'ignorance contemple Shiva, ainsi que Shakti et tous les tattva, au moyen de l'œil incréé, éternel, sans défectuosité, sans changements, tout-pénétrant, très subtil, le suprême œil du yoga.
158-161a. Par la méthode de la double perception de Chit-shakti saisissant les deux Shiva (les deux Shiva sont Shiva et l'âtman), il contemple en lui-même le Seigneur qui est parfaitement pur, permanent, éternel, immesurable, incomparable, au-delà de toute idéation, impensable, auquel aucune inférence ni aucun parallèle ne sont applicables, éternellement satisfait, sans attributs, paisible, transcendant toutes les catégories, sans souillure, inconcevable, indubitable, et il se voit lui-même, omniprésent, résidant en tous les corps, omnipénétrant, apparaissant partout, inaltérable et sans support, en tant que Shiva.
161b-162a. Il contemple établi en lui-même l'univers entier, formel et informel, suprême et inférieur, constitué de mantra et de tantra, se divisant en différentes voies et méthodes.
162b-163a. Omniscient, voyant tout, totalement comblé, absolument dégagé de toute impureté, délivré, ayant atteint l'isolement libérateur (kaivalya), qu'ainsi il obtienne le bonheur impérissable !
163b-164. Ayant transcendé le domaine des tattva, étant devenu indivis, le bonheur qu'il découvre en lui-même, exempt de toute idéation, inimaginable, impossible à inférer par raisonnement ou analogie, est appelé le bonheur suprême, car il est illimité et sans parallèle.
165. Ayant rejeté l'attachement aux objets sensoriels, on doit cesser toute activité mentale. Lorsqu'on entre dans l'état non-mental, c'est là le bonheur suprême.
166. On a alors par soi-même l'expérience de la véritable jouissance, celle qui transcende la pensée et la parole ; c'est la jouissance de Shiva, c'est le bonheur suprême.
167. Pour le yogin qui a fait ce doit être fait et qui est rassasié par le nectar de la Connaissance, il ne reste plus rien à accomplir. Sinon, c'est qu'il ne connaît pas la Réalité.
168. Ayant franchi l'état de pashu (être individuel asservi), il demeure en l'état de Pati (le Suprême), c'est ce qu'on nomme le chemin parcouru par lui, mais pour celui qui est tout-pénétrant, comment pourrait-il y avoir de parcours ?
169. Dire qu'un homme progresse et atteint le Non-mental, l'état de Shiva, n'est qu'une expression métaphorique. Ce qui est appelé mouvement en ce cas n'est que l’Éveil total (sambodha), car comment peut-il y avoir de mouvement pour l'omniprésent ?
170. Ce qui fait connaître soi et l'autre, ce qui se manifeste comme soi et comme autre que soi, la Conscience qui est partout, pervasive, subtile, souveraine, définie comme Être-Conscience-Béatitude, c'est elle l'éternel Shiva.
171. Celui qui n'est plus borné à une connaissance limitée et partielle, mais qui, uni à Shiva, est omniscient, qui déborde de la révélation de l'état de Shiva, il ne peut plus être pris dans le cycle du devenir à nouveau.
172. Quand tous ses liens sont tombés et qu'il est complètement libéré de l'ânava-mala (l'impureté de finitude), la Shakti qui illumine toutes choses s'épanouit pour lui en tant que Shakti de Shiva.
173. Alors ceux qui sont ainsi totalement libérés sont omniscients, ils n'atteignent pas seulement la connaissance de la Pure Conscience, mais aussi de toute la multitude des êtres depuis Brahmâ jusqu'aux objets inertes.
174. Sans dépendre de quoi que ce soit pour effectuer cet acte de grâce, Shiva en un instant confère à l'âme (anu) un pouvoir égal au sien. Et il le fait par un simple regard qui provoque la submersion par l'état de Shiva. Ceci est corroboré par l'autorité de la Shruti.
175. II y a deux Libérations : celle qui a un commencement, et celle qui est sans commencement. A l'instant où l'impureté de l'homme est ôtée, en lui se manifeste la puissance de vision et d'activité omniprésente, qui à elle seule suffit à l'investir de puissance.
