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BLOG COUSIN PASCAL

Celui qui perçoit l'univers comme un amas d'écume en plein océan ambrosiaque de la Conscience,
c'est lui, en vérité, l'unique Siva.

Ksemaraja









La non-voie


Lilian Silburn : une vie mystique, éditions Almora par Jacqueline Chambron, extraits

C'est une voie mystique et non une religion ; elle n'exige aucune conversion, aucune croyance, pas même la foi en Dieu, mais grâce au guru on est plongé de plus en plus dans une vie imprégnée de la présence divine. Mysticisme sans ésotérisme car tout peut être révélé au disciple, mais on ne parle pas de couleur à un aveugle...

Voie vivante

Un maître qui est mort ne peut transmettre que par un disciple vivant formé par lui. Il faut un contact vivant concret, le corps compte. Mais le maître du maître peut donner quelque chose d'extraordinaire. Selon le guru, le soufi répétait souvent : « Un renard vivant vaut mieux qu'un lion mort. » Système de vie intense, donc de vivants, système vivant à l'épreuve des siècles. « Mais, s'il n'y a personne de vivant, pas de maître complet, alors le contact avec les maîtres défunts est très utile. » Les maîtres accumulent une science de plus en plus simple et efficiente au fil du temps. Ainsi le guru a mis au point un nouveau système qui permet de recevoir à petites doses. La voie est fondée sur l'expérience. Le guru cite souvent : « L'exemple est meilleur que l'instruction et l'expérience est meilleure que l'un et l'autre ; c'est pourquoi l'on doit suivre un guide complet. » Cette voie transforme en profondeur : « Mon guide m'a dit hier des choses importantes sur l'école ; les contacts pratiqués par … et tant d'autres n'ont pas d'effets durables, l'effet dure un temps et l'on redevient le même. Mais le procédé de l'école du guru est tout différent. Il opère par l'intérieur en profondeur et a des effets permanents. » Cette voie ne comporte aucune interdiction ni directive : ni injonction, ni rite, ni pratique qui, si on s'y dérobe, sont source de culpabilité, ce qui coupe de la vie de la grâce. Rien n'est interdit, cependant certaines habitudes font obstacle à la disponibilité nécessaire à la progression mystique. « Jamais mon guru ne me donna un conseil ; jamais il ne fait le moindre reproche à ses disciples. … Il me laisserait commettre un meurtre sans bouger un doigt. Du guru, il ne possède que le don perpétuel mais il n'y a aucune interférence personnelle. (1951) » Cette voie se vit au cœur de l'activité, les responsabilités familiales, l'attention aux autres, activité qui ne fait pas obstacle à la contemplation. Aussi dès le début, le guru fait en sorte que les états mystiques du disciple aient lieu n'importe où, n'importe quand, dans le bruit, l'agitation et non dans le recueillement d'une chapelle. Car on entre dans une nouvelle dimension de l'être où les contraires se concilient. On souffre physiquement, on est tourmenté moralement tandis que le cœur fond de tranquillité et de douceur ou même de félicité : il arrive que la joie soit proportionnelle à la douleur endurée. Ce n'est pas une joie mentale exaltée, c'est une chose qui n'est pas de l'ordre de la seule vie ordinaire.


Voir de la transmission de cœur à cœur

Tout a lieu entre le cœur du guru et le cœur du disciple. Le guru commence par agir sur le cœur du cœur, la meilleure des énergies. La concentration de la pensée suit et les couches inconscientes deviennent conscientes. « Ce qui est dans le cœur du cœur ne peut jamais être écrit dans les livres bien que des gens instruits aient fait de leur mieux pour expliquer, même alors cela reste secret. » (extrait d'une lettre du guru, 09/12/1956) « Une seule chose : silence et amour. Nul effort n'est requis, le guru est le moyen. Tout se fait spontanément sans effort. Il suffit donc de plonger dans le guru. » (1952) « Mais déjà le guru vous aime et si vous aussi avez de l'amour pour lui, c'est là l'essentiel, le reste suit automatiquement, c'est plus important que le samadhi car cet amour est le ressort de la vie mystique. » (1956) Et ce que cette école a de très spécial et de précieux est que le guru, en entrant en union avec Dieu, non seulement permet à la grâce de descendre sur le disciple tout en empêchant son excès, mais il peut conférer ce même pouvoir au disciple, je n'ose dire qui en est digne car nul n'est digne mais, comme ceci se fait automatiquement, tout danger d'orgueil est écarté.

