LA FÉLICITÉ DU BRAHMAN COMME FÉLICITÉ DE LA CONNAISSANCE

Source : La Pancadasi de Sri Vidyaranya Svami (traduction de Annie Cahn-Fung)


1 - Nous examinons dans ce chapitre la joie intellectuelle de celui qui a perçu la félicité du Brahman, en pratiquant le yoga, en discriminant le Soi de tout ce qui n'est pas lui, et en réfléchissant à l'irréalité ultime de toute dualité.

2 - Ce bonheur intellectuel, tout comme celui qui provient des objets du monde, revêt la forme d'une fluctuation du psychisme ; on dit traditionnellement qu'il a quatre aspects.

3 - Ce sont : l'absence de souffrance, l'obtention de tout ce que l'on désire, et les sentiments suivants : « j'ai fait tout ce que j'avais à faire » et : « j'ai atteint tout ce que j'avais à atteindre ».

4 - Il y a deux sortes de souffrance : celle relative à ce monde, et celle relative à l'autre ; la cessation de la première est décrite dans la Brihadaranyaka-Upanishad dans les termes suivants :

5 - Un homme qui reconnaît l'Atman comme étant son soi-même le plus intime, « mû par quel désir et pour l'amour de quoi ou de qui s'affligerait-il dans le sillage des afflictions de son corps ? »

6 - On dit traditionnellement que le Soi a deux aspects : le Soi individuel et le Soi suprême ou universel ; la Conscience Unique par le jeu de l'identification aux trois corps, physique, subtil et causal, se retrouve dans la situation de sujet individuel, et récolte les fruits de ses actes.

7 - Le Soi universel, qui est Être, Conscience et Félicité, s'étant identifié aux noms et aux formes, devient également les objets sensibles (dont jouit le sujet individuel) ; lorsque le discernement permet de dés-identifier le Soi (à la fois des trois corps et des noms-et-formes), alors il n'y a plus ni sujet désirant, ni objet désirable.

8 - C'est en désirant les objets de jouissance que le sujet « vient à s'afliger dans le sillage des afflictions du corps ». Mais ces souffrances qui atteignent les trois corps ne concernent pas le Soi.

9 - Le corps physique souffre de diverses maladies et perturbations dans l'équilibre de ses constituants, et le corps subtil est tourmenté par désir, colère et autres passions ; mais la semence de tous ces maux physiques et psychiques se trouve dans le corps causal.

10 - Celui qui, suivant la voie indiquée dans le chapitre précédent (intitulé « La Félicité de la Non-Dualité »), a discriminé le Soi suprême de tout ce qui n'est pas Lui, ne discernant aucun véritable objet de jouissance (mondain), celui-là, que lui reste-t-il donc à désirer ?

11 - Quand on a reconnu avec certitude que son propre soi-même est identique au Soi suprême (par la méthode décrite au chapitre « La Félicité du Soi »), alors le sujet de jouissance n'existe tout simplement plus : à quoi pourrait alors se transmettre la souffrance présente dans le corps ?

12 - La souffrance relative à l'autre monde consiste à se préoccuper de ses mérites et démérites ; dans le premier chapitre de cette section, il a déjà été dit que cette inquiétude ne peut tourmenter l'homme libéré.

13 - De même que l'eau n'adhère pas aux feuilles d'un lotus, de même, après la Réalisation, les actes à venir ne portent plus fruit pour l'éveillé.

14 - De même que les flammes consument en un instant le pannicule du roseau, de même, le feu de la Connaissance consume les effets de tous les actes accumulés dans le passé.

15 - Le Seigneur Krishna proclame : « De même que le feu dévorant réduit en cendres le combustible, ô Arjuna, de même, le feu de la Connaissance consume tous les actes passés. »

16 - « Celui qui n'a pas la pensée du moi et dont l'esprit n'est pas souillé par les désirs, celui-là, même s'il a tué, n'est pas un meurtrier, car il n'est plus lié par ses actions ! ».

...