BHAIRAVA
Source : Le Vijnana Bhairava traduit et commenté par Lilian Silburn
129 - Quel que soit l'objet vers lequel la pensée se dirige, il faut à cet instant précis et à l'aide de cette pensée quitter l'objet complètement sans laisser un autre s'installer à sa place. Alors on sera exempt d'ondoiement.
Foulant avec ténacité la voie de l'énergie, le yogi se garde de passer sans trêve d'une chose à une autre comme l'exige une pensée naturellement instable. Dès qu'il laisse un objet dont il a pris connaissance, il ne tend pas spontanément vers le suivant, ou encore il fait refluer ce dernier avant qu'il ne s'établisse dans le champ de la conscience. Cette tâche particulièrement ardue pour qui suit la voie de l'individu se montre facile dans la voie de l'énergie car seule une pensée qui se libère de la dualité est apte à se détacher de l'objet.
Nous savons qu'entre deux impressions qui se succèdent il existe un vide interstitiel ou jonction médiane (madhya) : si l'on y sombre, la pensée, n'oscillant plus entre deux pôles opposés (passé et avenir, ceci et cela), perd toute son agitation et s'identifie à Bhairava. C'est ce que chante la Bhagavadgita : « Par là où sort le sens interne chancelant et instable, par là qu'il le retienne et le ramène à l'ordre dans le Soi ».
130 - (Étymologie fantaisiste de Bhairava) : Au moyen de « bha- », la lumière consciente, tout résonne (rava), « Sarvadah » : il donne toute chose (da = RA), il pénètre dans tout (l'univers) (vyapaka = VA).
Ainsi par la récitation ininterrompue du mot Bhairava, on devient Siva.
D'après le Paratrisikavivarana, le Bhairava a pour nature de porter l'univers et consiste en la résonance de la grande formule AHAM, Je. Le Bhairava manifeste le cosmos en émettant la formule de l'énergie créatrice.
L'étymologie la plus profonde se décompose en bha + ai + rava : Par la lumière de la conscience (bha = prakasa), le grand Seigneur pourvu de l'énergie d'activité (ai) fait résonner toute chose (rava) : bha correspond à l'éclat uniforme de la conscience (samvid), Ai symbolise la très claire énergie d'activité qu'engendrent, en s'unissant, le transcendant (anuttara), la félicité (ananda) et la volonté (iccha). Rava, l'universel retentissement ou vibration de la conscience équivaut à la prise de conscience de soi (vimarsa), ce qui met en branle l'activité linguistique, et ravayati est glosé par vimrsati : il réfléchit toute chose et y réagit dans la lumière infinie de la conscience de soi. Par cette lumière Bhairava pénètre l'univers entier.
Réciter le mot Bhairava c'est vivre vraiment ce mot en imaginant de façon intense que le Seigneur chargé de l'énergie d'activité fait tout vibrer grâce à la conscience. C'est reconnaître, en d'autres termes, que prakasa et vimarsa, la lumière et sa réaction, ne font qu'un.
Partout, à l'intérieur et à l'extérieur, se disant constamment et avec une conviction parfaite je suis Bhairava on réalise Siva puisqu'il n'y a pas d'état où Siva ne réside.
Abhinavagupta et son commentateur Jayaratha donnent trois définitions étymologiques du terme Bhairava selon le sens de la racine bhr- :
1. Visvam bibharti : Il protège, supporte et nourrit l'univers en le faisant miroiter sur la paroi de son propre Soi.
2. Bharanat ravanat : le Bhairava est celui qui protège en tant que doué de vimarsa reflet, ou rava, écho ainsi expliqué : si vous vous concentrez sur Bhairava, il vous protège et s'il vous protège, vous vous concentrez sur lui.
3. bhirunam ayam hitakrt : il donne l'intrépidité à ceux que terrifie le cycle de la transmigration (samsara).
Le Très-formidable (mahabhima) qui détruit l'agitation de la transmigration devient un Bhairava.
Uccara comme il a été dit ne doit pas être confondu avec une simple récitation ; c'est le fonctionnement du souffle intériorisé qui accompagne l'unité de la conscience gravitant toute vers le seul Bhairava au sens le plus profond du terme.
Partant du cœur, l'énergie vitale monte dans la voie médiane (madhya) jusqu'au dvadasanta et, grâce à cette réalisation (paramarsa), on s'identifie à Siva, l'universel Bhairava.
Le nom bhairava est le plus noble parmi les noms de la divinité. On peut le réciter jusqu'à perdre le sentiment du monde extérieur. Il se présente donc en lui-même comme une voie qui conduit à Paramasiva.