Un première expérience de transmission de Lilian :
« D'abord, j'avais prié Dieu pour … j'ai oublié, mais … a ressenti tout ce que j'avais désiré. A cela le guru m'a dit que je ne devais rien vouloir mais me recueillir seulement ... et en un sens je n'ai rien voulu, seulement j'ai prié au début. J'étais dans un état superficiel, il semble ; donc qu'on ne fasse absolument rien en ce cas, c'est merveilleux et on peut parler de grâce. » (1952)


Voie du silence

La transmission s'opère dans le silence, dans un silence sans objet, dans un silence sans mode. Sans l'aide de postures physiques, sans exercices de souffle ou de concentration, sans mantra, sans l'échange d'une parole, sans un conseil, sans explication philosophique. La pensée est plus un obstacle qu'une aide. « Seul le silence correspond à la grâce divine. Le guru n'est qu'un instrument, il ne dit pas, il ne pense pas : «  Je vais lui donner » … Il donne automatiquement. (journal 1955) Plus tard Lilian exposera la nécessité du silence dans un texte qu'elle distribue aux visiteurs du Vésinet.

Le système est fondé sur le silence et la vie intime du cœur que chacun découvre selon son rythme et qui prend avec chacun des modalités différentes ; dès lors, les comparaisons se font sans profit, les bavardages sont inutiles. L'expérience mystique est trop profonde, trop vivante, trop intense pour faire l'objet d'un discours ou de discussions sous quelque forme que ce soit. Elle en peut se développer qu'à l'abri de tout langage discursif, de toute objectivation ; l'extérioriser, c'est en perdre le parfum et même la réalité, c'est enlever toute chance de se développer au discernement intuitif qui doit accompagner les nouvelles expériences. Beaucoup piétinent en dhyana faute de développer cette aptitude. J'ai souvent le vertige quand je découvre à travers les paroles des uns et des autres ce qu'on me fait dire. Ce que je dis à l'un à tel moment est valable pour lui, non pour les autres, le répéter à tord et à travers conduit à des contresens. Il importe aussi de pratiquer une grande discrétion les uns par rapport aux autres. Les noms de ceux qui sont rencontrés au Vésinet ne doivent pas être cités à l'extérieur, leur démarche étant strictement intime et personnelle. Il n'y a pas non plus à faire de prosélytisme, de propagande, de conversion, l'essentiel sera toujours reconnu par celui qui est apte au secret du cœur.

Cette voie est sans enseignement. La transmission s'opérant dans le silence, tout enseignement, toute parole est inutile. Rejet radical de tout enseignement car la vie et la réalité de la voie se découvrent intérieurement et au fur et à mesure de son développement dont les formes varient pour chacun.

« Le guru me disait que l'abandon (surrendering) exigé était simple consentement volontaire, intellectuel ; mais maintenant, il s'agit de l'abandon de tout l'être, de l'abandon de la subconscience aussi bien que de la conscience, de la confiance absolue en lui, de l'amour. » (1953) « Le but : devenir un dans l'unité. L'abandon n'est pas l'esclavage. »

« Il nous faut demeurer constamment recueillis, sans perdre une seconde de ce temps si bref et si précieux. … Seul un grand amour peut vous permettre de réaliser cela … Amour du guru d'abord, puis amour de cette merveilleuse présence en vous, par la suite. Mais cet amour déjà lui-même est divin ou c'est un don du guru. » Je vous ai souvent dit qu'il n'y avait rien à faire en notre voie : ce n'est pas vrai qu'en un sens mais je ne sais trop comment expliquer ce qu'il vous faudrait faire … et cette tâche est la plus difficile qui soit au monde. » « Néanmoins , on peut déjà essayer de se recueillir, de demeurer paisible, de plonger constamment dans le guru, de penser à lui … alerte, vigilant, intense, à tout instant comme la femme mariée qui a un amant et ne cesse de penser à lui en dépit de toutes ses occupations, ou comme une mère qui berce d'une main son enfant et de l'autre fait un geste continuel : un moment d'inattention et elle aurait la main écrasée par un pilon … ou encore la femme qui porte un vase plein d'eau sur la tête et reste si attentive en dépit des pierres du chemin qu'aucune goutte d'eau n'est versée … Tels sont les exemples de l'Inde que le guru nous rappelle. » (extrait de lettre)
...

Voie sans prosélytisme

« Chaque fois qu'on fait un geste vers quelqu'un, tout tourne mal. Il faut laisser les gens venir à vous, même les plus proches ; c'est là une des rares recommandations de l'école de mon guru. » (lettre 1968)


Voie de l'humilité

« Dès le premier jour mon guru me disait que seule la grâce de Dieu pouvait quelque chose, que lui ne pouvait rien – car il n'était qu'un moyen … il ne savait rien … et son humilité tranchait sur l'orgueil spirituel des ascètes et mystiques de l'Inde. »


Voir universelle

« L'oncle et le père du guru ont apporté du nouveau. Ils ont scellé la voie du cachet de l'universel. Oui, supprimer les appartenances, chevaucher les civilisations, survoler les croyances et religions, aucun syncrétisme, car tout est rejeté en bloc comme simples croyances traditionnelles, parfois utiles, toujours erronées car délimitant, séparant. » (journal 1952)

En un mot voie sans limite



Extrait d'une lettre de Lilian à un ami:

"À J. R., 24 mars

Ne croyez pas que c'est par négligence que je ne vous ai pas écrit depuis deux ans que je suis en Inde mais la première année je n'aurai pu vous décrire que la beauté du Kasmir, mon amour de l'Inde, c'était déjà trop.

