entrée
BLOG COUSIN PASCAL

Celui qui perçoit l'univers comme un amas d'écume en plein océan ambrosiaque de la Conscience,
c'est lui, en vérité, l'unique Siva.

Ksemaraja









TURYATITA
Extraits des : Sivasutra et Vimarsini de Ksemaraja de Lilian Silburn
Diffusion de Boccard – PARIS


SIVASUTRA

8-10 - LA VEILLE CONSISTE EN CONNAISSANCE, LE RÊVE EN PENSÉE DUALISANTE ET LE SOMMEIL PROFOND EN ABSENCE DE DISCRIMINATION OU EN ILLUSION.
Définition du grand yogin qui a réussi à faire pénétrer la saveur du Quatrième état dans les trois autres et possède libre pouvoir sur ses organes :

11 - CELUI QUI JOUIT DES TROIS états EST LE SOUVERAIN DES HÉROS,
ses énergies sensorielles.
C'est là son épanouissement intérieur.
Y a-t-il un indice qui permette de reconnaître le sommet atteint par ce yogin ?

12 - L'ÉMERVEILLEMENT caractérise LES ÉTAPES DU YOGA qu'il traverse. Vismaya, l'émerveillement accompagné de paix et de félicité inébranlables, est essentiel dans la voie de Siva. Désormais c'est l'énergie divine qui joue en lui :

13 - Sa VOLONTÉ EST L'ÉNERGIE UMÂ, C'EST KUMÂRÏ, LA VIERGE.
Énergie suprême, ardente, sans attachement, elle n'est jamais objet mais toujours sujet. Le yogin à l'ardente volonté possède un corps universel :

14 - Son CORPS EST le monde PERCEPTIBLE.
Tout ce qu'il voit est son corps. Ou son corps lui apparaît de façon objective. Comment obtenir cette Conscience universelle ? Voici deux moyens : le premier dans la voie divine, le second dans la voie de l'énergie lorsqu'elle est très proche de la voie de Siva :

15 - EN FAISANT FONDRE PAR FRICTION LA CONSCIENCE EMPIRIQUE DANS LE CŒUR, IL A LA VISION DU MONDE PERCEPTIBLE ET DE SVÂPA, L'ABSENCE DE SENSATION dans la voie divine.


COMMENTAIRES DE LILIAN SILBURN

Turyatita, par-delà le quatrième état

Ce suprême royaume de la Conscience qui s'étend au-delà du quatrième n'est pas atteint par la pratique mystique (bhavana) ; le yoga ne peut donc y conduire et le yogi qui n'y a pas accès ignore son nom. Seul l'atteint par la puissance de la parfaite contemplation du Tout le jnanin qui l'appelle grande totalité (mahapracaya) en raison de son incomparable plénitude, car il contient à la fois les énergies objectives et subjectives.
Comme il est plénitude indifférenciée, les quatre états résident en lui, mais lui ne réside nullement en eux. Dire qu'il est toujours surgissant (satatodita) suggère uniquement Son universelle inhérence (sarvavyapti).
Siva possède également ces quatre modalités de la Conscience : il a pour énergie de Conscience, turyatita ; pour énergie de félicité, le quatrième (turya) ; pour énergie de volonté, le sommeil profond ; pour énergie de connaissance, le rêve et pour énergie d'activité, la veille.


11

À partir du présent sutra le texte traite de turyatita, la Conscience ininterrompue d'un viresa « souverain des héros », à savoir de ses énergies sensorielles sur lesquelles il règne en maître. L'épanouissement interne dont il s'agit ici peut être comparé à l'épanouissement externe décrit dans les aphorismes III, 38-39.

Les yeux ouverts, le viresa voit tout en lui-même. Il est souverainement libre, n'étant plus régi par ses organes. En effet, une fois les trois états imprégnés du quatrième, les tendances à la dualité qui demeuraient latentes en lui s'évanouissent définitivement et, loin d'engendrer la différenciation, ses organes débordant de félicité la résorbent au contraire.

Plus précisément, si le profond sommeil comporte la fusion du sujet et de l'objet ressentie au réveil comme un état de paix, en turyatita cette fusion est vécue en toute conscience, sujet et objet étant simultanément présents, car le viresa a dévoré et parfaitement assimilé l'univers entier.

