Le support Immuable
Source : Le Vijnana Bhairava – texte traduit et commenté par Lilian Silburn (Édit : Collège de France, Institut de indienne)
99 - Toute connaissance est sans cause, sans support et fallacieuse par nature. Dans l'ordre de la réalité absolue, cette connaissance n'appartient à personne. Quand on est ainsi totalement adonné à cette concentration, O Bien-aimée ! on devient Siva.
Il s'agit ici du moyen de pénétrer dans le cœur qu'Abhinavagupta désigne par l'expression sarvatmasamkoca ; brusque retrait en soi-même avec contraction de toute la personne dans le Soi, éprouvée durant l'extase aux yeux clos (nimilanasamadhi). Les voies des activités dirigées vers l'extérieur se ferment soudain et le yogi se refuse aux choses qui l'entourent, la réalité intense du Soi excluant toute autre réalité.
Au cours de la connaissance ordinaire, l'homme est convaincu de l'existence d'objets réels qu'il saisit en une connaissance objective dont il ne doute pas et il imagine que celle-ci appartient à un sujet lui aussi réel. Afin de miner les fondements d'une telle croyance, il faut se concentrer d'abord sur l'irréalité de l'objet. Puis, la connaissance à son tour est livrée à un examen critique. Qu'on la prive de son support, l'objet, et elle apparaîtra également comme illusoire. Objectera-t-on alors qu'elle appartient à un sujet réel ? Du point de vue transcendant elle n'appartient à aucun sujet, si l'on comprend par là un sujet limité qui ne serait pas la conscience même.
Il en résulte que sujet connaissant, objet connu et connaissance disparaissent pour faire place à Siva, la Conscience absolue affranchie de toute modalité, le Je plénier (purnahanta).
Méditation avec concepts propre à la voie de l'énergie, au premier hémistiche, puis voie de Siva au second.
Les sloka de 99 à 109 développent le thème de l'irréalité et de l'inconsistance de tout ce qui existe. Seul échappe le support Immuable de toute opposition, la conscience indifférenciée dans laquelle on découvre l'équilibre harmonieux entre le moi et l'univers (samata).
100 - Celui qui a pour propriété la Conscience réside dans tous les corps ; il n'y a nulle part de différenciation. Ayant alors réalisé que tout est fait de cette Conscience, il est l'homme qui a conquis le devenir.
La Conscience (cit) qui illumine tout de son éclat a pour attribut l'activité autonome et n'est pas soumise aux notions limitées et artificielles, telles que « je suis identique à mon corps, à ma pensée ». Elle règne indivise et égale à elle-même dans tous les êtres, du balayeur des rues au brahmane, de la fourmi aux corps les plus divins.
L'homme qui se pénètre peu à peu de cette vérité l'actualise en reconnaissant son identité à la conscience universelle du Souverain de l'univers ; comme Lui, il réside dans tous les corps et domine en conséquence le flux de la vie et de la mort (samsara).