LE NON-ESPACE
Source : Le Vijnana Bhairava traduit et commenté par Lilian Silburn
127 - L'inconnaissable, l'insaisissable, le vide et ce qui n'accédera jamais à l'existence, imaginez tout cela comme Bhairava et, à la fin de cette évocation, l'illumination se produit.
Il faut imaginer que le Bhairava, la Conscience universelle, est l'essence de toute chose y compris ce qui n'existe pas. Sivopadhyaya cite un extrait de la Vimarsadipika dans lequel Siva apparaît comme le réceptacle du vide, Lui, l'autonome et parfaite plénitude : là, nous dit-on, toutes les réalités reposent, de là aussi elles surgissent et là même elles s'évanouissent. Il donne encore un verset de la Maharthamanjari : « Quelle différence existe-t-il du point de vue de la réalité véritable entre une fleur atmosphérique et une fleur réelle ? L'univers puise sa vie dans la vibration de la conscience et cette vibration est partout la même. »
Ainsi dans le cas de choses inexistantes, telle une fleur imaginaire, la conscience manifeste clairement son existence tout comme elle le l'ait à l'égard d'une fleur réelle, c'est-à-dire projetée à l'extérieur.
Notre commentateur cite encore une stance d'Utpaladeva qui fournit des précisions sur notre sloka ; définissant la Lumière de la Conscience il dit à son sujet : « C'est la vibration, l'être absolu au-delà des distinctions spatiales et temporelles. En tant que quintessence on la nomme Cœur du suprême souverain. » Ainsi l'existence véritable (mahasatta) a pour définition sphurata ou sphurana, elle fait vibrer la conscience qui réagit. Si un pot existe, c'est qu'il se manifeste à moi lorsqu'il pénètre dans ma conscience. Satta, l'existence, glose Abhinavagupta, est un terme employé afin de désigner la nature essentielle du libre agent. On dit qu'elle est grande (maha) parce qu'elle remplit jusqu'à une fleur atmosphérique et parce que ni le temps ni l'espace ne la limitent, étant donné que c'est elle qui les engendre.
Si, comme le sloka le recommande, on adhère totalement à l'inconcevable Bhairava vide de toute appréhension distincte et qu'on reconnaisse que rien n'existe sans la Conscience, alors jaillira l'intuition de l'existence indifférenciée (mahasatta) identique à ce Bhairava.
128 - Ayant fixé la pensée sur l'espace externe qui est éternel, sans support, vide, omnipénétrant et dépourvu d'opération, qu'on se fonde alors dans le non-espace.
On ne médite pas sur un espace abstrait ou sur la notion de l'espace mais sur un espace vécu dont on accueille l'immensité. L'espace ainsi valorisé apparaît comme la meilleure approximation de la Conscience infinie sans dualité. En effet les philosophes de l'Inde ont toujours attribué à l'akasa comme à la conscience suprême, éternité, indétermination, vacuité de matière, immutabilité, absence de fondement et d'activité.
On comprend que la contemplation de l'espace extérieur en introduisant le yogi dans l'incommensurable, au-delà de la perception des objets et des formes, vienne l'aider à déployer l'immensité toute intérieure du Soi et que le mouvement d'expansion qui repousse les limites de l'espace se continue en un approfondissement de l'intimité de l'atman.
La conscience intériorisée commence par résorber en elle-même le monde sensible ; puis, échappant à l'espace, elle se révèle dans sa vraie nature où ne règne ni dedans ni dehors. Le yogi repose paisiblement dans l'immensité de la Conscience, domaine de la vacuité absolue qui rejoint, la plénitude.