176. Il parvient à la Shivaïté, statut libre de crainte et sans aucune perturbation. Dans le Matanga aussi bien que dans le Parâkhya, l'inséparabilité du Libéré et de Shiva est affirmée.
177. La conscience ainsi rendue puissante est capable à son tour d'impartir la puissance à un être conscient. C'est en vertu de son union à Shiva que le guru humain favorise par sa grâce la révélation de la conscience chez le disciple.
178. L'homme qui a atteint la perfection possède l'activité comme Shiva, mais dans l'état de Libération, il n'y a pas de partialité. Tout ce qui devait être accompli ayant été entièrement accompli, il ne s'élève plus de modification dans la Conscience.
179. Possédant l'omniscience, la satisfaction totale, l'éveil incréé, l'indépendance absolue, la puissance toujours inexhaustible, la puissance infinie, le Soi, libéré de toute vicissitude et ayant à sa disposition un corps parfaitement pur (un corps fait de Shuddha-mâyâ, à l'instar de Shiva), atteint la Shivaïté.
180. La Libération n'est pas la séparation du Soi d'avec Prakriti, ce n'est pas simplement l'union du pashu à Shiva, ce n'est pas non plus la cessation de l'engloutissement par l'ignorance, ni la résorption des guna, ni un état inconscient comme celui d'un rocher, cette Béatitude de l'Illumination quand les trois impuretés ont été dissipées, qui n'est autre que la révélation de la nature essentielle du Soi, c'est ce qui est exprimé par le terme « Identification » (sâyujya), et c'est cela la Libération, pour les Tantra shivaïtes : le fait d'être Seigneur et identique à Shiva.
181. Qu'on ne dise pas qu'il ne s'agit pas là vraiment d'Identification (sâyujya), mais seulement d'une égalité de rang ou de puissance (sârishti) avec Shiva. Une telle opinion est réfutée d'avance ; car dans le Kâmikâgama, il est établi que l'Identification, c'est cela même que j'ai dit. 182-183a. Même Brahmâ est incapable de faire qu'il en soit autrement que ce que j'ai écrit. Ce qui est nommé « Identification », c'est ce qui est caractérisé par une identité à Shiva clairement manifestée lorsque la triple impureté est enlevée, c'est ce qui appartient à la nature même du Soi, ce qui est constitué par la Béatitude de la Conscience.
183b-184. Ce par quoi on est immergé sans être troublé dans le grand océan de la Félicité innée, c'est cela la Libération, c'est cela le nirvâna, c'est cela la position suprême. Ce que j'écris là, c'est ce qui se dégage du Cintyavishva et qui est divulgué dans les Purâna shivaïtes.
185. La réalisation qu'une seule et même Réalité est partout, que ce soit en ce qui est composé de parties ou en ce qui est vide de parties, c'est cela qui est appelé 1'« Identité» (sâyujya), la « Conformité » (sârûpya) n'est qu'une similarité de forme. 186. Certains disent que la Libération, c'est pour nous le transfert par lequel Shiva passe en nous-mêmes. Et, lorsque le passage de Celui qui est sans formes est opéré, il n'y a plus ni mondes, ni personne pour les percevoir.
187. Cette souveraineté de Shiva, consistant en omniscience et autres pouvoirs surnaturels, qui resplendit dans le Soi, c'est cela l'Identification, proclament ceux qui sont versés dans les Veda et les Âgama.
188. « On doit apercevoir en soi-même l'orbe entier de l'univers dont le commencement, le milieu et la fin sont établis en soi, car le Seigneur omniprésent ne peut être uni à quoi que ce soit (être uni c'est être deux, mais l'absolu est unique, il n'y a que lui).
Note : les quatre états de la conscience : veille, rêve, sommeil profond, et le quatrième, turya, pure conscience non conditionnée, source de tout.
L'ayant connu, grâce aux enseignements du guru, comme pure conscience, omniprésent, possédant l'omniscience et toutes les autres perfections, et pénétrant infiniment tout l'univers, on doit continuellement méditer sur Shiva, telle est la sentence. On atteint à la vision de la forme de Shiva, exprimant la manifestation de la Shivaïté, par la suprême contemplation et la suppression des impressions latentes qui sont la cause du châtiment et de la faveur, conformément au texte révélé : « De même que quelqu'un qui a une torche dans la main, ayant vu l'objet qu'il cherche à voir, rejette alors sa torche, similairement, par la connaissance, ayant vu ce qui est à connaître, on doit par la suite se délester de la connaissance, et immerger la lettre VA, dont le sens suggéré est le mot TVAM, dans le Soi de pure conscience qui est Shiva ».
