Le système Krama
Le système Krama admet pour Réalité ultime l'énergie consciente conçue comme la déesse Vyomavamesvari, Matrsadbhava, ou encore Bhasa, Splendeur, le Tout hors duquel rien n'existe, à la fois Raudra et Raudresvari. Quand elle engendre l'univers en lui imprimant la vie, elle est appelée Kali et quand elle le résorbe en elle-même, Kalasamkarsini, celle qui pressure le Temps, pour le vider de son contenu : car ce système accorde une grande importance au temps et à la manière de le surmonter.
Ainsi centré autour de l'énergie universelle, le Krama porte à leur plus haut degré les tendances dynamiques des divers systèmes sivaïtes. Cette énergie consciente de soi, spontanée et libre, se transforme inlassablement en revêtant de multiples aspects bien qu'elle reste égale à elle-même, à la manière de l'immuable océan dont les vagues ne cessent de surgir et de se résorber. Toutefois ces vagues de la conscience ne forment pas un remous incohérent : la gerbe jaillissant de l'indifférencié (le Cœur) traverse des zones de plus en plus distinctes, celles du sujet puis de la connaissance et de ses moyens pour atteindre l'objet. Elle retourne ensuite à l'indifférencié originaire (bhasa) et en rejaillit aussitôt. C'est donc à tout instant que se produit ce prodigieux étincellement de forces qui forment le moi et l'univers. Mais ces forces surgissent et se résorbent avec une telle rapidité que leur succession ne peut être appréhendé par l'homme ordinaire, comme la flamme d'une lampe, bien que faite d'une succession ininterrompue de flammes similaires, apparaît continue au regard non averti.
Par contre le yogi qui a pleine conscience de cette succession subtile et vibrante appréhende le Soi, source inépuisable dont celle-ci procède. Le Soi se manifeste alors en sa liberté infinie, en tant que Splendeur cosmique car il contient toutes les énergies qui forment l'univers.
Afin de mettre à la portée de l'adepte cette conception dynamique de l'univers, le système Krama utilise le symbole d'une Roue immense à mille rayons, c'est-à-dire infinie, Roue de l'indicible ou de la Conscience universelle. A l'intérieur de celle-ci, des cercles emboîtés offrent une classification exhaustive de la réalité et permettent à l'adepte de saisir en un seul coup d’œil l'énergie sous tous ses aspects, d'abord unifiée au centre, puis se dispersant vers la périphérie : roue intérieur à 4 rayons, celle de pramiti, pure connaissance de soi ; puis roue à 8 rayons, celle du sujet conscient (pramatr) ; plus externe, une roue à 12 rayons, celle des moyens de connaissance (pramana) ou roue des 12 kali associée à des pratiques mystiques, tandis que les deux roues précédentes n'en comportent pas ; enfin la roue extérieure à 16 rayons, celle de l'objet connu (prameya).
La roue de l'objet correspond à la perception ordinaire où le sujet se tient face à l'objet qu'il saisit par la connaissance. Dans la roue de la connaissance, le sujet et sa connaissance demeurent seuls en présence. Avec la roue du sujet, objet et moyens de connaissance disparaissent, engloutis par lui, et seul subsiste le pur sujet doué de conscience de soi (pramiti). Avec la roue de pramiti, le sujet s'abîme dans le suprême Sujet conscient qui renferme, bien épanouis, les trois aspects de la connaissance, trait qu'il partage avec le cercle de l'objet à la différence que ce Sujet a une parfaite conscience de soi et connaît toutes choses dans leur véritable perspective. Énergie éparpillée à la superficie, ou énergie ramassée au centre, c'est toujours la même énergie : il suffit à celui qui aspire à l'énergie cosmique de briser ses limites individuelles et d'intensifier ses propres énergies pour que celles-ci recouvrent leur spontanéité et infinité naturelles.