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BLOG COUSIN PASCAL

Celui qui perçoit l'univers comme un amas d'écume en plein océan ambrosiaque de la Conscience,
c'est lui, en vérité, l'unique Siva.

Ksemaraja














LES CINQ ÉTATS DE LA CONSCIENCE

ANALYSE DES SIVASUTRA ET DE LEUR COMMENTAIRE - Lilian Silburn

voir ici les sivasutra



SUTRA 7-10

7 - JUSQUE DANS LES ÉTATS DIFFÉRENCIÉS DE VEILLE, DE RÊVE ET DE PROFOND SOMMEIL SE PRODUIT L'EXPANSION DU QUATRIÈME.

8-10 - LA VEILLE CONSISTE EN CONNAISSANCE, LE RÊVE EN PENSÉE DUALISANTE ET LE SOMMEIL PROFOND EN ABSENCE DE DISCRIMINATION OU EN ILLUSION.



ANALYSE


Lorsque toute la différenciation se résorbe, l'être illuminé voit avec émerveillement le Quatrième état se répandre spontanément sur les trois autres sans que subsiste la moindre différence entre ce ravissement et les activités ordinaires. La jouissance qu'il éprouve alors est une béatitude universelle qu'il confère sans effort à ceux qui l'entourent, à l'instar de la lune irradiant sa lumière dans les ténèbres. Dès que ces états différenciés sont remplis de la félicité à saveur unique du Quatrième, cet état qui a envahi les trois autres, et donc la totalité de la Conscience, n'est pas aboli pour autant, mais il n'existe plus sous forme d'état distinct dont on puisse parler.

La plénitude de la conscience du jnânin est suggérée simplement en sanskrit par l'expression turyatita ' au-delà du Quatrième '. Une seule réalité demeure, le Soi universel immuable et indescriptible puisque indifférencié et c'est là le sens ultime du terme samâdhi.

Par opposition à la pénétration dans la Réalité au cours de laquelle se révèlent conscience de soi et liberté plénières, les états de veille, de rêve et de sommeil profond relèvent de l'être transmigrant dont le Je (ahantâ ou subjectivité) se trouve recouvert par l'objectivité (idantâ).

Ces états comprennent à eux trois tous les états psychiques qu'un homme ordinaire peut éprouver :

— Jâgrat concerne l'objectivité au niveau du cognoscible (prameya) ; sujet connaissant, connaissance et connu (ce dernier comportant univers, corps, organes) y sont perçus comme extérieurs au sujet. Avec la veille, la perception des objets par les organes est commune à d'autres sujets ; elle est en outre distincte, évidente et stable. Tout ce qui remplit cette condition mérite donc d'être ainsi nommé.

— Svapna, rêve, est spécifique au seul rêveur et indépendant du monde externe. Consistant en prise de conscience ou certitude mentale (âmarsa), il est clair mais instable et illusoire ; il apparaît comme ' l'ombre du cognoscible '. Ce terme couvre un vaste champ d'expérience qui s'étend entre l'activité vigilante de la veille et l'inconscience du profond sommeil. Domaine de l'introspection, de la rêverie, des réminiscences, des jeux de l'imagination, des sentiments, de l'ensemble des représentations propres à la seule pensée (manas), on situe svapna au niveau de la connaissance en tant que moyen (pramâna). Uniquement intérieur, il ne dépend nullement d'une activité dirigée vers le champ objectif en vue d'une fin pratique (arthakriyâkâritva).
Notons que même dans la vie ordinaire il arrive qu'il n'y ait aucune différence entre l'état de rêve et celui où le cognoscible se réduit à une construction mentale (vikalpa),

— Susupti, ' sommeil profond ', est propre au pramâtr car seul y subsiste l'état de sujet en tant que germe des autres états et associé uniquement aux tendances obscures ou résidus des choses. Germe, absence de perception et silence le caractérisent. Susupti est le parfait repos du Soi dans le vide — s'il n'y a rien de distinct — ou dans le souffle vital (prâna) — s'il demeure encore une impression de plaisir ou de douleur. Son silence (tûsnïm) s'étend jusqu'au sujet même. Il désigne donc tout état où l'on perd conscience de la Réalité aussi bien interne qu'externe. Il fait partie de l'illusion (maya), source d'inconscience.

