CRÉATIONS
Parce qu'elle est par nature prise de conscience globale de Soi, la Conscience possède comme telle une résonance spontanée (dhvani) perpétuellement jaillissante, dite Grand Cœur suprême.
Cette prise de conscience qui réside dans le Cœur où l'univers a fondu sans laisser le moindre résidu est présente au début de la saisie des choses et à la fin. Les traités sivaïtes la désignent sous le nom de vibration générique et c'est un essor en soi-même. Ce spanda est un léger ébranlement en soi, un étincellement ne dépendant de rien.
C'est une vague dans l'océan conscient et la conscience ne peut être sans vague.
Ainsi, cette prise de conscience est la moelle vitale de l'ensemble des choses car l'univers insensible a pour moelle la Conscience suprême — fondement dont il dépend — et cette Conscience elle-même a le Grand Cœur pour moelle.
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D'abord simple frémissement imperceptible au sein de la suprême Conscience, la vibration s'étend à partir du Centre - le Cœur universel - en
ondes de plus en plus étendues à travers des domaines de plus en plus déterminés jusqu'à celui de l'objet connaissable. Se ralentissant dans le
temps et dans l'espace, la vibration aboutit à la matière inconsciente.
Essentiellement indifférenciée et universelle à l'origine, elle se relâche et apparaît peu à peu comme différenciée et particulière.
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Samkara, Seigneur, Conscience au-delà de l'infini.
Ce Seigneur (Samkara), source du glorieux déploiement de la Roue des énergies, Lui qui en ouvrant et en fermant les yeux fait disparaître
et apparaître l'univers.
Ouverture des yeux et pure énergie
le Seigneur est omnipotent, omniscient, parfait, éternel et illimité.
Fermeture des yeux
par sa libre volonté, il voile ses qualités et les fait apparaître comme des énergies limitantes et limitées, les cuirasses qui entravent et
obscurcissent l'individu. L'énergie omnipotente devient une activité limité, l'omniscience, une connaissance finie, la plénitude, un désir
circonscrit à des objets particuliers, l'éternité revêt l'aspect du temps avec sa succession; enfin l'infinité celui de la détermination.
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pure énergie
Shiva-tattva : l'aspect prédominent de puissance est ici Conscience (cit), puis Shakti-tattva : l'aspect principal est ici béatitude (ananda), le troisième Sadashiva-tattva est l'étape où l'expérience de l'être commence (sat), ici la puissance de la volonté-désir (iccha) prédomine, à l'étape suivante c'est Ishvara-tattva : la puissance de la connaissance (jnana) est en évidence et à l'étape finale shuddhavidya-tattva c'est la puissance de l'action (kriya) qui agit comme influence dominante ...Ces cinq étapes ou catégories représentent la différenciation progressive dans l'Expérience pure, qui, ultérieurement, sert de base à l'évolution de l'univers pluraliste. Tout d'abord, il y a seulement l'expérience sans distinction. En celle-ci, la condition de distinction est introduite par Shakti. Quand nous atteignons le Sadashiva-tattva, l'expérience de la forme : Je suis cela survient, avec l'accent sur Je. Au niveau suivant de l'Ishvara-tattva, l'accent est mis sur le cela : Cela, je le suis. Afin que l'univers des esprits et des objets puisse surgir, il devrait y avoir un équilibre entre cela et je. C'est ce qui est obtenu à l'étape de shuddhavidya. Ici, dans l'expérience Je suis cela, les deux parviennent à égalité. C'est dans une telle expérience qu'il y a activité et mouvement de la pensée.
Jusqu'à Shuddhavidya, ce que nous avons est seulement une création idéale. C'est seulement après cela, et avec Maya, que commence la création réelle, la création qui est appelée impure. Maya, qui est la première des trente-et-une catégories de la création impure, est la puissance d'obscurcissement. Elle obscurcit l'esprit infini et rend possible l'apparition d'une pluralité d'âmes et de choses....
