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BLOG COUSIN PASCAL

Celui qui perçoit l'univers comme un amas d'écume en plein océan ambrosiaque de la Conscience,
c'est lui, en vérité, l'unique Siva.

Ksemaraja









Ce grand éther où lune et soleil se dissolvent

le Spandakarika - stances sur la vibration de Vasugupta
Spandapradipika d'Utpalacarya et autres gloses

Traduction de Lilian Silburn ((Éditeur : Institut de civilisation indienne - Diffusion E. de Boccard
11, rue de Médicis Paris 6°).


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Mais ces (émanations particulières), toujours empressées à dissimuler leur propre assise, précipitent ceux dont l'intelligence est mal éveillée dans l'effroyable tourbillon de la transmigration auquel il est si difficile d'échapper.


Mais au non-éveillé (aprabuddha) ces émanations du spanda masquent leur véritable assise, la Conscience, elles le font sombrer dans l'effroyable tourbillon des morts et des renaissances, effroyable car plein d'afflictions.

« De même qu'une jeune garçon devant un pur miroir qu'il trouble par son haleine ne voit plus son image, ainsi l'être inconscient de sa propre nature pollue sa conscience par ses propres pensées dualisantes et n'y perçoit plus son essence. »


Au cours des versets suivants l'auteur indique le moyen de transcender cette ignorance même :

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En conséquence, celui qui est toujours ardent à discerner la Réalité vibrante accède sans délai à la nature innée, même s'il se trouve à l'état de veille.


Celui qui, toujours et en toutes circonstances, est attentif à la vibration, vigilant et ardent à discerner jusque dans l'état de veille sa propre essence, atteint bientôt sa nature intime. Il faut donc se livrer à cette vigilance de la façon suivante en se disant « je suis pure Conscience universelle et ce monde n'est que mon déploiement ».

« Parce qu'il a pleinement reconnu que toute cette glorieuse efficience (vibhava) lui appartient et puisque le Soi est identique au Tout, il jouit d'une puissance souveraine même si continuent à déferler les pensées dualisantes (vikalpa) ».

Selon le Pancaratra : « Quand on perçoit tous les êtres dans son propre Soi et le Soi dans tous les êtres, et quand on le perçoit aussi indépendamment de tous, on est alors libéré de mort et de renaissance. »

On trouve autre part : « (O Seigneur !) Toi, forme unique de la Conscience pure et infinie, Tu es atteint par ces nobles intelligences perpétuellement vigilantes, que ce soit sous l'aspect de sujet ou sous l'aspect d'objet. »


Dans les stances précédentes l'auteur a décrit la nature propre éprouvée jusque dans la veille et que ne perçoivent pas les ignorants. Dans la stance suivante, il montre comment la vibration surgit pour le yogi au cours d'états ordinaires et devient perceptible :

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Au comble de la furie, ou transporté de joie, ou épouvanté et ne sachant plus que faire, ou encore courant à perdre haleine pour sauver sa vie, un yogi atteint le domaine où le spanda est bien établi.


La vibration se révèle clairement dans les états spéciaux, tels la fureur, lorsqu'on est en contact avec un être haï au plus haut point ; en cet état se produit alors une telle expansion des énergies qu'on est précipité dans un tourbillon intériorisé. Il en est ainsi pour la joie, on se réjouit, tout excité à la vue d'un être cher qui apparaît inopinément et, à cet instant, on peut atteindre l'essence de la suprême félicité. Il en va de même de la perplexité de celui qui, ne sachant que faire, accomplit plusieurs choses simultanément, va de l'une à l'autre, ballotté, affolé ; en cet état même on peut parvenir à la certitude. Et aussi, quand on court à perdre haleine à l'appel de sa bien-aimée, en cet état on s'élève à la suprême condition.

A l'occasion de ces états, la vibration propre au Soi s'établit et se révèle en toute évidence.

Il est dit: « Par fureur, on désigne tout état douloureux ; par excitation joyeuse, tout état de bonheur, par que faire, les états liés à la confusion ; quant à la course éperdue, elle porte sur les activités des organes. »

Kallata a défini cet état de vibration auquel on parvient ici comme tutipata, de la durée d'un centième de seconde. Grâce à lui on jouit d'omniscience, de toute-puissance et de souveraineté universelle. Selon l'enseignement des maîtres, il faut le scruter avec grand soin et profond respect. (S.K., I, 7).

