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BLOG COUSIN PASCAL

Celui qui perçoit l'univers comme un amas d'écume en plein océan ambrosiaque de la Conscience,
c'est lui, en vérité, l'unique Siva.

Ksemaraja









La roue des phonèmes

Sivasutravimarsini de Ksemaraja
Traduction de Lilian Silburn ((Éditeur : Institut de civilisation indienne - Diffusion E. de Boccard 11, rue de Médicis Paris 6°).


Ainsi du maître plein de grâce :

7 - La compréhension de la roue des phonèmes, a lieu pour le disciple complète le sutra.

La Paratrisika et d'autres traités enseignent :

A. Le premier mouvement (kala) de la prise de conscience du Je absolu a pour essence l'incomparable (anuttara = A), totalité indivise (kula ou akula) ; Â. Cette énergie de conscience émane sous forme de félicité (ananda = Â).

I et Î. Ayant illuminé d'abord l'étape de la volonté (iccha = I) et de la souveraineté (isana = Î) ; U et Û, elle suscite un état d'éveil fait de connaissance (unmesa = U), puis la crainte d'une déficience (unata = Û) lorsque prédomine le fondement de la manifestation objective.

R, R*, L, L*. Ces quatre phonèmes désignent la volonté sous une double forme : En tant qu'I elle se colore de R, germe du feu, et se révèle en R* tel le flamboiement fugitif de l'éclair ; colorée par L, germe de la terre, elle devient L*. Puis l'énergie, colorée plus intensément par le germe du feu devient R*, illumination ; et colorée intensément par L, l'énergie devient L*, stabilité. Alors, l'apparence objective étant assimilée par la lumière consciente, ces phonèmes sont immortels (il n'y a nulle agitation en amrta). Et n'étant que colorés par l'apparence objective, ils ne peuvent engendrer d'autres germes ; ces quatre germes sont donc nommés stériles ou eunuques.

E, le germe triangulaire procède de la fusion des (trois énergies) incomparable, félicité et volonté précédemment décrites : A + I ou Î = E ;  + I ou Î = E ; A ou  + I = E.

O. Cette diphtongue, due à l'union des énergies incomparable, félicité et connaissance (unmesa), ouvre la voie à l'énergie d'activité : A ou  + U = O.

AI et AU, le germe à six angles (satkona) et le germe du trident (trisula) résultent de la fusion du double germe que l'on vient de nommer : A ou  + E = AI et A ou  + O = AU. A savoir respectivement les énergies cit (conscience), ananda (félicité), iccha (volonté), jnana (connaissance) et kriya (activité).

Ainsi l'énergie montre-t-elle que le germe du trident procède de la fusion des trois énergies avec prédominance de l'énergie d'activité, cette dernière bien pénétrée des énergies de volonté et de connaissance.

M, bindu. Ayant exprimé l'univers qui s'étend jusqu'à la terre sous la forme de la vision intuitive de l'unité (le point), l'énergie rend visible l'étape suivante :

H, visarga, l'émission consistant en deux points superposés, bindu, lesquels engendrent simultanément l'émission intérieure et l'émission extérieure. Celles-ci correspondent à deux prises de conscience, l'une dirigée vers l'intérieur par laquelle (la kala) montre l'univers comme reposant dans l'incomparable (A) ; l'autre, tournée vers l'extérieur, où elle déploie la totalité cosmique jusqu'aux sujets conscients limités (les purusa) à partir des énergies, A, I, U, R* et L* ; et comme chacune d'elles produit un groupe de cinq lettres, elles engendrent, pentade par pentade, les consonnes allant de K à M (ainsi que les niveaux du réel correspondants).

Y, R, L, V. Dans l'enseignement phonétique (de Panini) ces semi-voyelles reçoivent le nom d'antahstha (situées dans l'intervalle des voyelles et des consonnes), mais ici on les nomme « résidant à l'intérieur » car elles résident en l'homme (pum) sous forme de cuirasses (limitation causale, temps, etc.). Les Tantra les appellent dharana, supports, du fait qu'elles supportent l'univers en supportant la sphère du sujet limité. Au-delà de l'illusion la kala manifeste les quatre consonnes suivantes :

S, S*, S° et H, appelées usman, spirantes, expiration en raison de la vapeur qui se répand de la bouche quand on les énonce, et du fait qu'elles sont révélées (unmisita) par la disparition du différencié et par l'apparition de l'indifférencié.