— Turya. Ces trois états doivent être abandonnés au profit du Quatrième ; ils n'ont en effet d'autre but que de conduire à lui. Pour ce faire, chacun d'eux doit pénétrer dans le suivant : le cognoscible dans les instruments de la connaissance, ceux-ci dans le sujet connaissant et ce dernier, en vue de recouvrer la plénitude, s'immerge en pramiti, la pure intuition ou Connaissance définitive qui se confond avec le Quatrième état, vie des trois autres. Au terme de cette pénétration les trois états qui subsument toutes les formes d'existence, reposent donc en pramiti. Mais dans cette ultime Connaissance en laquelle on se détourne des choses dès qu'elles sont connues, celles-ci ne sont plus silencieuses comme dans le sommeil profond et l'on transcende l'état d'indifférence (audâsïnya).
Pure Connaissance, subjectivité sous forme de liberté, indépendante de toute voie d'accès, telle est la lumière consciente, ce Quatrième état qui brille de son propre éclat et subsiste à travers tous les états comme le fil qui les relie entre eux bien que l'on n'en ait pas conscience ; mais quand il s'oriente vers la plénitude en pénétrant dans l'énergie divine, il se manifeste comme la conscience du Je chez le grand yogin qui jamais ne s'assoupit.

— Turyatita ' par-delà le Quatrième ' est le royaume suprême de la Conscience, plénier, ininterrompu, essence merveilleuse, débordante de béatitude. En raison de sa plénitude il ne peut y avoir en lui de différenciation, et toute parole à son sujet se montre superflue.

Si en turya et en turyatita l'illumination est parfaite, contrairement à ce dernier, le Quatrième état n'est pas exempt de conditions limitantes tels le corps, le souffle, ni d'une certaine progression aussi longtemps qu'il n'a pas imprégné les trois autres états.

En outre une fine analyse décèle que chacun des quatre états peut contenir chacun des autres en des alliances riches de sens qui caractérisent états ordinaires et états mystiques.

Le jeu de ces rubriques combinées offre un tableau complet de la psychologie et de la mystique du Trika, dont la simplicité n'a d'égale que la subtilité, et ce, grâce à la définition des termes que nous venons de voir, c'est-à-dire à la corrélation établie entre un état de conscience, d'une part, et son champ ou niveau de réalité, d'autre part. Il faut donc garder cette corrélation présente à l'esprit. Un tableau permettra de la saisir d'un coup d'œil :

    Veille
Objet
  Rêve
connaissance
  Sommeil profond
sujet
  Quatrième
pramiti
Veille   Objet connu   Connaissance claire   Les samskara
du sujet subsistent
  Proximité du 4°
Rêve   connaissance   Connaissance
dispersée
  Ils s'enfouissent   Adhésion au 4°
Sommeil
profond
  sujet   Connaissance
rétractée
  Ils se
résorbent
  identité au 4 °
Quatrième
état
  pramiti   Sujet lucide
sans objet
  Saveur du Je,
bonheur
   


Horizontalement on voit les quatre niveaux de la réalité qui correspondent aux quatre étapes de la réalisation mystique, et verticalement, une résorption de plus en plus grande de chacun de ces niveaux jusqu'à ce que sa disparition dégage le niveau suivant.



État de veille et objectivité (prameya)


Sur fond de veille référant au cognoscible se déroulent les quatre états, eux-mêmes en corrélation avec leurs domaines respectifs, de sorte qu'une double lecture est possible, la résorption de l'objectivité se doublant du tableau général de la progression mystique analogue à la première lecture horizontale.

Jâgrat-jâgrat, veille dans la veille : quand, à l'état de veille, on s'absorbe dans une chose objective, une tache blanche par exemple, on a, du point de vue du yoga, l'état de non-éveillé dans le domaine du cognoscible (abuddha du prameya).

Jâgrat-svapna, rêve dans la veille : si l'on approfondit l'impression de blanc on a la connaissance de la tache blanche, sorte de rêve qui, pour le yogin, est un état d'éveillé relevant surtout de la connaissance instrumentale (buddha du pramâna).

Jâgrat-susupti, sommeil profond dans la veille : Quittant cette connaissance où subsiste encore la relation sujet-objet, on atteint l'état où prédomine le sujet connaissant : ' je perçois (la tache blanche) ', ce que le yogin appelle état de bien éveillé (prabuddha propre au pramâtr).

Jâgrat-turya, le Quatrième état dans la veille : on parvient au fruit de cette connaissance et à la vigilance du Quatrième état quand on se dit ' c'est du blanc, je l'ai vu ', et qu'on s'en détourne. Pour un yogin l'état de connaissance résultante est propre au parfaitement éveillé (suprabuddha du pramiti).