Ramakantha commente ainsi : ces états sont pour l'éveillé (prabuddha) le moyen de s'emparer d'un spanda bien établi s'ils conduisent à la reprise de conscience de Soi mais non s'ils entraînent des expériences qui ne sont que peines et afflictions (p. 74, fin).

Ramakantha (II, 7-8, pp. 73-74) s'étend sur la prise de conscience ou la concentration portant sur le premier mouvement de la volonté, instant éternel, en toutes les activités : s'il parle, le yogi reste alors attentif à chaque mot prononcé, s'il court, à chaque mouvement de ses pieds, il reste attentif aux mouvements de ses doigts quand il se met à jouer de la vina et quand il a le désir de percevoir quelque chose, il se tient dans l'intention même de percevoir, vide de tout vikalpa.

L'être soumis à l'illusion, au contraire, ignore que ces états variés de conscience dépendent du spanda, c'est-à-dire vibrent dans la Conscience comme son mouvement universel identique à sa propre nature.

L'éveillé, lui, reconnaît ces états comme de simples aspects du spanda, la vibrante Conscience. Au moment où il éprouve le désir de percevoir quelque chose, il tourne sa pensée indifférenciée vers le déploiement (unmesa) de la Conscience, à l'instant initial de la vision, car à ce moment, celui qui connaît le champ, perçoit l'identité de ce qu'il veut percevoir et de sa propre conscience, comme fait le Soi suprême (paramatman) qui perçoit toutes les choses du monde entier comme non différentes de Lui.


Dans trois autres stances l'auteur traite du moyen apte à faire surgir cette vibrante Réalité.

23 - 25
Ayant fermement pris pour appui ce spanda, on s'y établit, résolu à faire nécessairement tout ce qu'il dictera. Y prenant repos, le souffle inspiré et le souffle expiré (soma et surya) ayant quitté le domaine de l'œuf de Brahma (le monde) s'absorbent dans la voie médiane selon un cheminement ascendant. Alors en ce grand éther où lune et soleil se dissolvent, le yogi à l'esprit confus tombe dans une sorte de sommeil sans rêve tandis que l'éveillé n'a plus aucun voile.


Prenant entière possession de ce vibrant état, le yogi s'y établit de façon inébranlable, bien résolu à faire nécessairement tout ce que le spanda lui dictera.

Ayant de fermes assises en cet état, les deux souffles soma et surya, lune et soleil (inspiration et expiration), se dissolvent dans la voie de la suprême énergie, la voie du milieu (madhyamanadi, susumna ou visuvat), par un cheminement ascendant. Comment ? Après avoir quitté le brahmanda, l'œuf de Brahma, domaine de l'identification au corps, les deux souffles se dissolvent alors en ce grand éther de la Conscience (paracidakasa) et l'éveillé n'a plus aucun voile, n'a plus aucune entrave.

Le yogi qui s'installe en pleine intériorité est décidé à demeurer vigilant afin de suivre l'impulsion subtile et profonde du spanda au lieu d'obéir à celle de sa volonté propre. Il faut donc y voir un abandon complet grâce auquel le spanda opère spontanément, la seule vigilance étant ici requise. C'est un état très élevé que l'on ne peut imaginer car il transcende l'énergie samana et se trouve au niveau suprême de mahavyoma ou unmana.

Les souffles inspiré et expiré ainsi que toute la dualité qu'ils entraînent, ont percé le brahmarandhra, fente du brahman, au sommet du crâne, avant de s'évanouir dans le grand éther cosmique, sous forme de l'énergie dressée, en son universalité, l'urdhvakundalini.

Tandis que le bien-éveillé demeure sans défaillance en pleine conscience au moment où les deux souffles s'absorbent dans l'éther infini, le yogi qui manque de vigilance et d'acuité spirituelle, non pleinement éveillé, dont la conscience reste quelque peu confuse (mudha) sombre dans un état proche du sommeil profond.