Kaivalya Upanishad (La solitude comblée)
Traduction de Paul Deussen
Alors Âshvalâyana s'approcha du Seigneur et lui dit : « Enseigne-moi, ô Seigneur, la science suprême du Brahman, celle des hommes de bien, qui est cachée, grâce à laquelle les sages, vite délivrés de tous les maux, intègrent le Purusha, le Suprême d'entre les suprêmes. »
Le Père de toutes choses lui répondit : « Connais ceci au moyen de la foi, la dévotion et la méditation :
Ce n'est ni par l'action, ni par la descendance, ni par la richesse que l'on accède à l'immortalité, mais uniquement par le renoncement. Au-delà du ciel, dans la caverne du cœur, brille Cela où entrent les ascètes. Ceux qui ont saisi le sens du Vedânta, dont l'être a été purifié par la pratique du renoncement, à la fin des temps, dans le monde de Brahmâ, détachés de tout, ils vont au-delà de l'immortalité.
Assis dans une posture plaisante, en un lieu isolé, purifié, la nuque, la tête et le corps droits, établi dans l'état de renoncement, réfrénant ses sens, s'inclinant avec dévotion devant le maître, l'ascète médite sur le cœur de lotus, pur et sans tache, et sur Celui qui est à l'intérieur, le Pur, le Sans douleur, l'Inconcevable, le Non-manifesté, l'Infinité des formes, Shiva, le Tranquille, l'Immortel, la Source de Brahmâ, qui est sans commencement, milieu ni fin, l'Unique, l'Omniprésent, fait de conscience et de félicité, le Sans forme, le Merveilleux, le compagnon d'Umâ, le Dieu suprême qui a trois yeux et la gorge bleue, le Parfaitement Tranquille.
En méditant sur Lui, le Témoin universel, la Source primordiale de toute existence, le sage va au-delà des ténèbres. Lui seul est Brahmâ, Shiva, Indra, l'Indestructible, Le Suprême, l'Éclatant; Lui seul est Vishnu, Lui, le Souffle, Lui, le Feu dévorant, Il est la Lune. Il est Tout, ce qui a été, ce qui sera, l'Éternel. Celui qui Le connaît transcende la mort ; il n'y a pas d'autre voie de délivrance.
Ayant vu le Soi dans tous les êtres et tous les êtres dans le Soi, l'on accède au Brahman suprême. Il n'y a pas d'autre moyen pour réaliser cela.
Ayant fait de soi l'arani inférieur et de la syllabe Om l'arani supérieur, le sage opère la friction de la connaissance et brûle les liens de l'ignorance. C'est le Soi qui, voilé par la mâyâ s'identifie à un corps et à tous ses actes.
À l'état de veille, il trouve sa satisfaction avec les femmes, la nourriture, la boisson et les divers objets de jouissance. À l'état de rêve aussi, le jîva éprouve plaisir et douleur, dans un monde façonné par sa propre mâyâ. Et lorsque, dans le sommeil profond, tout disparaît, c'est enveloppé dans les ténèbres qu'il gagne la félicité.
Conséquence des actes des vies antérieures, le jîva passe de veille à sommeil, et joue, dans les trois états, jusqu'à ce qu'il lui soit donné de s'éveiller au Substrat, Félicité indivisible, là même où se dissolvent les trois états. De lui naissent le souffle, le mental et tous les sens, le ciel, le vent, la lumière, l'eau et la terre, qui porte toutes choses.
Ce Brahman suprême, Soi de toutes choses, le Grand Séjour où repose l'univers, plus subtil que le subtil, éternel, tu es toi-même Cela, Cela est toi-même ! »
« Ce qui apparaît et se développe dans les états de veille, rêve et sommeil profond, tel est le Brahman que je suis » : sachant cela on est libéré de tous les liens. Ce qui apparaît dans les trois états : l'objet de l'expérience, l'expérimentateur et l'expérience elle-même, je suis autre que tout cela.
Je suis le Témoin, pure Conscience, Shiva à jamais. Tout naît de Moi, tout existe en Moi, en Moi tout se dissout. Ce Brahman, Un sans second, Je suis.
Plus subtil que l'infime, je suis aussi le plus grand, je suis cet univers diversifié, je suis l'Ancêtre, je suis l'Esprit, je suis le Seigneur, je suis le Doré, j'ai pour forme Shiva. Dépourvu de mains et de pieds, ma puissance est inconcevable, je vois sans yeux, j'entends sans oreilles.
Je suis celui qui connaît, dépourvu de forme, et nul autre ne Me connaît, Moi qui suis à jamais pure Conscience.
Je suis Ce qui est à connaître dans tous les Veda, Moi, unique auteur du Vedânta, Celui qui connaît les Veda, au-delà du bien et du mal, indestructible, non né, sans corps ni organes des sens ni intellect.
Il n'y a pour Moi ni terre, ni eau, ni feu, il n'y a ni vent ni espace. Celui qui connaît ainsi la nature du Soi suprême logé dans la cavité du cœur, indivisible, sans second, le Témoin de toutes choses, au-delà de l'être et du non-être, Celui-là accède à la pure nature du Soi suprême. »