Laghu Yoga-Vâsistha
Source : Le Laghu Yoga-Vâsistha d'Abhinanda traduit par Patrick Mandala
2. Les sept sortes d'ignorance
L'illusion ou l'ignorance est septuple, bien que les échanges et les combinaisons soient infinis. Ô Râma, je vais te les décrire :
1 - La première, bîja-jâgrat (veille à l'état potentiel), est la conscience - laquelle est sans nom et pure - mais dans laquelle le jîva (être humain), etc., existe potentiellement avec son nom et sa forme particulière. Car tous sont présents potentiellement dans leur état-semence (ou principe premier), lequel est connu comme la « graine de l'éveil ».
2 - La seconde, jâgrat (état de veille), est la conscience dans laquelle les notions pures, naturelles et non perverties de « je » et de « mien » naissent pour la première fois. Cela est connu comme l'état de « veille » (jâgrat).
3 - Quand cet état s'étend et inclut « l'autre », et quand les notions telles que « Je suis ceci et cela » et « Cela est mien » surviennent, même faiblement, cela est connu comme le « grand état de veille » ou maha-jâgrat.
4 - Quand le mental est totalement accaparé par les objets de perception, qu'ils soient grossiers ou subtils, et quand celui-ci est toujours occupé à créer des images qu'il prend pour réelles, cela est connu comme jâgrat-svapna, l'état de veille avec rêves (la quatrième sorte d'ignorance). Cet état se définit aussi par l'expérience de la division et de la diversité, laquelle semble être réelle en raison d'une faiblesse constante.
5 - C'est l'état de rêve, svapna, dans lequel on a l'expérience - pour un temps très bref - de diverses choses et dont, par la suite, on se souvient dans l'état de veille comme ayant été vues dans l'état de rêve.
6 - Cela est connu comme l'état de « rêve éveillé », svapna-jâgrat dans lequel les souvenirs du passé sont revécus et expérimentés comme « maintenant ».
7 - Quand ces six sortes d'ignorance sont abandonnées, et quand les germes d'une absolue inertie sont toujours présents, cet état est connu comme « sommeil sans rêves », (sushupti). Dans cet état, le monde disparaît dans les ténèbres profondes.
3. Les sept étapes de la sagesse
Ô Râma, voici maintenant les sept étapes de la sagesse ou jnâna. Celui qui les a suivies n'est plus pris dans la fange de l'illusion. Nombre de ces étapes du yoga ont été décrites, mais j'ai la certitude que ces sept étapes sont les dispensatrices de la félicité. La conscience lucide ou l'illumination est connue comme jnâna, connaissance, laquelle est septuple :
1 - Shubhecchâ est le noble souhait ou désir qui naît dans le cœur de celui qui réfléchit ainsi : « Pourquoi vis-je comme un fou ? Laissez-moi lire les Écritures et écouter les sages ». Ce noble désir est accompagné de l'absence d'aspiration pour les plaisirs sensoriels éphémères.
2 - Quand on est doté de cette détermination et du désir de connaître la nature de la réalité, cela est appelé vichâra, investigation.
3 - S'ensuit alors un désintéressement pour les plaisirs sensoriels, et de ce fait le mental est dit tanumânasa, « affaibli ».
4 - En conséquence, le cœur se purifie dans satvâpatti (la quatrième étape de la sagesse).
5 - Sur cela, vient le non-attachement ou liberté d'asamsaktti, lequel découle des précédentes étapes. Cet état est celui d'une joie et d'une paix profonde, non altéré par les choses matérielles et les projections mentales.
6 - Les états précédents sont vus comme illusoires. Cette non-perception du monde phénoménal est appelé padârthâbhavanî, le sixième état dans lequel l'homme sage est conscient des objets, mais seulement s'il est appelé par autrui à les voir.
7 - Par cette pratique constante, quand cesse la vision de la division et quand on est totalement établi dans sa propre vraie nature non-conditionnée, cet état est dit turya. Ce septième et dernier état est l'état transcendantal dans lequel vivent les libérés même incarnés dans un corps. Ceux qui ont atteint le septième état de conscience sont les libérés, jnânîs ; ils ne sont plus entraînés dans l'océan du samsâra avec tous ses plaisirs et ses souffrances.
8 - Il y a un autre état qui est au-delà même de turya : turyatita, celui dans lequel sont établis ceux qui ont transcendé la conscience du corps.
Ceux qui ont atteint le septième état de conscience peuvent accomplir ce qui se présente naturellement à eux, comme ne rien accomplir du tout. Ils peuvent agir apparemment comme autrui, ou agir comme plongés dans un profond sommeil.
Ces sept étapes de la sagesse ne peuvent être reconnues que par les Sages. Ceux qui les ont atteints sont libérés (jîvanmukti), qu'ils soient incarnés comme des animaux ou des intouchables, avec ou sans corps. La connaissance de soi est le glaive qui tranche les nœuds de la servitude. Si cette dernière est vue clairement, alors vient la libération.
Si l'on réalise que cet univers est aussi réel que l'eau d'un mirage, naît alors une paix profonde.
Ceux qui se sont élevés au-dessus de l'illusion reposent dans cet état suprême. Ils sont dignes d'être vénérés. Comparés à eux, un empereur n'est rien de plus qu'un brin d'herbe.
4. - absolue Réalité
Ô Râma, les moyens adoptés pour amener la plus grande tranquillité du mental sont ceux du yoga. Ils consistent en ces sept états ou étapes de la sagesse. Le but de ces états est connu comme Brahman dans lequel il n'y a ni « je » ni « tien » ou « autre », ni vision ni division, ni notions d'être ou de non-être. Ce Brahman est éternel, paix absolue et bonheur parfait. On ne peut dire qu'il est réel ni qu'il est irréel, ni qu'il est tout ou rien - il est au-delà de toute description.
Celui qui est conscient du Brahman le voit comme tout pénétrant ; quand cette attention est transcendée, vient la paix suprême.
Ô Râma, entre le voyant et le vu il n'y a que la réalité de la vision. Cette vérité transcende la triple division sujet-objet et expérience. Entre « ceci » et « cela » est la vérité qui est l'infinie et indivisible Conscience.
Tu es cette Conscience indivisée et éternelle durant l'état de veille, de rêve et de profond sommeil. Demeure ainsi à jamais.
Cette Conscience est comme le cœur de la roche, mais sans inertie aucune. Elle est vide du mental conditionné. Demeure ainsi à jamais. Tu es ce qui demeure quand le mental a disparu. Tranche les liens de la servitude, ô Râma. L'être non conditionné resplendira en tant que vérité.