Dans le turya du Suprême correspondant au mot TAT et dont le sommet s'étend jusqu'au turya de l'Absolument pur, ayant, tel un parfait Shiva-yogin, accompli le yoga qui est unification du Soi et de Shiva, unification exprimée par la syllabe SHI, dont le sens suggéré est le mot Shiva, on réalise directement le suprême Shiva qui transcende les divinités qui sont à l'intérieur du Bindu, et qui est au-delà même du Témoin du Bindu. On obtient alors la jouissance suprême nommée « identification conférant des perfections divines semblables à celles qui sont décrites dans tous les Âgama », ou bien, tel un Shiva-yogin qui a deux fins à réaliser, étant entré en samâdhi, ayant médité, ayant connu, on s'applique constamment à l'exploration suprême dans le turya de l'Absolument pur. Dans le turya du Guru, défini comme Shiva-turya, et dont la racine réside dans l'acte de transcender le turya de l'Absolument pur. La Réalité en laquelle se résolvent ces neuf tattva, c'est le Suprême Brahman, c'est le tândava de la Félicité suprême.
Le lieu de la dissolution des neuf tattva, c'est le Guru débordant de la Félicité de la danse. La forme du Guru, absolument exempte de tout conditionnement, transcende même le Suprême. Elle déverse à profusion la béatitude de la vraie connaissance. Elle est investie des caractéristiques de la Conscience de Soi, et unie à la Suprême Shakti, dont la nature est la Conscience de ce qui est autre que SOI. En celui qui retranche l'impureté sous forme de puissance d'empêchement, par laquelle on n'a conscience que de ce qui est autre que soi, en ce Suprême Shiva qui prend la forme du Guru, et qui est la félicité même de la Connaissance, Je prends refuge. Ainsi est-il écrit. Ayant réalisé directement, tel un parfait Shiva-yogin, le Suprême Guru, le Guru dansant, on obtient la manifestation des six qualités de Shiva en soi-même exactement comme ces six qualités se manifestent en Shiva, et cette manifestation est le sens suggéré par le mot ASTF, elle est recélée à l'intérieur du sens suggéré du mot ASP, lequel exprime ce que dit cette dernière citation. Ou bien, s'étant efforcé de tout son pouvoir à cette réalisation du suprême Guru, tel un Shiva-yogin qui a deux fins à réaliser, alors quand cette réalisation suprême se produit c'est la danse inexprimable, transcendant le turya de l'Absolument pur, qui est appelée dans les textes révélés la révélation de Shiva, bienheureuse, pure, au-delà de la pensée et de la parole.
Tel un parfait Shiva-yogin en qui Shiva en soi-même est devenu Shiva en Shiva, et qui en tant que tel, est la lumière manifestant soi et autrui, chez qui sont portées à leur plus haut degré les divines qualités comme omniscience etc. qui est le sens suggéré par le mot ASI, correspondant à la syllabe YA, et qui transcende le turya de l'Absolument pur, quand la suprême splendeur est manifestée, conformément à la parole : « Celui qui se trouve en cet état atteint la Shivaïté », on atteint la réalisation directe de la Shivaïté. Ou bien, on procède tel un Shiva-yogin qui a deux fins à réaliser : « Il y a trois catégories, trois états de conscience : Âtman, Para, et Shiva. Ils sont nés de TV AM, TAT et ASI, et sont différenciés par le surgissement des trois Vides. » Shivo' ham asmi est l'enseignement du Siddhânta, tandis que So'ham asmi est l'enseignement du Vedânta. Donc, conformément à la parole révélée : « Je suis Lui » (So'ham asmi) par la méditation sur Shiva conforme à la vraie signification, sous la forme : « Je suis Shiva » (Shivo' ham) ou sous la forme : « Cet âtman est Shiva» (Shivo'yam), formules auxquelles on ajoute le mot asmi ou le mot asti, par cette méditation le « Je suis Shiva » se réalise effectivement dans le for intérieur.