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BLOG COUSIN PASCAL

Celui qui perçoit l'univers comme un amas d'écume en plein océan ambrosiaque de la Conscience,
c'est lui, en vérité, l'unique Siva.

Ksemaraja









Les sept niveaux de turya


La théorie des 7 niveaux de turya ou 7 niveaux de béatitude (ananda) fut enseignée à Abhinavagupta par Sambhunatha. Entre les 3 états de conscience du corps subjectif individuel, veille, rêve et sommeil profond, se trouve un vide. Ce vide est un point de jonction. Il existe un point de jonction entre l'état de veille et de rêve, entre celui de rêve et le sommeil profond ainsi qu'entre le sommeil profond et la veille. Tout être humain traverse automatiquement cet état intermédiaire. On le traverse en passant de la veille au rêve et aussi en passant du rêve à la veille, avant d'ouvrir les yeux. Cette traversée se fait chaque fois que le corps subjectif individuel passe dans l'un ou l'autre des ces trois états. Il s'agit du quatrième état, turya. Mais on ne peut y accéder en se concentrant sur ce point de jonction, parce qu'en procédant ainsi, en essayant de prendre conscience de cet état intermédiaire, jamais il ne se manifestera. Vous resterez tout simplement éveillé.


1 - Nijananda « la béatitude de votre propre Soi » - Sujet conscient : Sakala pramatr

Le point de jonction ne se découvre qu'au moment où l'on s'endort, où l'on passe dans l'état de rêve. Mais d'ordinaire on en est complètement inconscient. La seule façon de pouvoir prendre conscience de ce point de jonction est de se concentrer sur un des centres du cœur tout en respirant, marchant ou se déplaçant ici et là. Il faut se concentrer sur ce centre. Il faut observer le centre de deux mouvements quelconques, de deux respirations. Il faut se concentrer sur ce point de jonction. Quand vous aurez réussi à établir cette concentration, au bout d'un certain temps, quand vous vous mettrez au lit vous passerez automatiquement par cet état intermédiaire avant d'entrer dans l'état de rêve. En fait vous n'entrerez pas dans l'état de rêve. Vous prendrez conscience de ce point, de cette zone intermédiaire. Elle n'est qu'une porte ouvrant sur turya. On ne peut en prendre conscience que si l'on a préalablement entraîné l'esprit à se concentrer sur l'espace entre deux mouvements, entre deux respirations. C'est le premier niveau de turya. On l'appelle nijananda, ce qui signifie « la béatitude de votre propre Soi ». La première expérience de cet état intermédiaire survient quand on s'efforce de découvrir le centre, tel celui qui existe entre deux mouvements, entre deux respirations ou entre deux pensées.


2 - Nirananda « absence de béatitude limitée » - sujet conscient : Vijnanakala (ou si inconscience pralayakala pramatr)

Quand on peut rester concentré sans interruption, dans un attitude de respect et de dévotion, avec amour et affection, alors la respiration devient très ténue, très subtile. Elle se ralentit automatiquement. On éprouve alors une sensation vertigineuse, une sorte d'ivresse qui, si l'on parvient à se maintenir dans un état d'intense concentration, s'affermit et se stabilise. C'est le second niveau de turya, appelé nirananda, ce qui veut dire « absence de béatitude limitée ». Ici malgré l'ivresse éprouvée, on ne perd pas conscience.


3 - Parananda « béatitude liée à l'éveil du souffle » - sujet conscient : Suddhavidya ou mantra pramatr