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Semblables au jus de la canne à sucre qui se solidifie peu à peu (sans perdre) sa saveur sucrée, les cinq éléments ne perdent pas la douceur de la lumière sivaïte
Nous venons d'assister à la fragmentation et à l'éparpillement de la Conscience suprême, d'abord transparente à elle-même et parfaitement consciente de soi en sivatattva, puis de plus en plus opaque, épaissie et déformée jusqu'au stade inférieur des cinq grands éléments (mahabhuta) : éther, air, feu, eau et terre, apparemment privés de conscience. Pourtant, en dépit de leur matérialité, ces éléments restent imprégnés de la lumière consciente dont ils procèdent, conservant la saveur unique, la béatitude de l'universel Sujet conscient, Paramasiva.
En haut, en bas lumière et joie demeurent les mêmes : la force latente dans le germe le plus petit est aussi grande qu'en Siva; à la seule différence qu'en sivatattva l'énergie est comme endormie dans la Conscience ou Siva tandis qu'au stade final c'est lui qui semble assoupi en elle. A l'origine l'arbre entier -énergie divine manifestée- est contenu latent en Siva sous forme de graine, Siva étant seul révélé; mais à la fin de l'émanation, Siva devient latent en sakti, celle-ci se dévoilant clairement, à la manière néanmoins, d'une puissance aveugle.
Somananda (un des fondateurs du sivaïsme non dualiste) trace brièvement dans sa Sivadrsti le processus de solidification et d'obscurcissement croissants au cours duquel Siva se limite et perd sa liberté native : « apparaissant tantôt sous forme de pure énergie s'il met l'accent sur sa volonté, tantôt comme sadasiva si l'énergie cognitive prédomine et comme Isvaratattva si c'est l'activité. Puis sa conscience continuant à se solidifier, il se nomme suddhavidya; s'il lui plaît de cacher, en manière de jeu, son propre Soi, il revêt l'aspect de l'illusion (maya). S'exerçant ainsi, il assume la forme des trente-six catégories jusqu'à la terre, inconsciente, matière inerte, compacte et résistante. »
Pourtant, à travers ces étapes variées, la Lumière du cœur reste toujours présente, conservant sa douceur comme un sirop en se cristallisant garde sa saveur sucrée : « Tout comme jus, sirop, sucre candi, mélasse, fragments de sucre sont également le jus de canne à sucre, ainsi les divers états appartiennent tous à Siva », disait également Abhinavagupta. Et dans un autre passage : « En chaque catégorie réside la forme des trente-six autres » .
Tout est en tout, car tout est Siva : « La nature Sivaïte demeure identique en toute chose. Si l'on y distingue des états supérieurs, inférieurs, c'est à l'intention des gens imbus de convictions erronées » . Privés de la certitude qui accompagne la vision mystique, intuitive et globale, ces hommes forgent arbitrairement des contrastes : pur-impur, bien-mal, alors que la même puissance divine et la même Conscience infinie se rencontrent partout et indifféremment dans la matière et dans la pensée, dans le pur et dans l'impur.
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Chronologie.
Apparition des sujets conscients limités, simple reflet de l'universelle conscience.
Les animaux, les plantes puis les humains.
Sur la terre les humains au cours des siècles se sont multipliés pour peupler progressivement toute la surface du globe.
De moins de 200 millions au premier siècle après Jésus Christ la population mondiale est estimée à 6 milliards d'individus aujourd'hui.
chacun le sait, l’homme est un prédateur. Mais son intelligence et ses capacités à maîtriser son environnement lui donnent des possibilités de destruction très importantes et l’espèce humaine croît de façon exponentielle à la manière d'une puissance aveugle.
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Obscurcissement des 5 énergies
(conscience, félicité, volonté-désir, connaissance et activité)
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Obscurcissement de l'énergie d'activité
chasseur-cueilleur
La chasse et la cueillette sont les premiers modes de subsistance de l'Homme. Ces activités sont directement héritées du monde animal, en particulier celui des primates. Elles consistent à prélever sur la nature ce qu'elle fournit spontanément. Elles précèdent l'élevage et l'agriculture et peuvent forcer au nomadisme, si les troupeaux qui fournissent la subsistance principale se déplacent ou si les ressources du terroir sont épuisées. L'homme a donc été un chasseur-cueilleur jusqu'à la révolution néolithique. La chasse et la cueillette furent les modes exclusifs d'appropriation de la nature durant la majeure partie de l'histoire de l'humanité. Les modes sociaux des chasseurs-cueilleurs se heurtent violemment depuis l'invention de l'agriculture, il y a 10 000 ans, aux sociétés pastorales ou agricoles. Perçus comme des parasites, ils disparaissent la plupart du temps ou sont refoulés sur des terres ingrates. La colonisation et l'industrialisation poursuivent ce processus.