Il traverse donc de multiples états sans être jamais effleuré de la moindre impureté. On le qualifie de manthanabhairava du fait qu'il baratte toute chose à l'intérieur de l'unique Conscience et jouit de la richesse qu'est la Réalité bhairavienne, breuvage d'extase qui s'écoule du fusionnement du sujet et de l'objet ainsi barattés.

D'où le chant du Tantra autonome (le Svacchanda) sur le thème de son infinie liberté ; libre par essence, libre aussi quant aux moyens, l'union indépendante, et quant à la fin atteinte : le libre Bhairava. Il se promène à son gré dans le Soi, car il ne trouve partout que le Soi ou Bhairava. Il s'absorbe si profondément dans le libre Bhairava qu'il s'identifie à Lui.

Alors la connaissance de la Réalité sera la même dans toutes les modalités de conscience, jamais moindre ni plus grande.

Notons bien qu'il ne suffit pas de s'élever de temps à autre jusqu'au ravissement du quatrième état, celui-ci doit pénétrer le corps et les organes, autrement dit s'épanouir en turyatita, sinon le yogi demeure le jouet de ses énergies.


12

L'unique signe qui permet de reconnaître ce virendra comme définitivement établi en Paramasiva est l'émerveillement qu'il éprouve, ou sentiment indicible de sa souveraineté.

Ce qui aux étapes inférieures lui arrachait un cri de surprise ravie [camat-kara] se dévoile maintenant comme sa propre nature immuable, d'où son émerveillement (vismaya).

En effet camatkara et vismaya ne se situent pas au même niveau de la vie mystique : le premier, au stade de pure Science, n'est que la saveur propre au quatrième état ; le second ressortit à turyatita ; c'est le samadhi dans lequel l'intérieur a pénétré dans l'extérieur et l'extérieur dans l'intérieur, leur harmonie ayant pour expression la kramamudrasamata ; l'émerveillement possède donc une saveur universelle.

Les choses les plus ordinaires paraissent inouïes au yogi qui les contemple en leur essence. Une simple touche de la Conscience suffit pour qu'un son, une couleur lui semblent divins. Le corps entier, les choses perçues, étant imprégnés de pure conscience, en sont transfigurés. Aussi la jouissance spontanée engendrée de la sorte est-elle à tout instant nouvelle.

La roue des énergies qui suscite ces merveilles dont jamais le yogi ne se lasse a pour centre le cœur et pour périphérie les organes sensoriels en contact avec leur champ objectif. Mais ici Ksemaraja préfère l'image d'un lotus qui déploie peu à peu ses pétales et dont l'épanouissement coïncide avec une félicité universelle qui se répand sans arrêt.

Les étapes de yoga qui accompagnent ce déploiement, le précèdent ou le suivent, ne sont que les phases de l'identification à la Réalité ultime. Il ne faut pas les confondre avec des impressions lumineuses (bindu), des goûts et des parfums surnaturels ni avec l'apparition de divinités, ni avec certains pouvoirs surnaturels (siddhi) qui ne sont nullement des signes de progression, dans la voie de Siva, mais des phénomènes ressortissant à une voie inférieure.


13

Le treizième aphorisme décrit l'efficience provenant de cet émerveillement, car au stade où est parvenu ce roi des yogi, tous ses désirs se réalisent. La source de son énergie que Ksemaraja s'emploie à définir est la volonté (icchasakti), tremplin d'udyama, saut imprévu qui, en un surpassement de soi, mène à la conquête de la liberté.

Le terme iccha signifie indifféremment désir, volonté, intention nue, mais il faut comprendre ici désir en soi et sans affectivité, aspiration profonde de l'être intégral avant que n'apparaisse la distinction sujet-objet ; volonté, pouvoir à l'état pur, mais sans effort ni intention tendant à un but défini; ferveur d'un cœur ne tolérant plus l'attente et qui emporte spontanément vers l'absolu.

La volonté d'un yogi qui aspire ainsi à Bhairava ne se différencie pas de celle d'Uma la suprême énergie consciente, à l'état vierge, sans particularité aucune et Bien-aimée de Siva. Très jeune (Kumari) à l'aube de la vie, Uma se consacrait à l'ascèse et vivait dans le renoncement toute éperdue d'amour divin.

