LA DISTINCTION ENTRE L'OBSERVATEUR ET L'OBSERVÉ PAR SANKARA
traduction par José Le Roy (Editeur Almora)
La forme est observable, l'œil est ce qui observe ; celui-ci est observé, la pensée est l'observatrice. Les modifications de la pensée sont observables ; le Témoin est en vérité l'observateur, mais lui n'est pas observé.
2 - Les formes d'espèces variées qui proviennent des distinctions comme bleu et jaune, gros et mince, court et long, etc., l'œil les verra d'une seule façon.
3 - Les caractéristiques de l'œil comme la cécité, la faiblesse oculaire ou l'acuité visuelle, la pensée y réfléchit d'une seule façon ; que cela soit appliqué à l'ouïe, au toucher. .. etc.
4 - Le désir, la détermination et le doute, la confiance et la défiance, la fermeté et son contraire, la modestie, l'intelligence, la peur, etc., la conscience les illumine d'une seule façon.
5 - Celle-ci ne se lève pas, ne se couche pas, ne s'accroît pas, ne disparaît pas. Elle brille d'elle-même, et elle illumine les autres choses sans aucun moyen.
6 - Du fait de la présence du reflet de la conscience dans l'intelligence, il y a une lumière. Mais l'intelligence se révèle de deux manières : l'une prendra la forme d'un moi ; l'autre prendra la forme de l'organe interne.
7 - L'identité entre le reflet et le moi est comme une boule de fer chauffée. En raison de l'identification entre le moi et le corps, le corps est devenu conscient.
8 - L'identification du moi avec le reflet de la conscience, le corps et le témoin est de trois sortes respectivement : naturelle, née de l'action et produite par l'illusion.
9 - Tant que les deux associés (le moi et le reflet de la Conscience) sont considérés comme réels, il n'y a pas annulation de l'identification naturelle ; mais par la disparition de l'action, et par l'éveil, les deux autres identifications disparaissent à leur suite.
10 - Quand le moi disparaît dans le sommeil profond, le corps existe alors qu'il est sans conscience. La moitié de la manifestation du moi, c'est le rêve, mais la totalité de sa manifestation, c'est l'état de veille.
11 - Et l'activité de l'organe interne, devenu identique au reflet de la conscience, fabriquera des images dans le rêve ; dans l'état de veille, il fabriquera des objets à l'extérieur avec les organes des sens.
12 - La cause matérielle de la pensée et du moi est uniquement le corps subtil inconscient. Il accompagne les trois états ; il nait et il meurt.
13 - La maya, en effet, possède un double pouvoir : l'un a la nature d'une projection et l'autre d'une occultation. Le pouvoir de projection émet le monde depuis le corps subtil jusqu'à l'univers entier.
14 - Ce qu'on appelle projection, c'est la manifestation de tous les noms et de toutes les formes dans la réalité, qui est Être, Conscience, Béatitude, et a la nature de Brahman ; cette manifestation est comparable à de l'écume sur l'océan.
15 - L'autre pouvoir occulte d'une part la distinction entre l'observateur et l'observable à l'intérieur et d'autre part la distinction entre Brahman et la manifestation à l'extérieur ; c'est lui la cause de l'existence.
16 - C'est en présence du Témoin que le corps subtil apparaît uni au corps grossier, et c'est en raison de l'influence du reflet de la conscience, que l'être vivant existe dans le monde du quotidien.
17 - Son caractère d'individualité se produit du fait d'une surimposition sur le Témoin même ; mais quand le voile est détruit et que la distinction apparaît, ce caractère disparaît.
18 – De même, c'est en raison de la puissance qui cache la distinction entre la manifestation et le Brahman que le Brahman apparaît avec une nature changeante.
19 - Dans ce cas aussi, la distinction entre le Brahman et la manifestation devient claire avec la disparition de l'occultation. Mais, parmi ces deux-là, c'est dans la manifestation et jamais dans le Brahman qu'aura lieu le changement.
20 - Être, conscience, béatitude, forme et nom : telles sont les cinq parties. Les trois premières constituent la nature de Brahman ; les deux autres constituent la nature du monde.
21 - Dans l'espace, l'air, le feu, l'eau et la terre, chez les dieux, les animaux, les hommes, etc., l'Être, la Conscience, la Béatitude ne sont pas séparés tandis que le nom et la forme sont séparés.
22 - Après avoir observé avec soin le nom et la forme, et en étant complètement dévoué à l'Être, à la Conscience et à la Béatitude, on pratiquera constamment le samâdhi, soit dans le cœur soit à l'extérieur.