Quand cette sensation de vertige se stabilise et se prolonge davantage, l'aspirant s'endort immédiatement. Mais en fait il n'entre pas dans l'état de rêve. Il pénètre dans cet espace interstitiel. Ce point de jonction constitue le stade initial de turya. C'est l'entrée dans un nouvel univers. Ce n'est ni la veille, ni le rêve, ni le sommeil profond ; c'est la quatrième état. Les organes ont cessé de fonctionner. L'aspirant ne bouge pas, il ne voit ni n'entend rien. Si au prix d'un gros effort, il parvenait à ouvrir les yeux, il s'apercevrait qu'il se trouve toujours chez lui ; mais en fait il lui est impossible de remuer une partie quelconque de son corps ; il peut tout juste remuer un peu ses paupières. A cet instant, l'aspirant entend des bruits horribles et voit des formes terrifiantes. Ceux qui se laissent effrayer tentent immédiatement de sortir de cet état, et au prix d'un violent effort, ils se retrouvent alors dans l'état de veille. D'autres essaient de supporter ces pénibles épreuves. Par exemple, on peut avoir l'impression que sa maison s'écroule sur soi ou qu'un incendie vient d'éclater à l'extérieur et que l'on va être brulé vif. Si l'on supporte ces expériences, elles finissent par s'arrêter. Si cela est impossible , on est rejeté dans l'état de veille et tout est à recommencer. Pour que le voyage se poursuive, l'aspirant doit être capable de supporter ces terribles expériences. La seule chose qui importe, c'est de continuer à respirer. L'aspirant doit inspirer et expirer en éprouvant une grande dévotion et un grand amour envers son propre Soi. Cela veut dire qu'il doit inspirer et expirer en répétant le nom du Seigneur de la manière indiquée par son Maître au moment de son initiation, et qu'il ne doit prêter aucune attention à ces bruits horribles. L'aspirant peut avoir l'impression qu'il va mourir ou qu'il est déjà mort. De telles pensées sont sans fondement et doivent être rejetées. Ces expériences se produisent quand on tente de passer de l'individualité à l'universalité, parce que l'individualité doit être détruite. Quand on commence à se mouvoir vers l'universel, il faut affronter ce genre de situation. Si vous endurez cette situation, tout en respirant et en répétant intérieurement votre mantra selon les instructions de votre Maître, toutes ces choses horribles finiront par s'évanouir. A ce moment on commence à éprouver des difficultés respiratoires, on a l'impression d'étouffer, de ne plus pouvoir respirer. C'est une nouvelle épreuve qu'il faut savoir supporter. Elle ne prendra fin que si vous pouvez intensifier votre dévotion envers le Seigneur. Il faut pratiquer avec davantage d'amour. Si vous faites cela la sensation d'étouffement finira par disparaître. Mais si vous ne pouvez intensifier votre dévotion dans votre pratique, vous sortirez de cet état et devrez tout recommencer. Si cela vous arrive, vous aurez la conviction d'avoir stupidement perdu une belle occasion en ne pouvant supporter ces épreuves et vous n'aurez plus qu'une envie : recommencer l'expérience sans tarder.
Ce niveau où se manifestent les bruits et les visions terrifiants, puis l'impression d'étouffement, de ne plus pouvoir respirer, est appelé parananda, qui est la béatitude (ananda) liée à l'éveil du souffle. Dans cet état divin, inspiration et expiration ne sont plus une respiration ordinaire. La respiration devient joie et béatitude, même au milieu des visions et des bruits effrayants, même si l'on a l'impression que la respiration va s'arrêter.


4 - Brahmananda « béatitude omnipénétrante » - sujet conscient : Isvara ou mantresvara pramatr

Si on poursuit sa pratique avec une dévotion intense, la respiration ne s'arrête pas. Voici ce qui se produit : au centre de ce qui est appelé lambika sthana dans le Sivaïsme et luette en français, du côté droit, près du creux de la gorge, convergent quatre conduits. Dans la respiration ordinaire deux d'entre eux sont ouverts tandis que les deux autres sont fermés. Au moment où la respiration semble devoir s'arrêter, les conduits empruntés par le souffle ordinaire se ferment. C'est ce qui produit cette sensation d'étouffement. A ce moment, votre souffle passe au centre et circule autour d'un point, comme un tourbillon. L'aspirant a l'impression qu'il n'y a plus ni inspiration ni expiration, mais que son souffle tournoie autour de ce point où convergent les quatre conduits. Cet état est appelé brahmananda, ce qui veut dire qu'il s'agit d'une béatitude omnipénétrante.


5 - Mahananda « grande béatitude » - sujet conscient : sadasiva ou mantra mahesvara pramatr

Le yogi doit alors poursuivre sa pratique avec dévotion. Sa respiration étant arrêtée, il ne peut plus observer son souffle mais seulement répéter son mantra. Il doit se concentrer totalement sur son mantra et lui seul, avec une grande dévotion envers le Seigneur Siva. S'il fait cela, au bout d'un certain temps il se met à bailler, ou bien sa bouche a un rictus semblable à celui qui se produit au moment de la mort. Il passe par les mêmes étapes qu'au moment de mourir, quand la respiration a cessé. La multitude d'expressions qui apparaissent sur son visage sont celles mêmes qui se produisent au moment de la mort. Ce yogi est alors persuadé qu'il va mourir. Il n'a pas peur, il éprouve simplement une certaine appréhension. Ceci correspond à la mort de l'individualité, la mort qui précède la naissance à universalité. Il s'agit d'une mort mentale et non physique. La seule chose que doit faire le yogi est de verser des larmes de dévotion. Il doit prier pour recevoir l'expérience du « Je » universel. Au bout de quelques instants, quand le souffle se met à tourbillonner à toute allure, et cesse de s'accélérer, il faut immédiatement arrêter de respirer. Il ne faut pas avoir peur. Si votre Maître est présent il vous demandera d'arrêter de respirer. En effet tant que le souffle continue de tournoyer, la possibilité de recommencer à respirer est toujours là. A cet instant c'est à vous de décider : soit vous arrêter la respiration, soit vous la laissez repartir. Quand le mouvement tourbillonnaire est parvenu à son intensité maximum, il vous faut absolument l'arrêter sur le champ. Au moment où vous arrêter votre respiration, votre souffle se précipite aussitôt dans le canal central et se trouve aspiré vers le bas ; vous percevez réellement un bruit de succion. La porte de canal central (madhyanadi) s'ouvre soudainement et votre souffle dévale jusqu'au muladhara, le centre qui se trouve près du rectum. Ce niveau de turya est appelé mahananda, ce qui signifie « la grande béatitude ».