Ici, à la fin de l'émanation intégrale des phonèmes, l'énergie manifeste le phonème S, germe d'immortalité, puis le germe du souffle (pranabija) H ou anahata, le Son non-issu de percussion, indestructible, qu'accroit l'énergie incomparable, anuttara A pour qu'on reconnaisse que l'univers, sous forme de signifiant et de signifié et en tant que le déploiement des six cheminements, consiste en le phonème H.

Par le processus de la contraction des phonèmes A et H, c'est-à-dire Siva et l'énergie, on comprend que l'univers repose dans la matrice de AHAM, le Je. Telle est la réalité profonde de la prise de conscience du Je, efficience de la Parole sacrée.

Comme notre vénérable paramesthin (Le troisième guru dans le temps ou maître du maître (paramaguru) de l'actuel guru.) Utpaladeva l'a dit : « La nature du Je est célébrée comme le repos en elle-même de la Lumière consciente. On le nomme repos parce que toute attente est anéantie et qu'y règnent liberté, activité et souveraineté-. »

Ce que l'on a décrit jusqu'à présent comme la nature de la Mère des phonèmes (matrka) est illustré par le germe situé au sommet, le KS que constituent en se contractant les phonèmes A et H, c'est-à-dire K et S dont l'union forme KS.

En voilà assez sur une doctrine que l'on ne doit pas révéler. Le parfait Éveil (bodha) consiste à s'absorber en sa propre essence, masse indivise de félicité et de conscience, Éveil à l'ensemble des énergies précédemment décrites comme l'incomparable, la félicité et la volonté, etc., en d'autres termes la roue associée à la puissance de la matrka à laquelle réfère un vers traditionnel : « Il n'y a pas de Science supérieure à l'énergie des phonèmes (la matrka). »

Dans le Paratrimsakavivarana, le Tantraloka et d'autres traités mon excellent maître (Abhinavagupta) a donné de longs éclaircissements sur cette Science que je n'ai fait que suggérer.

Il est dit dans le Siddhamrta : « La kundalini ayant pour forme la Conscience est le germe et la vie. D'elle procèdent les trois phonèmes, l'incomparable, la volonté et la connaissance (A I U) et, de là, à nouveau, les phonèmes de A jusqu'à l'énergie émettrice H, puis, de ce visarga, les phonèmes de K à S ; le bindu se révèle quintuple : à l'extérieur et à l'intérieur, dans le cœur, dans le son, dans le royaume suprême. Ainsi pénètre-t-il la personne jusqu'au sommet du crâne, brahmarandhra. Quant aux mantra dépourvus de phonèmes initial et final (le A et H formant aham, Je) ils sont aussi infructueux qu'un nuage d'automne. Qu'on apprenne (dit Siva) la caractéristique de A + H + AM de la bouche d'un maître ; ce (jnanin ) est un bhairava de nature divine, qu'on doit vénérer comme mon égal. Puisque tout ce qui existe en fait de versets, de stances, etc., est associé à ces phonèmes ou Je suprême ; tout connaître ainsi c'est tout contempler sous l'aspect du mantra. »

Le Spanda y fait indirectement allusion : « Cette énergie d'activité propre à Siva (ou Spanda), si elle opère dans le pasu est ce qui l'asservit. Mais c'est la même qui, bien comprise, se trouvant dans la voie du Soi procure la réalisation libératrice. » (48).


Pour un tel être muni de la parfaite compréhension de la Roue de l'énergie phonématique :

8 - Le corps est l'oblation rituelle

Le corps à forme subtile, à forme grossière que tous les êtres consacrent, Sujet, est l'oblation que ce grand yogi verse dans le feu de la Conscience dès que l'erreur qui identifie corps et Sujet connaissant a pris fin, car il s'absorbe perpétuellement dans le Sujet reconnu comme la Conscience absolue.

Le Vijnanabhairava déclare : « Lorsqu'on verse en oblation dans le feu sacrificiel, ce réceptacle du grand vide, les éléments, les organes, les objets, etc., y compris la pensée, voici la véritable oblation dans laquelle la conscience intériorisée fait office de cuillère sacrificielle. »

Le Timirodghata dit également : « Bien-aimée, ami, parent, donateur ou être intensément chéri, ô Déesse ! lorsqu'on dévore cet attachement à leur égard, on vole dans la Conscience comme une apsaras dans le ciel. » (Apsaras : jeu de mot sur anga, membre, attachement, et femme céleste volant dans le ciel, gaganangana, l'éther suprême de la conscience infinie libre de tout attachement.)