N'étant jamais objet de jouissance, la vierge n'est que pur Sujet qui jouit ; libre énergie, elle se voit elle-même directement comme Sujet suprême s'amusant à émettre et à résorber le monde ; son acte intérieur et indifférencié n'étant qu'un jeu.

Pour elle qui réside à la source, point de flux du devenir. Toujours pleine de ferveur, elle n'aspire qu'à se fondre en Siva, et sa vigilance consiste en une conscience de Soi ininterrompue.

Selon le Mrtyujit l'énergie divine, Uma, s'engendre elle-même (svayambhu) ; cet acte de conscience en effet est en quelque sorte né de soi-même parce qu'il vibre et se recrée perpétuellement. La Conscience est donc toujours en acte, toujours présente (satatodita). Paradoxalement, d'après un autre Tantra, cette même vierge, Kumari, se trouve cachée par la magie du yoga, en l'occurrence par les noms divins qu'on lui attribue.

Si l'on ne peut la percevoir qu'en soi-même et en tant que l'indicible Sujet, se la représenter sous les formes de déesses, objets de vénération, c'est ourdir la trame du sortilège apte à voiler l'intime de la Conscience.

La volonté du yogi ne faisant qu'un avec la libre volonté divine, on comprend l'efficience dont ce yogi dispose. Rien ne lui résiste car il a mis fin (mari) au pouvoir néfaste (ku) du flot différencié.

On ne pourra dire de lui qu'il utilise la force de ses organes ; c'est en puisant à la source de sa vibrante volonté, le Je absolu, qu'il réalise tout ce qu'il veut.


14

Le présent aphorisme déclare que l'ardent yogi doué d'une telle volonté possède un corps cosmique. Comment dès lors perçoit-il le monde et sa personne dont il a réalisé la fusion ? Dès que la connaissance s'affranchit de la dualité, il voit l'objet comme soi-même : le Sujet est son propre Objet et l'Objet son propre Sujet ; d'où la double interprétation de ce sutra :

L'une d'ordre cosmique : tout ce qu'il perçoit, le monde et son corps, forme sa propre personne devenue universelle car il n'est plus borné par une dépendance à l'égard de son corps individuel. C'est ainsi que l'éternel Siva (sadasiva) appréhende l'univers comme son corps.

Selon une seconde interprétation, d'ordre individuel, il perçoit sa personne, son corps, son souffle, son intelligence sous un angle objectif, à la différence de l'homme ordinaire qui les appréhende de façon subjective en s'identifiant à eux.

En l'absence de la division de sujet et d'objet, le yogi ne peut distinguer ce qui lui revient en propre de ce qui revient à l'univers : le monde entier est le Soi ; et le Soi est le monde entier. Pour lui en effet une seule énergie indifférenciée les remplit tous deux.

Telle est l'expansion de la gloire innée.


15

Au yogi doué de l'énergie de volonté l'univers entier ainsi que son propre corps apparaissent comme pleins de conscience, ce qui n'est pas impossible pour celui dont la conscience illuminée fusionne avec le Cœur, ce lumineux miroir où l'univers se reflète.

Grâce à cette fusion, le yogi a la vision de toute chose comme la Réalité même et comme identique à l'universelle lumière consciente : le monde perceptible aussi bien que ce qui ne relève pas de ce monde, à savoir les états qui à l'instar du sommeil profond, de la mort, du vide, ne comportent plus la distinction de sujet-objet.

Ayant ses assises dans le Soi, sa conscience immergée dans la Conscience universelle, toute différenciation disparue, il entre en harmonie avec les êtres conscients et inconscients et ne découvre partout qu'une seule saveur. Telle est mahavyapti, puissante inhérence ou grande intégration dans laquelle il jouit d'omniscience et d'omnipotence.

De là les citations choisies par Ksemaraja : Recueilli dans le vide du Cœur, au centre des deux coupes de lotus emboîtées que sont subjectivité et objectivité, le pur Sujet obtient la gloire, la souveraineté universelle dont il remplit l'univers sous tous ses aspects.

Mais pour résider partout, inutile de prendre comme centre ceci ou cela, il suffit de résider en soi-même puisqu'on est identique au Tout.