LA LAMPE DU THÉÂTRE

Source : La Pancadasi de Sri Vidyaranya Svami (traduction de Annie Cahn-Fung)


1 - Au début était le Soi suprême, non-duel, pure Félicité et Infinitude ; s'étant déployé en tant que monde par la puissance de sa propre magie, Il y entra (également) sous la forme du Soi individuel.

2 - Entré dans les corps supérieurs de déités comme Visnu, Il devint ces déités ; demeurant aussi dans les corps inférieurs des mortels, Il adore ces mêmes déités.

3 - Lorsqu'on a pratiqué cette adoration dans de nombreuses vies antérieures, on désire faire une enquête sur sa propre nature ; lorsque grâce à cette investigation on a fait disparaître la maya, seul le Soi demeure.

4 - Le fait d'attribuer dualité et souffrance au Soi, dont la nature est en réalité pure Unicité et pure Félicité, est appelé servitude ; le fait de demeurer dans sa propre nature est appelé délivrance.

5 - La servitude est causée par le manque de discrimination, et la pratique du discernement y met un terme ; c'est pourquoi il faut toujours discerner entre le soi individuel et le Soi suprême.

6 - Celui qui se pense comme je, celui-là est l'agent ; l'organe mental est son instrument, et les actions de celui-ci sont les pensées tour à tour tournées vers l'intérieur ou vers l'extérieur.

7 - Les démarches du mental dirigées vers l'intérieur prennent la forme du je et manifestent l'agent ; celles qu'il dirige vers l'extérieur prennent la forme du ceci qui manifeste les choses extérieures.

8 - Ces variétés du ceci que sont odeur, couleur, goût, etc .. sont perçues dans leurs distinctions mutuelles par les cinq organes des sens tel l'odorat, etc.

9 - Cette entité consciente qui révèle d'un seul mouvement l'agent et l'action ainsi que les objets extérieurs, c'est cela, le Témoin.

10 - Je vois, j'entends, je hume, je goûte, je touche ; telle la lampe suspendue dans la salle de spectacle, le Témoin éclaire de sa lumière permanente toutes ces sensations.

11 - La lampe du théâtre éclaire sans distinction le maître de maison, les spectateurs et la danseuse ; elle continue à briller même en leur absence.

12 - Le Témoin éclaire l'ego, l'intellect et aussi les objets : même en l'absence de l'ego, etc. Il continue à briller comme auparavant.

13 - Le Témoin étant continuellement évident en tant que Conscience, l'intellect reçoit de lui sa Lumière et ondule en de multiples danses.

14 - Le maître de maison est l'ego, l'auditoire représente les objets sensibles, et la danseuse est l'intellect (buddhi) ; les joueurs de cymbales et autres musiciens sont les organes des sens, et la lampe qui les éclaire est le Témoin.

15 - De même que la lampe éclaire tous les objets sans changer de place, de même le Témoin qui se maintient immuable illumine ce qui est à l'extérieur comme ce qui est à l'intérieur.

16 - Cette différenciation entre extérieur et intérieur se rapporte au corps et non pas au Témoin ; les objets des sens sont à l'extérieur du corps, mais l'ego est à l'intérieur.

17 - L'esprit qui est à l'intérieur se projette sans cesse à l'extérieur, accompagnant les organes des sens dans leur acte perceptif : c'est en vain qu'est surimposée au Témoin l'agitation de l'intellect éclairé par lui.

18 - Un petit rayon de lumière qui entre dans une pièce à travers un œil-de-bœuf est immobile ; mais si on agite la main (là où il se trouve) c'est comme si lui-même se mettait à danser.

19 - De même, le Témoin, se maintenant immobile, ne se projette en réalité pas au-dehors, pas plus qu'Il ne rentre au-dedans ; Il semble seulement se comporter ainsi, à cause de l'agitation de l'organe mental.

20 - Le Témoin n'est ni extérieur, ni intérieur, car ces deux termes se rapportent à l'intellect ; quand l'intellect et le reste de l'organe interne sont complètement apaisés, Il se trouve là-même où Il apparaît.

21 - Objection - Mais alors quand l'intellect est apaisé le principe conscient n'occupera plus aucun lieu !
Réponse - Eh bien, soit ! Il est omniprésent non en lui-même mais en référence à la fiction mentale d'une sommation des espaces particuliers.

22 - Quel que soit l'espace, interne ou externe, que l'intellect imagine, le Témoin s'y trouve, et ainsi sera-t-il en relation avec tous les objets.

23 - Quelle que soit la forme imaginée par l'intellect, elle est illuminée par le Témoin ; Celui-ci demeure en Lui-même inaccessible à l'intellect et à la parole.

24 - Si vous objectez : « Comment puis-je percevoir un tel Témoin ? », nous répondons : « Qui parle ici de saisie ou de perception ? » Quand cesse toute saisie (sujet percevant + objet perçu), seul demeure le Soi Lui-même.

25 - Le Soi est sa propre source de Lumière ; il n'y a donc pas lieu de prouver son existence ; si vous exigez une preuve, alors apprenez les Textes révélés de la bouche d'un maître spirituel.

26 - S'il vous est impossible d'abandonner toute saisie dualiste, alors réfugiez-vous dans l'intellect, et faites l'expérience du Soi comme éclairant toutes choses intérieures ou extérieures qui dépendent de celui-là (l'intellect).