BHAIRAVA L'APAISÉ
Source : Le Vijnana Bhairava traduit et commenté par Lilian Silburn
138 - Faculté mentale, conscience intériorisée, énergie du souffle et soi limité aussi ; quand ce quatuor a complètement disparu, O Bien-aimée ! alors la forme merveilleuse de ce Bhairava subsiste seule.
Nous avons vu, dans notre Introduction, que la Conscience dynamique (citi) se manifeste sous forme d'univers en cachant sa propre essence et en se soumettant de son plein gré à la limitation. Elle commence par se contracter et devient :
1. Conscience de l'univers encore intériorisée, cetana ; puis
2. Conscience empirique, citta, manas ou samkalpa lorsqu'elle se tourne vers les objets afin de les faire siens ;
3. Quant au corps et à son énergie vitale, ils apparaissent comme le support principal de son activité.
4. Enfin, le soi ou sujet limité correspond au facteur de l'ego.
Ces quatre fonctions du moi recouvrent la Réalité. Mais, en fait, citta ne diffère nullement par nature de la Conscience absolue (citi) : « Tous ceux, quels qu'ils soient, qui se consacrent avec assiduité au but ultime conservent, inviolable. la luminosité de leur propre essence. »
Ainsi dès qu'on a renoncé à sa vie personnelle, l'ego meurt, l'intellect devient inutile, la volonté silencieuse et le cœur bien apaisé. Le quatuor disparaissant, automatiquement le Soi impersonnel qu'il cachait deviendra visible. Se révèle alors Bhairava apaisé qui résorbe le cosmos, l'intériorité en toute sa plénitude (purnahanta) du fait que le monde phénoménal et ses causes ont été abolis.
Au cours de sa glose aux Sivasutra, Ksemaraja cite notre sloka afin de montrer de quelle manière le yogi, grâce à son expérience intime exempte de dualité, s'absorbe dans les profondeurs du Soi et par cette plongée, qui a saveur du ravissement de la Conscience, met fin, en ce lieu même, à la conscience limitée qu'il avait de son corps, de sa vie, etc.
Il est préférable d'interpréter ce sloka des cimes de la vie spirituelle à laquelle le jnanin est maintenant parvenu : graduellement la faculté mentale, puis la conscience intériorisée et l'énergie en tant qu'ouverture vers Siva ont été dépassées y compris la révélation du Soi (atman) lequel s'est perdu dans le Soi cosmique ou Paramsiva. C'est alors que seule demeure l'indicible Merveille (vapus), Bhairava l'apaisé dans lequel tout s'est à jamais englouti.