En un raccourci saisissant on découvre ici comment la perception de l'objet au sein de la veille renforcée par la veille relève de l'ignorance propre à la perception dualisante de l'homme ordinaire qui cesse d'être un ignorant en s'éveillant grâce au ' rêve ' : Ce terme s'applique dans ce contexte à la connaissance encore liée à la dualité sujet-objet ; on comprend comment on devient ensuite un sujet éveillé grâce au sommeil profond qui cache l'objet et la connaissance qu'on en a eue ; et on découvre comment enfin, à partir de là, le Quatrième se révèle. L'homme ordinaire nomme la veille ' jâgrat '. Le yogin qui s'exerce au samâdhi nomme ces états en relation avec l'objectivité. ' massifs ' (pindastha) du fait que l'ensemble des choses est contenu en une seule — la tache blanche dans l'exemple choisi. Avec le rêve dans la veille, le yogin se concentre sur la connaissance instrumentale. Avec le Quatrième dans la veille, il la délaisse pour atteindre le Quatrième état ; mais parvenu au Quatrième, il ne dépasse pas l'étape d'inhérence au Soi (âtmavyâpti). Par contre le jnânin doué de connaissance plénière parvient à l'inhérence divine (sivavyâpti). Il qualifie la veille d'universellement auspicieuse (sarvabhadra). A mesure que resplendit à ses yeux la Réalité consciente, il voit toutes choses débordant d'une existence glorieuse et universelle. La différence entre veille et sommeil a disparu.



État de rêve et moyen de connaissance (pramâna)


Sur le fond de rêve (svapna) les quatre états entraînent la résorption de la connaissance et dégagent finalement le sujet.

Svapna-jâgrat, la veille dans le rêve, est techniquement appelée ' va-et-vient ' (gatâgala) car l'inspiration et l'expiration s'y manifestent ; représentations, images, songes, hallucinations apparaissent très clairement.

Svapna-svapna ; avec le rêve dans le rêve, ce qui est intérieurement perçu est moins clair et le sujet sait que ses images sont purement subjectives. On nomme cet état très dispersé (suksipta) du fait que la pensée ne peut s'y concentrer. Le rêve est donc confus.

Svapna-susupti, sommeil profond dans le rêve : Cet état est appelé ' rétracté ' ou consistant (samgata). Le rêveur jouit d'un sommeil paisible dont les rêves ne manquent pas de cohérence comme dans l'état très dispersé qui précède.

Svapna-turya, avec le Quatrième état dans le rêve, le rêveur est parfaitement recueilli (susamâhila).


Ainsi à mesure qu'il avance au long de ces étapes propres au rêve, les représentations vont passer de la clarté à la dispersion puis à la rétraction laquelle permettra, avec l'instauration du Quatrième état à l'intérieur du rêve, un état très attentif de pure lucidité et, semble-t-il, de conscience de soi où le rêveur sait qu'il rêve, état qui annonce celui de pur Sujet conscient. L'homme ordinaire appelle cet état svapna, rêve, ou svâpa, songe. Le yogin le désigne par l'expression ' padastha ' car pour lui qui ' chemine ' (pada) à travers les quatre phases ici décrites, gravissant le chemin fait de souffle vital et de conception bien unis, l'univers ' réside ' (stha) uniquement dans la conception (samkalpa) qu'il en a. Quant au jnânin pour lequel le rêve est une connaissance qui, participant à la liberté, se joue du cognoscible sans référence à l'extériorité, il le nomme vyâpti, inhérence de son être à toutes les phases du rêve.



Profond sommeil et sujet connaissant (pramâtr)


Le sujet est inactif, indifférent à tout dans le profond sommeil sans rêve (susupti) mais comme ce sommeil contient l'univers en germe, on peut dire qu'en lui tout réside.

Sur ce fond de sommeil profond ce qu'il faut résorber du sujet, ce sont les tendances ou traces résiduelles (samskàra) du cognoscible et de la connaissance qui demeurent encore cachées en lui.

Susupti-jâgrat, avec la veille dans le profond sommeil, les tendances sont encore surgissantes (udita), d'où le nom donné à cet état.

Susupti-svapna, avec le rêve dans ce sommeil, les traces résiduelles sont plus ' abondantes ' ou accrues d'où le nom de vipula, abondant, qu'on lui donne. Dans ces deux derniers états ne subsiste que la conscience d'exister.