23 - Le samâdhi dans le cœur est de deux sortes : avec représentations mentales ou sans représentations mentales. Le samâdhi avec représentations mentales est encore de deux sortes du fait d'une connexion avec l'observable ou avec un mot.
24 - Les désirs, etc., présents dans la pensée sont des phénomènes observables. On méditera sur la conscience qui demeure leur Témoin. Ce samâdhi, associé à ce qui est observable, est pourvu de représentations mentales.
25 - « Je suis Être, Conscience, Béatitude, non-attaché, lumineux par moi-même et sans dualité » : méditer sur ces mots, tel est le samâdhi pourvu de représentations mentales.
26 - En ayant goûté au nectar de sa propre expérience, après avoir prêté attention à l'observable et aux mots, le samâdhi sans représentations mentales se produira comme la flamme d'une lampe à l'abri du vent.
27 - Comme dans le cœur, le samâdhi du premier genre, qui consiste à séparer ce qui n'est qu'Être du nom et de la forme, est possible, même à l'extérieur, et cela pour quelqu'objet que ce soit.
28 - « La Réalité a un nectar unique et complet caractérisé par l'Être, la Conscience et la Béatitude » : une telle pensée ininterrompue est le samâdhi du deuxième genre.
29 - L'état immobile, issu du goût de ce nectar, est le troisième ; il est appelé comme le précédent. On pratiquera constamment ces six samâdhi.
30 - Une fois que la croyance d'être le corps a disparu, une fois connu le Soi ultime, alors quel que soit l'endroit où la pensée se porte, il y a samâdhi.
31 - Le nœud du cœur est coupé ; tous les doutes sont tranchés et les actes sont épuisés, la Réalité étant perçue partout.
32 - L'être individuel peut être compris de trois façons : limité, produit par le reflet de la conscience, et fabriqué dans le rêve. Ici, c'est le premier individu qui est l'ultime.
33 - Ce qui est limité est illusoire ; mais ce qui peut être limité est réel. L'individualité se produit en raison de la surimposition sur le Réel. Mais la nature de Brahman provient de sa propre essence.
34 - L'identité de l'individu limité avec la plénitude du Brahman, les paroles telles que « Tu es Cela » l'ont chantée, mais pas en ce qui concerne les deux autres individus.
35 - Située dans le Brahman, l'illusion (maya) a pour nature la projection et l'occultation. Après avoir occulté son caractère indivisible, elle fabrique en Lui le monde et l'individu.
36 - L'individu, qui est le reflet de la conscience dans la pensée, est l'expérimentateur et l'acteur. Le monde entier, qui a la nature des objets d'expérience, est composé des éléments.
37 - Depuis des temps sans commencement, et ce jusqu'à la libération, ces deux-là (l'individu et le monde) existent dans l'expérience. C'est pourquoi les deux sont empiriques.
38 - Le sommeil, associé avec le reflet de la conscience, dont la nature est à la fois projection et occultation, après avoir occulté d'abord l'individu et le monde, en imagine de nouveaux.
39 - En vérité, tant que dure leur perception, ces deux-là donnent l'impression d'exister. En effet, pour celui qui se réveille du rêve, ils n'existent plus.
40 - C'est l'individu illusoire qui pense que le monde illusoire est réel ; mais l'autre, l'individu empirique, pense qu'il est faux.
41 - C'est l'individu empirique qui croit que le monde empirique est réel, mais l'individu ultime le pense irréel.
42 - L'individu ultime reconnaît son identité avec Brahman comme étant absolue. Il ne voit pas un autre ; il ne voit l'autre, au contraire, qu'avec un soi illusoire.
43 et 44 - De même que les caractéristiques de l'eau comme la douceur, la liquidité, la froideur, présentes dans la vague, se retrouvent dans l'écume qui est en elle, de même les caractéristiques du Témoin, que sont l'Être, la Conscience et la Béatitude, en raison d'une relation, se retrouvent grâce à lui, dans l'individu empirique, ainsi que dans l'individu illusoire.
45 - Quand l'écume disparaît, ses caractéristiques (la liquidité etc.) se fondent dans la vague. Bien que celle-ci ait disparu, elles se retrouvent dans l'eau comme auparavant.
46 - Lors de la disparition de l'individu illusoire, l'Être, la Conscience et la Béatitude existent dans l'individu empirique. Lors de la disparition de celui-ci, ils se résorbent dans le Témoin.