Civilisations agricoles
Avec l'apparition de la sédentarité et de l'élevage, l'importance de la chasse en tant que moyen de subsistance diminua pour une grande partie des populations. Déjà dans certaines cultures antiques, la chasse n'était plus considérée que comme un passe-temps. De plus en plus, elle ne fut souvent pratiquée que par une petite partie de la population.
On chassa aussi les animaux qui s'attaquent aux récoltes et aux animaux d'élevages. C'est le début de l'apparition du concept d'animal nuisible et d'une destruction systématique des prédateurs.
Civilisation du type industrielle occidentale
La nature est entièrement modifiée par l'agriculture et les zones urbaines. Les équilibres écologiques naturels sont complètement détruits et l'homme intervient sans cesse pour essayer de contrôler le chaos écologique qu'il a créé. Ses interventions alimentant encore plus les crises systémiques des écosystèmes. Le concept d'animal nuisible envahi la conscience collective et tous les animaux sauvages deviennent potentiellement nuisibles.
On en vient à systématiquement tuer toute forme de vie, plante ou animale, rurale ou urbaine, si elle ne rentre pas dans les clous de la société matérialiste et utilitaire. Une civilisation tuant à grande échelle est née.
C'est l'enfer anthropique.
Le contrôle aveugle des éléments matériels grossiers toujours plus important fait se répandre dans l'espace terrestre soit des molécules nouvelles, soit des molécules qui rares à l'origine sont maintenant démultipliées. Empoisonnement des êtres vivants par les résidus sous forme de traces des molécules biocides. Captation des énergies grossières matérielles et pollutions résultantes.
Création d'un univers machiniste et électronique coupé des anciens espaces dits naturels. Disparition des animaux sauvages systématiquement tués. D'énormes quantités d'animaux sont élevés pour être mangés, niant leur être en soi, animal-machine, ressource, camps de torture. L'humain devient une simple ressource, comme l'animal-machine, dans une course à la puissance que se font quelques individus pour contrôler la sphère des esclaves-consommateurs. Des guerres gigantesques avec d'innombrables morts apparaissent entre groupes d'individus.
Civilisation en devenir
Le monde n'étant que la Conscience figée, eau devenue glacée, devient une tyrannie technologique où règnent les automates contrôlés par un petit nombre d'individus qui cherchent à échapper à l'autre forcément dangereux. On observe une montée irrésistible de l'esclavagisme technologique basé sur un hypercapitalisme. Un monde sans liberté et sans espoir.
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Obscurcissement de l'énergie de connaissance
Connaissance limitée à double pôle sujet objet. L'objet est vu et défini par négation : il n'est ni ceci, ni cela, donc il est telle chose. C'est l'énergie de connaissance qui nie et exclue sans cesse.
Apparition d'une connaissance appréhendant un monde extérieur animé et inanimé opposé au monde intérieur individuel.
Chez les chasseurs-cueilleurs la pensée magique (où le monde intérieur prédomine) est prépondérante face à un pragmatisme matérialiste. C'est l'animisme et le polythéisme.
La nature est régie par des âmes, des esprits ou des dieux, analogues à la volonté humaine, les pierres, le vent, les animaux. Le monde est magique, les animaux et les hommes peuvent être des messagers des esprits ou des dieux.
A l'apparition des civilisations agricoles l'opposition intérieur/extérieur, spirituel/matériel génère de multiples croyances, théories métaphysiques. Les principales théories métaphysiques naissent à cette époque en Asie et en Grèce. Les techniques mécaniques se diversifient pour contrôler le monde extérieur. Une lutte de plusieurs siècles s'observe entre les principales religions constituées (donc politisées) et les croyances spirituelles émergentes. Le matérialisme scientifique et technique prend de plus en plus de force pour finir par abattre idéologiquement les principaux courants spirituels en occident.