Ce qui signifie que l'on ne prend plus le corps pour le Sujet conscient.

Et la Bhagavad Gita : « D'autres versent en libation toutes les activités des facultés sensorielles et celles des souffles dans le feu de l'union (yoga) qui, enflammé par la Connaissance, est maîtrise de Soi. » (IV, 27).

La Spandakarika mentionne : « Lorsque son agitation s'apaise, l'état suprême se produit. » (9). On est agité quand on prend le corps, etc., pour le Je, selon l'explication que donne Sri Bhattakallata dans sa glose.


Et pour ce yogi apaisé :

9 - La connaissance est sa nourriture

Première interprétation :

La connaissance différenciée que mentionne déjà le sutra : « La connaissance est le lien. » (l, 2) constitue la nourriture des yogi car ils la dévorent.

On a précédemment cité (au 1,6) : « Alors il engloutit tout ceci : la mort, le Temps, le faisceau des énergies fragmentatrices, l'ensemble des modalités, l'identification aux convictions et ce qui procède des pensées dualisantes portant sur l'identité à Siva ou sur l'identité à des choses multiples. »

Deuxième interprétation :

Et aussi la Connaissance ou prise de conscience de sa propre essence est sa nourriture, elle apaise le Soi en lui procurant un total assouvissement.

Il est dit dans le Vijnanabhairava : « Si l'on s'adonne fermement à un seul des cent douze moyens ici décrits, on réalisera la modalité de surabondance de jour en jour plus profondément. La plénitude qui excède toute limite, telle est ici la satisfaction de l'être adoré, Siva. » (148). Yukti, moyen, désigne la connaissance propre aux cent douze étapes.

Et dans une stance du Spanda on trouve de manière succincte : « Qu'il demeure toujours bien éveillé. » (44).


Mais pour celui qui, en dépit de sa Connaissance, ne reste pas perpétuellement vigilant, alors par la faute de ce manque de vigilance :

10 - Dès que la science mystique se résorbe, la perception propre au rêve surgit de cette résorption

Lorsque la pure Science, cet épanouissement de la Connaissance dont on a parlé, s'immerge, surgit alors la perception, à savoir une claire émergence au niveau du rêve, sous l'aspect du déploiement différencié de pensées dualisantes à mesure que s'évanouissent les impressions laissées par la Science mystique.

Il est dit dans un passage du Malinivijaya : « Le Seigneur, s'il n'est pas entièrement satisfait, n'enseigne pas un tel état de conscience et même si de quelque manière il l'enseignait, aucune impression durable ne s'ensuivrait ... » Et qui s'achève par : « Et alors même qu'une impression demeurerait, des obstacles aiguillonneraient celui qui n'est pas attentif vers d'évanescentes jouissances. »

Et dans le Spanda, en résumé : « Sinon, s'il n'est pas vigilant, la libre création du Seigneur se jouera perpétuellement de lui, comme de l'homme ordinaire, au cours des deux états de veille et de rêve. » (35).

Ainsi enseigne-t-on que le yogi doit s'adonner avec ardeur à prendre conscience de la pure Science (vidya), ce que déclare l'ancien traité : « Celui qui aspire à ce qui est supérieur, qu'il ne s'attache donc pas à ces pouvoirs surnaturels. »

Dans le Spanda également : « C'est pourquoi celui qui est toujours ardent à discerner la vibrante Réalité accède sans délai à sa propre Nature, même s'il se trouve à l'état de veille. » (21).

L'auteur ayant commencé par l'aphorisme « La conscience illuminée est le mantra » (II, 1) a clairement expliqué la voie relevant de l'énergie que caractérise le recueillement sur l'efficience des mantra et sur celle des attitudes, voie que les livres sacrés décrivent de la manière suivante : « La compénétration obtenue en s'absorbant en quelque entité par le cœur uniquement, sans aucune récitation, est appelée ici relative à l'énergie. » (M.V. II,22).

Puis l'auteur termine par le sutra : « Dès que la science mystique se résorbe, la perception propre au rêve surgit de cette résorption. » (10). Cet aphorisme concernant l'être imparfaitement vigilant conduit à l'enseignement de la voie propre à l'être individuel.

Telle est la description de la voie de l'énergie, second chapitre de la glose intitulée Sivasutravimarsini œuvre de Ksemaraja, disciple du grand maître Abhinavagupta. Prospérité à tous !