6 - Cidananda «  béatitude de la conscience » -sujet conscient : Siva

A partir de mahananda l'aspirant n'a plus aucun effort à fournir. Tout se déroule automatiquement. Cependant il est une chose dont il doit se garder, c'est de se dire : « A présent tout se passe automatiquement ». Plus il aura tendance à penser cela, plus il risque de rester bloqué au niveau de mahananda. C'est pour cela que les Maîtres ne révèlent jamais à l'aspirant ce qui se produit après mahananda. Les sivaïtes disent qu'à partir de mahananda il faut avoir recours à bhramavega. Bhramavega signifie « force aveugle ». Il vous faut appliquer votre force de dévotion sans savoir ce qui va se passer. Il vous est impossible d'utiliser votre mantra, car avec la disparition du souffle, le mental lui aussi disparaît, absorbé dans la conscience (cit). La respiration prend alors l'aspect d'une force (vega). C'est cette force qui perce le muladhara cakra et vous permet de le traverser. Quand la pénétration du muladhara est achevée, cette force prend un autre aspect. Elle se transforme et devient béatitude, extase et conscience ; elle devient divine. Alors vous savez ce que vous êtes réellement. Il s'agit de l'ascension de la cit kundalini qui s'élève depuis le muladhara cakra jusqu'au sommet du crâne, cet endroit que l'on nomme brahmarandhra. Elle s'épanouit et emplit tout le canal. Cet état est le sixième état de turya et est appelé cidananda, ce qui veut dire « béatitude de la conscience ».


7 - Jagadananda « béatitude universelle » -sujet conscient : Parama Siva

Puis cette force exerce sa pression sur la suture occipitale (brahmarandhra), perce le crâne et, s'échappant du corps, rejoint l'univers. Ceci se produit automatiquement, sans que l'on ait à faire quoi que ce soit. Au moment où le brahmarandhra est percé se produit une exhalation, une seule, l'espace d'une seconde, à travers les narines. Ensuite on replonge dans cidananda, éprouvant de nouveau la joie de cette ascension, qui n'avait pas cessé d'être là. Cela ne dure qu'un instant, et de nouveau se produit une expiration. A ce moment vous yeux s'ouvrent et vous avez l'impression d'être extériorisé. Vous faites l'expérience du monde objectif, mais d'une manière particulière. Puis de nouveau la respiration s'arrête, les yeux se ferment et vous vous sentez intériorisé. Puis les yeux se rouvrent et referment tout à tour. C'est l'état de krama mudra, dans lequel on commence à réaliser l'identité du « je » transcendant et du monde objectif. L'établissement de la krama mudra est appelé jagadananda, ce qui signifie « béatitude universelle ». C'est le septième et dernier niveau de turya. C'est l'état dans lequel l'expérience du Transcendant ne disparaît jamais et où l'univers est éprouvé comme ne faisant qu'un avec notre propre « Je » absolu.



Les niveaux de turya qui vont de nijananda à cidananda forment les diverses phases du nimilana samadhi. Ce dernier est un samadhi subjectif interne. A mesure que l'on progresse à travers ses six niveaux de turya, ce samadhi devient de plus en plus stable. Quand se produit la krama mudra, le nimilana samadhi se transforme en unmilana samadhi, qui devient alors l'état dominant. C'est un samadhi extraverti dans lequel on perçoit simultanément le samadhi et le monde objectif. Quand unmilana samadhi devient stable et permanent, cela correspond à l'état de jagadananda.

Au point de vue de l'ascension à quinze phases, l'état de sakala correspond à la veille. Sakala pramatr est le premier niveau de turya, nijananda. Vijnanakala est le niveau de nirananda. Suddhavidya est le niveau de parananda. Isvara correspond au niveau de brahmananda, sadasiva à celui de mahananda, Siva à celui de cidananda et Parama Siva à celui de jagadananda.