La civilisation de type industrielle occidentale finie par conquérir toute la planète et uniformiser les cultures. La techno-science mène le bal, c'est maintenant le cerveau qui réfléchit et nom Dieu, l'âme, Bhrama, la vacuité, etc. C'est le matérialisme nihiliste flamboyant : Il n'existe qu'un monde de forces, de particules et d'ondes. Tout peut s'expliquer par des lois immuables auxquelles ces forces aveugles et non conscientes obéissent. La vie et les êtres vivants ne sont qu'un épiphénomène, une complexification des forces naturelles.
Selon cette croyance, c'est les organes qui fabriquent les émotions, la pensée, etc.
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Obscurcissement de l'énergie de volonté
L'acte indifférencié purement intérieur se manifeste en trois temps à mesure que la liberté se restreint : l'énergie icchã, qui à l'origine n'était que pur acquiescement à la plénitude, devient désir défini ; la connaissance (jnãna) pure lumière consciente (prakãsa) - sa propre révélation - apparaît comme une connaissance distincte en sujet-objet ; l'activité (kriyã), de simple ébranlement ou essor en soi-même dans la plénitude du Je absolu, se manifeste désormais en mouvements dispersés, extériorisés avec, pour aboutissement, l'action asservissante.
Ces énergie ont chacune un domaine privilégié au fur et à mesure que l'on s'éloigne du Centre : le domaine du pur sujet pour la volonté, celui de la connaissance pour l'énergie cognitive, le champ de l'objet ou des choses perceptives pour l'activité.
En cet ultime domaine, à la périphérie de la roue des énergies, sous l'influence du désir tourné vers l'extérieur, le Je se limite en preneur (grãhaka), sa pure connaissance devient com-préhension (grahana) tandis que la chose n'est plus que prise (grãhya), objet construit par le désir en vue d'une fin utile.
Ainsi surgit la triple impureté : de finitude, d'illusion et d'action qui fragmente d'abord puis obscurcit et finalement circonscrit l'unique spanda. La vie se trouve alors cristallisée autour d'un moi, simple atome (anu) de conscience. Coupée de la Réalité vibrante, la Conscience unique (cit) est réduite à l'état d'une conscience discursive (citta) dans laquelle la vibration originelle est devenue la lâche oscillation du vikalpa, pensée à double pôle liée au multiple.
Civilisations
Il y eut l'esprit de la tribu, le culte des anciens et des mânes, le sacré était respecté et la volonté humaine tentait de s'y plier. Les femmes officiaient comme grande prêtresse de l'absolu et détenaient le savoir mystique. Puis les civilisations guerrières apparurent avec la prise de pouvoir des hommes. Culture martiale de l'honneur et sacrifice. Survint les grandes religions masculines et politiques qui tentaient de lutter contre l'asservissement de l'ego. La techno-science et le siècle des lumières détruisirent les grandes religions pour ne laisser que l'esprit de groupe de la nation, exploité pendant les grandes guerres. Puis survint l'homme consommateur. Toujours plus de bien, courant après le désir à travers des objets étincelants vendus par les marchands d'illusion. Destruction des structures familiales, des nations, culte de la personnalité et des plaisirs mondains (principalement l'argent et le sexe), le monde devenu une marchandise et un sexe pour aboutir à une frustration perpétuelle et sans fin.
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Obscurcissement des énergies de conscience et félicité
La grande béatitude devient frustration et souffrance perpétuelle.
La Conscience infinie un individu esclave, asservi et impermanent.
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Abhinavagupta - stance d'introduction à la Pratyabhijnavimarsini
Je m'incline devant la non-dualité absolue, totale identité de Paramasiva et de l'énergie qui d'abord révèle, hors de la plénitude sans désir, le Je qui s'exprime à soi-même, puis a le désir de scinder son propre pouvoir en deux branches : Je et cela. Alors à partir de l'Essence ultime, il s'adonne au jeu de unmesa-nimesa : s'il déploie l'univers, il cache son essence et s'il révèle son essence, l'univers disparaît.
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Et pourtant tout n'est que grande perfection et pureté primordiale. L'Infini émerge de lui et existe en lui en tant qu'Infini. Le monde n'a jamais réellement été créé. Il est identique à l'Infini dont il provient.
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