Susupti-susupti, le sommeil profond dans le sommeil profond est dit ' apaisé ' (sânta) car les tendances résiduelles ont disparu et on a l'impression d'être soi-même dissout.

Susupti-turya, le Quatrième état dans le sommeil profond est qualifié de très apaisé (suprasanna). Le sujet s'oriente vers la saveur du Je et, au réveil, garde conscience du bonheur éprouvé durant ce profond sommeil. Cette paix préfigure pramiti, la pure intuition délivrée des contingences.


Nommé susupti par l'homme ordinaire, ce sommeil est dit ' rûpastha ' par le yogin qui se ' tient ferme dans l'essence (râpa) ', celle du Sujet connaissant. En cet état, les choses sont inactives et le sujet indifférent à leur égard. Le jnânin appelle ' grande inhérence ' (mahâvyâpti) ce sommeil que ne restreint nullement le cognoscible, ou ' diffusion omnipénétrante ' puisqu'il remplit toutes les choses, aussi innombrables soient-elles. Les deux termes extrêmes de cette progression sont donc l'objet connu ou monde objectif (au niveau de jâgrat) et mahâvyâpti. Le Quatrième aura pour mission de combler la distance qui les sépare.



Quatrième état et la connaissance résultante (pramiti)


C'est de la grâce du Quatrième état que procèdent sujet, connaissance et connu. En sens inverse la pénétration dans la conscience qui suit une progression allant de la proximité à l'adhésion puis à l'identité, définit les trois phases du Quatrième état :

Turya-jâgrat : avec la veille dans le Quatrième, l'absorption et le cognoscible restent à proximité l'un de l'autre. On nomme cet état ' au-delà de la pensée ' (manonmana) et donc exempt de construction mentale (nirvikalpa).

Turya-svapna : avec le rêve dans le Quatrième, le moyen de connaissance (pramâna) est imprégné (uparâga) de cette absorption. Comme il n'est pas en relation avec les organes sensoriels, on le qualifie d'infini (ananta) car ni le temps ni l'espace ne le déterminent.

Turya-susupti : avec le sommeil profond dans le Quatrième état, le sujet s'identifie à cette absorption dans la Conscience ultime. Puisque tous les objets y résident en tant qu'énergie universelle on le nomme sarvârtha.

Il n'y a pas de Quatrième dans le Quatrième, celui-ci n'étant que Sujet connaissant et jamais objet de connaissance. L'homme ordinaire ignorant turya le nomme Quatrième. Le yogin qui tend à la plénitude le désigne par l'expression ' au-delà de l'essence ' (rûpâtita), à savoir celle du sujet et de l'objet propre à un yogin en état de profond sommeil où tout repose en silence. Le jnanin le nomme ' accumulation ' ou ' totalité ' (pracaya) car tout l'univers s'y trouve sous forme de pure énergie cosmique.



Turyatita, ' par-delà le Quatrième état '


Ce suprême royaume de la Conscience qui s'étend au-delà du Quatrième n'est pas atteint par la pratique mystique (bhâvanâ) ; le yoga ne peut donc y conduire et le yogin qui n'y a pas accès ignore son nom. Seul l'atteint par la puissance de la parfaite contemplation du Tout (prasamkhyâna) le jnânin qui l'appelle ' grande totalité ' (mahâpracaya) en raison de son incomparable plénitude, car il contient à la fois les énergies objectives et les énergies subjectives.

Comme il est plénitude indifférenciée, les quatre états résident en lui, mais lui ne réside nullement en eux. Dire qu'il est toujours surgissant (satatodita) suggère uniquement son universelle inhérence (sarvavyâpti).

Siva possède également ces quatre modalités de la Conscience : il a pour énergie de Conscience, turyatita ; pour énergie de félicité, le Quatrième ; pour énergie de volonté, le sommeil profond ; pour énergie de connaissance, le rêve et pour énergie d'activité, la veille.



SUTRA 11

11 - CELUI QUI JOUIT DES TROIS états EST LE SOUVERAIN DES HÉROS,



ANALYSE


A partir du présent sûtra le texte traite de turyatita, la Conscience ininterrompue d'un viresa ' souverain des héros ', à savoir de ses énergies sensorielles sur lesquelles il règne en maître. L'épanouissement interne dont il s'agit ici peut être comparé à l'épanouissement externe décrit dans les aphorismes III, 38-39.

Les yeux ouverts, le viresa voit tout en lui-même. Il est souverainement libre, n'étant plus régi par ses organes. En effet, une fois les trois états imprégnés du Quatrième, les tendances à la dualité qui demeuraient latentes en lui s'évanouissent définitivement et, loin d'engendrer la différenciation, ses organes débordant de félicité la résorbent au contraire.

