LA FÉLICITÉ DU BRAHMAN COMME FÉLICITÉ DE LA NON-DUALITÉ
Source : La Pancadasi de Sri Vidyaranya Svami (traduction de Annie Cahn-Fung)
86 - Tout comme le pouvoir du songe, dans l'esprit, fabrique des rêves impossibles dans la réalité, de même ce pouvoir de maya inhérent au Brahman projette, maintient et anéantit de façon cyclique le monde.
87 - Un homme peut avoir en rêve la vision de lui-même, volant dans le ciel, ou bien subissant la décapitation ; il peut avoir l'impression de vivre de nombreuses années en un seul instant, ou bien encore il peut s'imaginer voir le corps sans vie de son propre fils, etc ...
88 - Dans ces conditions il est très difficile de discerner ce qui est conforme à la raison de ce qui ne l'est pas ; tout ce qui est perçu, de quelque manière que ce soit, semble alors conforme à la raison.
89 - Lorsqu'on constate le pouvoir hallucinatoire du rêve, comment s'étonner de ce que le formidable pouvoir de maya demeure inconcevable pour l'esprit humain ?
90 - Chez un homme endormi, l'assoupissement projette des rêves divers ; de même, dans le Brahman en lui-même immuable, le pouvoir de maya façonne des formes purement apparentes.
91 - Il s'agit des cinq éléments, des mondes, des êtres vivants, des pierres, etc. ; quant au principe de conscience, il se reflète dans les esprits des êtres vivants.
92 - Toutes ces entités, conscientes et inertes, ont pour fondement commun le Brahman, Être-Conscience-Félicité : elles ne diffèrent que par les noms et les formes.
93 - Lorsqu'on se détourne à la fois des noms et des formes, on reçoit la Connaissance de l'Être-Conscience- Félicité.
94 - Bien qu'il voie son propre corps reflété dans l'eau la tête en bas, celui qui se tient sur la rive, sans en tenir compte, s'identifie à son corps réel, et non au reflet de celui-ci ; il en va de même pour la Réalité du Brahman, à discriminer de son reflet trompeur dans les noms-et-formes.
95 - Tout comme on ne tient pas compte dans la vie réelle des myriades de formes qui peuplent le déploiement de l'imagination, de même doit-on laisser de côté les noms-et-formes.
96 - A chaque instant, l'imagination projette des formes nouvelles et différentes, qui s'évanouissent pour ne jamais revenir ; il en va de même pour le monde extérieur des réalités pratiques.
97 - L'enfance est perdue à tout jamais quand survient la jeunesse, cette dernière a son tour est engloutie pour toujours avec la venue de l'âge mûr ; le père, une fois mort, ne revient plus ; le jour enfui plus jamais ne se représente.
98 - Quelle différence y a-t-il entre les objets du monde périssant à chaque instant et ceux de l'imagination ? Bien qu'ils apparaissent aux sens, l'idée de leur réalité doit être abandonnée.
99 - Une fois les objets du monde relativisés, l'esprit libéré de toute contrainte peut s'immerger dans la contemplation du Brahman ; l'homme alors, s'acquitte de ses tâches dans le monde avec un attachement feint, à la manière d'un acteur.
100 - Tout comme, dans une rivière, un solide rocher demeure inébranlable, même fouetté par le flot impétueux, ainsi, en dépit de la perpétuelle fluctuation des noms-et-formes, le Brahman demeure-t-il inaffecté par elles, à jamais immuable.
101 - Dans un miroir parfaitement lisse se reflète le ciel immense avec tout ce qu'il contient ; de même, tout cet univers si varié se reflète dans le Brahman, Être-Conscience d'une unicité absolue.
102 - Si l'on ne regarde pas dans le miroir, on ne peut pas voir ce qu'il contient ; de même, comment peut-on connaître les noms-et-formes (c'est-à-dire savoir qu'ils ne sont pas ultimement réels), si l'on n'a pas la connaissance de l'Être-Conscience-Félicité ?
103 - Lorsqu'on a obtenu cette Connaissance du Brahman, on doit alors fixer son esprit sur Cela et ne plus du tout le tourner vers les noms-et-formes.
104 - Ainsi le Brahman, saisi dans sa réalité acosmique, a pour triple marque indicative : Être, Conscience et Félicité ou Plénitude ; puissent tous les êtres trouver le repos dans cette Plénitude non-duelle.
105 - A l'intérieur de la Section, intitulée Félicité du Brahman, ce troisième chapitre a été consacré à la félicité de la Non-Dualité ; cette joie est obtenue en méditant sur le caractère trompeur et évanescent du monde.