Puis la seconde année cela devint impossible car en avril dernier j'ai rencontré ici à Kanpur, par un miraculeux concours de circonstances ce qu'on nomme ici un guru, un guide spirituel et ce que j'ai tant désiré depuis le Crotoy et même avant, je le réalise... et bien au-delà de mes plus folles espérances.

Jamais je n'avais espéré trouver un tel mystique et saint et non pas un, mais plusieurs : son père fut un saint, son guru, un soufi de près de cent ans vit encore, son oncle, merveilleux également est mort, son frère aîné est également très grand, et il y en a d'autres...

Du fond du cœur, c'est saint Jean de la Croix que je désirais retrouver, l'humilité chrétienne, le dénuement intérieur au-delà de toute vision etc.

En avril dernier je suis venue pour la première fois chez le guru, mon esprit critique alerté et je l'ai soumis comme les autres à de nombreuses épreuves ; inutile de vous dire que les photos et écritures de sa famille et de ses maîtres m'ont émerveillée.

[…] J'étais à un pèlerinage fameux dans le nord à Hardwar je nageais dans le Gange quand j'ai été plongée en santi, une paix qui n'est nullement dans le prolongement de ce que nous pouvons éprouver : douceur inouïe du contact avec son Soi, arrêt de tout souci, un sommeil yogique du corps et de la pensée mais qui laisse la conscience d'une plénitude apaisée.

Mon bonheur était tel que j'ai erré quinze jours sans boire ni manger dans la forêt pleine de fauves que je n'ai d'ailleurs jamais rencontrés, couchant sous les arbres, sous les épines blanches en fleurs je me souviens, je ne pouvais plus parler, rien ne peut vous donner une idée de cet état. C'est comme si on était avant perpétuellement misérable, assoiffé, errant, solitaire, grelottant et qu'on fût tout à coup au chaud, rassasié reposé, baignant dans l'amour, la certitude et cela se fit en une seconde, on est dans le présent sans être tiraillé par le passé ou se soucier de l'avenir. L’art n'est qu'une rosée.

Depuis j'ai vécu dans l'extase, le samadhi, mon recueillement est perpétuel, on est absorbé dans une présence merveilleuse que l'on peut nommer Dieu, elle est telle qu'on est incapable de penser à autre chose... Plongée dans l'insouciance, plénitude infinie, félicité qui dure des heures mais aussi également la nuit de l'esprit et sa torture qui est un samadhi du trop, la félicité et l'amour divin deviennent si extrêmes que l'on ne peut les supporter sans gémir. Il m'est arrivé de hurler de douleur la nuit, ma joie qui à la première seconde est merveilleuse devient une torture dès la seconde suivante par son excès même.

Inutile de parler de ces choses qui, tant que vous ne les aurez pas éprouvées, resteront lettres mortes. Mais toutes sont intenses et rien n'est dans le prolongement de ce que l'on a déjà éprouvé : la félicité par exemple est de tout l'être, corps, âme ne font qu'un, on n’est plus que masse consciente de félicité et cela pendant des heures, sans plus ni moins, félicité dans toutes les parcelles du corps...

Mais cet amour sans désir qui s'ignore est plus grand encore, il fait partie de la voie douloureuse, des nuits et peu nombreux sont ceux qui l'éprouvent, tous les autres disciples ne connaissent que la félicité. Ce fut un grand bonheur pour mon guru quand il a vu il y a un mois que telle était ma voie, semblable à la sienne…

Parfait abandon au guru ou plutôt à Dieu est requis mais cet abandon vient spontanément dès qu'on a goûté à l'apaisement et le guru ne demande jamais rien que ce que vous voulez vous-même.

Guru plutôt que Dieu car au début on n'a pas réalisé Dieu ou si on le réalise c'est sans le savoir. D’autre part toute parole, tout enseignement sont inutiles. Tout est transmis en silence. Nous ne parlons guère si ce n'est pour rire car mon guru a un grand sens de l'humour.

Comme il me faudra bientôt rentrer en France (on fait campagne pour moi pour la succession de la chaire de philosophie indienne) mon guru me fait brûler les étapes mais je dois noter soigneusement toutes mes expériences en vue de guider les autres et d'écrire également ; inutile de vous dire qu'écrire ne m'enchante guère, je ne veux plus que silence et solitude et rien ne m'intéresse plus, excepté de donner la même chose aux amis qui me semblent prêts c'est-à-dire aspirant à l'absolu, prêts à tout sacrifier pour lui. Et vous êtes l'un des premiers à qui j'ai pensé."