Plus précisément, si le profond sommeil comporte la fusion du sujet et de l'objet ressentie au réveil comme un état de paix, en turyatita cette fusion est vécue en toute conscience, sujet et objet étant simultanément présents, car le viresa a dévoré et parfaitement assimilé l'univers entier.

Il traverse donc de multiples états sans être jamais effleuré de la moindre impureté. On le qualifie de manthanabhairava du fait qu'il ' baratte ' toute chose à l'intérieur de l'unique Conscience et jouit de la richesse qu'est la Réalité bhairavienne, breuvage d'extase qui s'écoule du fusionnement du sujet et de l'objet ainsi barattés.

D'où le chant du Tantra « autonome » (le Svacchanda) sur le thème de son infinie liberté ; libre par essence, libre aussi quant aux moyens — l'union indépendante — et quant à la fin atteinte : le libre Bhairava. Il se promène à son gré dans le Soi, car il ne trouve partout que le Soi ou Bhairava. Il s'absorbe si profondément dans le libre Bhairava qu'il s'identifie à Lui.

Alors la connaissance de la Réalité sera la même dans toutes les modalités de conscience, jamais moindre ni plus grande.

Notons bien qu'il ne suffît pas de s'élever de temps à autre jusqu'au ravissement du Quatrième état, celui-ci doit pénétrer le corps et les organes, autrement dit s'épanouir en turyatita, sinon le yogin demeure le jouet de ses énergies.



SUTRA 12

12 - L'ÉMERVEILLEMENT caractérise LES ÉTAPES DU YOGA



ANALYSE


L'unique signe qui permet de reconnaître ce virendra comme définitivement établi en Paramasiva est l'émerveillement qu'il éprouve, ou sentiment indicible de sa souveraineté.

Ce qui aux étapes inférieures lui arrachait un cri de surprise ravie (camatkâra) se dévoile maintenant comme sa propre nature immuable, d'où son émerveillement (vismaya).

En effet camatkâra et vismaya ne se situent pas au même niveau de la vie mystique : le premier, au stade de pure Science, n'est que la saveur propre au Quatrième état ; le second ressortit à turyatita; c'est le samâdhi dans lequel l'intérieur a pénétré dans l'extérieur et l'extérieur dans l'intérieur, leur harmonie ayant pour expression la kramamudrâsamatâ ; l'émerveillement possède donc une saveur universelle.

Les choses les plus ordinaires paraissent inouïes au yogin qui les contemple en leur essence. Une simple touche de la Conscience suffit pour qu'un son, une couleur lui semblent divins. Le corps entier, les choses perçues, étant imprégnés de pure conscience, en sont transfigurés. Aussi la jouissance spontanée engendrée de la sorte est-elle à tout instant nouvelle.

La roue des énergies qui suscite ces merveilles dont jamais le yogin ne se lasse a pour centre le cœur et pour périphérie les organes sensoriels en contact avec leur champ objectif. Mais ici Ksemarâja préfère l'image d'un lotus qui déploie peu à peu ses pétales et dont l'épanouissement coïncide avec une félicité universelle qui se répand sans arrêt.

Les étapes de yoga qui accompagnent ce déploiement, le précèdent ou le suivent, ne sont que les phases de l'identification à la Réalité ultime. Il ne faut pas les confondre avec des impressions lumineuses (bindu), des goûts et des parfums surnaturels ni avec l'apparition de divinités, ni avec certains pouvoirs surnaturels (siddhi) qui ne sont nullement des signes de progression, dans la voie de siva, mais des phénomènes ressortissant à une voie inférieure.



SUTRA 13 - 14

13 - Sa VOLONTÉ EST L'ÉNERGIE UMÂ, C'EST KUMÂRÏ, LA VIERGE.
Énergie suprême, ardente, sans attachement, elle n'est jamais objet mais toujours sujet. Le yogin à l'ardente volonté possède un corps universel :

14 - Son CORPS EST le monde PERCEPTIBLE.


Le treizième aphorisme décrit l'efficience provenant de cet émerveillement, car au stade où est parvenu ce roi des yogin, tous ses désirs se réalisent. La source de son énergie que Ksemarâja s'emploie à définir est la volonté (icchâsakti), tremplin d'udyama, saut imprévu qui, en un surpassement de soi, mène à la conquête de la liberté.