On tend à se convaincre de remplir de conscience et le moi et les choses. Intensifié, ce svavikalpa mène à la disparition de toute pensée dualisante (nirvikalpa); la personne, corps et pensée, est alors remplie de conscience, c'est ce que l'on nomme dehavyapti.

On appronfondit cette prise de conscience dont on recouvre les états avec ou sans pensée dualisante et l'énergie subjective (ahenta) prend le pas sur l'énergie objective (identa); dès que la différenciation a presque complètement disparu, le Je intériorisé est pénétré de conscience : c'est ce qu'on appelle atmavyapti.

Il faut alors de nouveau s'enraciner, établi fermement en une mise à l'unisson (samapatti) d'ordre cosmique en laquelle se trouve fondus le samadhi yeux fermés et le samadhi yeux ouverts. C'est elle qui permet de parvenir définitivement à la Conscience universelle de Bhairava, étape ultime dite de sivavyapti.

D'où l'indicible émerveillement qu'éprouve un jnanin quand il contemple au coeur de la vie mystique l'univers qui resplendit dans la Conscience; lui, l'univers et Siva ne sont que Conscience.

La diversité et l'unité (de nos impressions) seraient inexplicables si l'on n'admettait que tout repose à l'intérieur du Seigneur nommé Siva, qui lui-même repose en nos coeurs, unifiant et séparant librement connaissance et moyens de connaissance - Utpaladeva.


Les diverses facultés humaines doivent se retirer dans l'intime du Coeur afin d'y déceler le Seigneur. Là règne la paix, tout vikalpa y prenant nécessairement fin. En effet, tant que subsiste le coeur limité, individuel, on ne connaît pas le Coeur universel. Mais dès que celui-là se dissout dans le Coeur cosmique, alors se révèle le Coeur divin, centre même de l'univers d'où le monde entier procède et où il se résorbe, source de toute vibration consciente, domaine de Siva.

C'est pourquoi Abhinavagupta salue Siva qui dans le cercle de son propre Coeur, manifeste de façon déterminée la variétés des sujets limités tout en conservant, indivise, sa nature essentielle.

Le Coeur est la libre Conscience de Soi en sa forme suprême (paravimarsa), la Parole intérieure éminente (paravak), l'énergie consciente.

Quand le Je absolu, aham, s'affirme en son acte, sa liberté est totale, son efficience toujours présente revêt l'aspect d'un jeu puisque rien ne l'asservit. Ce jeu consiste en deux mouvements opposés : éveil et assoupissement, systole et diastole, lorsque la vibration de la Conscience s'exprime par le rythme incessant de l'épanouissement et de la contraction propre au Coeur vibrant de toute réalité.